Médicaments antihypertenseurs en monothérapie le soir ou le matin (revue de la littérature)
Evening versus morning dosing regimen drug therapy for hypertension (Review)
Wu C, Zhao P, Xu P, & al.
Cochrane Database of Systematic Reviews. 2024, Issue 2. Art. No.: CD004184
https://doi.org/10.1002/14651858.CD004184.pub3.
CONTEXTE
Six principales classes pharmacologiques de médicaments sont utilisées en monothérapie pour traiter l’hypertension artérielle (HTA) : les diurétiques, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), les bêtabloquants (ß-), les antagonistes de l’angiotensine 2 (ARA2) ; les inhibiteurs calciques (ICA) et les alphabloquants. Les cinq premières classes ont démontré (versus placebo) qu’elles réduisaient significativement le risque relatif et absolu d’événements cardiaques et cérébrovasculaires (1). Par ailleurs, les études ont démontré que le bénéfice clinique était davantage lié à l’amplitude de la réduction de la pression artérielle (en particulier systolique) qu’à la classe pharmacologique utilisée (2). Reste à trancher le débat entre les pharmacologues à tendance chronobiologique (3-5), qui affirment (avec un rationnel audible et des preuves cliniques à l’appui) qu’il est préférable d’administrer le traitement le soir au coucher, et leurs contempteurs, qui critiquent vertement les méthodes avec lesquelles ces preuves ont été établies (6-8).
OBJECTIF
Évaluer l’efficacité clinique d’une monothérapie antihypertensive selon qu’elle est administrée le soir au coucher ou le matin au réveil.
MÉTHODE
Revue de la littérature avec méta-analyse (si possible) ayant sélectionné les articles sources dans les principales bases de données de littérature scientifique (Cochrane, Medline, Embase, Central, toutes les bases de données chinoises, et ClinicalTrials.gov). Les essais retenus devaient être randomisés comparatifs versus placebo avec une durée minimale de trois semaines ou randomisés avec un cross-over ayant alternativement utilisé les deux périodes d’administration. Ces essais devaient avoir inclus des patients âgés de 18 ans ou plus, avec une pression artérielle ≥ 130/80 mmHg. Enfin, ils devaient évaluer l’une des six principales classes pharmacologiques d’antihypertenseurs citées plus haut, administrée le matin ou le soir à la même dose. Le critère de jugement principal était la mortalité totale. Les critères secondaires étaient la mortalité cardiovasculaire et la morbidité cardiovasculaire : infarctus du myocarde (IdM), accident vasculaire cérébral (AVC), insuffisance cardiaque congestive et anévrysme de l’aorte, ainsi que la tolérance. Chaque essai sélectionné a été évalué en insu par deux chercheurs en termes de risque de biais à l’aide de la méthode Grade (9).
RÉSULTATS
Vingt-sept essais répondant aux critères d’inclusion ont été sélectionnés. Deux d’entre eux n’ont pas été inclus dans la méta-analyse par absence de données et de répartition claire des groupes en termes d’horaire d’administration. Parmi les 25 essais retenus, six évaluaient un IEC, neuf évaluaient un ICA, sept un ARA2, deux un diurétique, un seul un alphabloquant, et un autre un ß-. Tous les essais étaient à risque de biais difficile à évaluer ou à haut risque principalement à cause de biais de sélection et de publication. Quinze essais étaient en groupes parallèles et 10 en cross-over. Aucun des 25 essais n’avait recueilli la mortalité ni la morbidité cardiovasculaires comme critère. L’hétérogénéité entre les essais était très importante (I2 > 50 %).
La méta-analyse des 25 essais n’a pas montré de différence significative sur la mortalité totale entre l’administration le matin ou le soir au cours d’une durée moyenne de traitement de 26 semaines : RR = 0,49 ; (IC95 % = 0,04-5,42). Il en était de même en termes d’effets indésirables graves : RR = 1,17 ; (IC95 % = 0,53-2,57), d’effets indésirables tout venant : RR = 0,89 ; (IC95 % = 0,67-1,20) ou d’arrêts de traitement liés aux effets indésirables : RR = 0,76 ; (IC95 % = 0,48-1,23).
