Le manifeste-documentaire « hold-up » est particulièrement bien fait (lequotidiendumedecin.fr. 14/11/2020). Pour défendre les idées des auteurs, il est même efficace. Mais il est malhonnête. Pendant de longues minutes plusieurs des intervenants vont critiquer les masques ; l’opportunisme du sujet est évident puisqu’il touche tout le monde ; mais on notera que ce n’est pas l’efficacité du masque qui est critiquée directement. Ce qui est mis en avant c’est la contrainte qu’il représente, son mésusage contre-productif (et bien réel hélas) ; ses effets secondaires notamment dermatologiques. Bien qu’une partie des affirmations soit plausible, aucune donnée vérifiable ou quantifiée ; on termine dans le pathos avec le cas emblématique mais somme toute marginal des masques portés lors de l’accouchement.
Faut-il interdire la conduite automobile parce que certains conduisent mal, saouls ou à contre sens ? On observe là une technique bien rodée de manipulation par la juxtaposition d’un côté d’une réalité exacte mais faussée par l’émotionnel, et de l’autre une analyse infondée conduisant à considérer le port du masque comme inutile voire dangereux.
Vladimir Volkof ne décrivait pas autre chose dans « le retournement ». On en rajoute un peu sur la contrainte en mettant un avocat dans la boucle. Celui-ci pourtant n’a pas été choqué par un procès exclusivement à charge ; un procès où seul le procureur aurait la parole.
Se sont-ils fait piéger ? C’est possible quand on voit que certains déjà se rétractent et ne souhaitent plus être associés à ce reportage. Car il n’y a aucun contradicteur au milieu des très nombreuses interviews. Il n’est même pas signalé que l’on ait tenté de les joindre.
1984 avant l'heure !
Le pire est à venir. L’une des idées phare de la seconde partie, est que la peur de l’épidémie a été instrumentalisée pour manipuler les populations par la terreur. « Si on annonce à quelqu’un qu’il va mourir, on peut en faire ce qu’on veut » déclare un intervenant. Difficile à vérifier ; mais que font les auteurs ? La même chose ; dans un développement long, laborieux et par juxtaposition de faits soigneusement sélectionnés, ils terrorisent leur auditoire en annonçant l’avènement d’un monde composé de sachants — appelés DIEUX par Laurent Alexandre, et les inutiles voués à être réduits à des consommateurs hébétés ; c’est 1984 avant l’heure, juste avant !
Comme leur public ce sont aussi « des gilets jaunes » qui se vivent comme délaissés, l’impact d’un tel docu fiction risque d’être très fort, bien au-delà de la vérité des faits. On joue sur l’émotion (ce qui n’est pas de l’information) : l’une des interviewés pleure en direct ; parce que les mouvements de caméra bien après les interviews insistent lentement sur le visage de certains avec une musique dramatique omniprésente. Les metteurs en scène connaissent bien cette puissance de la musique, mais au moins là c’est pour nous distraire. C’est tout juste si on ne nous dit pas que le virus a été sponsorisé par la Silicon Valley pour permettre le « reset sociétal » réclamé lors de forums qui réunissent les puissants. On quitte l’émotion pour la paranoïa.
Désinformation et amalgames
Ce reportage est malhonnête car en se plaçant du côté de la contradiction, il veut juste vendre de l’audimat ; il fait ce qu’il reproche à sa cible. Pourtant, il y aurait beaucoup à dire sur les liens d’intérêts de certains experts (des deux côtés), sur la soif de reconnaissance des savants de tout bord, sur la volonté libertarienne des créateurs de GAFA qui veulent s’affranchir des lois, des États, des impôts et veulent battre monnaie.
Mais s’agit-il alors du même sujet que la Covid-19 ? Non ; cette technique de désinformation s’appelle l’amalgame. Il y aurait tant de choses à dire ; sur la sénescence des interviewés au crépuscule de leur vie (professionnelle), sur la psychopathologie de commentateurs aux titres ronflants. Il ne faut surtout pas interdire ce reportage, ce serait apporter de l’eau au moulin de la conspiration. On ne pourra convaincre ni les intervenants drapés dans leur certitude, ni les auditeurs enthousiastes qui étaient déjà conquis avant même de l’avoir vu. Au moins, cela nous permet d’exercer notre intelligence critique.
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Exergue : Il ne faut surtout pas interdire ce reportage, ce serait apporter de l’eau au moulin de la conspiration.
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