cette méta-analyse suggère qu’il n’y a pas de preuve suffisante pour prescrire une monothérapie antihypertensive le soir plutôt que le matin
COMMENTAIRES
Les résultats de cette méta-analyse ne tranchent pas le débat entre les pharmacologues à tendance chronobiologique et leurs détracteurs pour des raisons de pauvreté méthodologique des essais inclus. Cependant, ils vont dans le même sens que ceux de l’essai britannique Time (10) randomisé en « vraie vie » et sont à l’opposé de ceux de l’essai Hygia (4), même s’ils ne concernaient que les monothérapies. Contrairement aux essais précédents et à la théorie pharmaco-chronobiologique (3, 4), cette méta-analyse suggère que prendre une monothérapie antihypertensive le matin ou le soir n’a aucun impact significatif sur le risque de décès. Cependant, ses faiblesses en termes de qualité des données et de biais ne permettent pas de répondre définitivement à la question soulevée.
Dans la mesure où il est impossible de comparer les essais Mapec (3) et Hygia (4) ni avec cette méta-analyse ni avec l’essai Time pour des raisons méthodologiques, il faut attendre les résultats des essais canadiens en cours BedMed et BedMail-Frail fin 2024 pour disposer de preuves supplémentaires susceptibles de mieux conseiller les patients.
En pratique, cette méta-analyse suggère qu’il n’y a pas de preuve suffisante pour prescrire une monothérapie antihypertensive le soir plutôt que le matin, en sachant que les patients qui prennent leur médicament le matin sont plus observants que ceux qui le prennent le soir (11). Globalement, il est raisonnable de conseiller au patient de prendre son traitement antihypertenseur à l’horaire qui lui sied le mieux, selon son choix, les éventuels effets indésirables qu’il perçoit et ses autres médicaments en cas de comorbidités. Enfin, les résultats de ce travail concernaient uniquement les monothérapies.
Bibliographie
1. Thomopoulos C, Parati G, Zanchetti A. Effects of blood pressure lowering on outcome incidence in hypertension. Effects of various classes of antihypertensive drugs. Overview and meta-analyses. J Hypertens 2015;33:195-211.
2. Mancia G, Fagard R, Narkiewicz K, & al. 2013 ESH/ESC Guidelines for the management of arterial hypertension. The Task Force for the management of arterial hypertension of the European Society of Hypertension (ESH) and of the European Society of Cardiology (ESC). J Hypertens 2013;31:1281-357. https://doi.org/10.1097/01.hjh.0000431740.32696.cc.
3. Hermida RC, Ayala DE, Mojon A, & al. Influence of circadian time of hypertension treatment on cardiovascular risk: results of the Mapec study. Chronobiol Int 2010;27:1629-51.
4. Hermida RC, Crespo JJ, Dominguez-Sardina & al. Bedtime hypertension treatment improves cardiovascular risk reduction: the Hygia Chronotherapy Trial. Eur Heart J 2019
5. Félibre S. Les antihypertenseurs sont-ils du matin ou du soir ? Le Généraliste 2019;2892.
6. Brunström M, Kjeldsen SE, Kreutz R, & al. Missing verification of source data in hypertension research: the Hygia project in perspective. Hypertension 2021;78:555-8.
7. Burnier M, Kreutz R, Narkiewicz K, & al. Circadian variations in blood pressure and their implications for the administration of antihypertensive drugs: is dosing in the evening better than in the morning? J Hypertens 2020;38:1396-406.
8. Guthrie G, Poulter N, McDonald T, & al. Chronotherapy in hypertension: the devil is in the details. Eur Heart J 2020;41:1606-7.
9. Higgins JP, Altman DG, Sterne JA. Assessing risk of bias in included studies. In: Higgins JP, Green S, editor(s). Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions Version 5.1.0. The Cochrane Collaboration, 2011.
10. Mackenzie IS, Rogers A, Poulter NR & al. Cardiovascular outcomes in adults with hypertension with evening versus morning dosing of usual antihypertensives in the UK (TIME study): a prospective, randomised, open-label, blinded-endpoint clinical trial. Lancet 2022;400:1417-25.
11. Waeber B, Burnier M, Brunner HR. Compliance with antihypertensive therapy. Clinical and Experimental Hypertension 1999;21:973-85.
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique
Recommandations
Antibiothérapies dans les infections pédiatriques courantes (2/2)