Rivaroxaban ou aspirine pour le traitement à long terme des thromboses veineuses profondes
Weitz JI, Lensing MH et al for the Einstein Choice Investigators. Rivaroxaban or Aspirin for Extended Treatment of Venous Thromboembolism. N Engl J Med
CONTEXTE
La durée recommandée du traitement anticoagulant en cas de maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV), thrombose veineuse profonde (TVP) ou embolie pulmonaire (EP) est au minimum de 6 mois. Elle peut être prolongée à 9 ou 12 mois, selon le risque individuel de récidive et d’hémorragie. Chez les patients sans facteur de risque, le taux de récidive est d’environ 10 % dans l’année qui suit l’arrêt des anticoagulants. Il est encore supérieur chez ceux ayant des facteurs de risque irréversibles (1). Même si les anticoagulants préviennent les récidives au-delà de 12 mois, le risque hémorragique est parfois tel que la poursuite du traitement est hasardeuse. Dans ce cadre, une anticoagulation à faible dose d’AVK (2,3) ou l’aspirine (4,5) sont des alternatives possibles.
OBJECTIFS
Comparer l’efficacité et la sécurité d’emploi de 2 doses de rivaroxaban (10 et 20 mg) à l’aspirine administrées pendant 1 an chez des patients efficacement anticoagulés pendant 6 à 12 mois.
MÉTHODE
Essai randomisé comparatif en double insu double placebo à trois bras. Les patients inclus avaient tous fait un épisode de MTEV et avaient reçu une anticoagulation efficace : AVK ou anticoagulant oral direct (AOD) pendant 6 à 12 mois. Puis ils ont reçu 10 ou 20 mg de rivaroxaban, ou 100 mg d’aspirine pendant 1 an. Le critère de jugement principal d’efficacité était la survenue d’un nouvel épisode de MTVE symptomatique (fatal ou non). Le critère de jugement principal de sécurité d’emploi était les hémorragies sévères définies par une diminution de l’hémoglobine ≥ 2 g/dL ou la nécessité d’une transfusion globulaire ≥ 2 culots. L’analyse statistique a été faite en intention de traiter modifiée (les patients randomisés n’ayant pas reçu le traitement alloué ont été écartés de l’analyse finale) à l’aide d’un modèle de Cox proportionnel stratifié sur la nature de l’événement index (TVP ou EP). Les résultats sont présentés en hazard ratio (HR) avec un intervalle de confiance à 95 %.
RÉSULTATS
Sur 3 396 patients randomisés, 3 365 ont été inclus dans l’analyse finale. La randomisation a construit trois groupes similaires : âge médian = 60 ans, 55 % d’hommes, TVP index = 50 %, EP index = 34 %, TVP + EP index = 16 %. 18 % des patients avaient reçu un anticoagulant à dose thérapeutique pendant 6 mois, 21 % pendant 9 à 12 mois, et 60 % pendant 1 an.
En termes d’efficacité, il y a eu 17 (1,5 %) récidives dans le groupe rivaroxaban 20 mg, 13 (1,2 %) dans le groupe 10 mg et 50 (4,4 %) dans le groupe aspirine : HR rivaroxaban 20 mg = 0,34 ; IC95 % = 0,20-0,59, HR rivaroxaban, 10 mg = 0,26 ; IC95 % = 0,14-0,47. Il n’y a pas eu de différence entre les 2 doses de rivaroxaban et pas d’interaction avec la nature de l’événement index.
En termes de sécurité d’emploi (hémorragies sévères), le taux a été de 0,5 % dans le groupe 20 mg, 0,4 % dans le groupe 10 mg et 0,3 % dans le groupe aspirine, sans différence significative entre les groupes. L’analyse sur la totalité des hémorragies sévères et des hémorragies cliniquement pertinentes non sévères a montré une tendance en défaveur du rivaroxaban 20 mg : HR = 1,59 ; IC95 % = 094-2,69. Il n’y avait pas de différence entre le rivaroxaban 10 mg et l’aspirine.
COMMENTAIRES
Ce très bel essai randomisé répond (partiellement) à la question de la prévention à long terme des récidives de TVP chez les patients ayant fait un événement thrombotique, efficacement anticoagulés pendant 6 à 12 mois et à risque de récidive. Chez ces derniers, la question de poursuivre un traitement préventif se pose. Dans cette situation les deux doses de rivaroxaban sont très supérieures à l’aspirine (environ 70 % de réduction des évènements), mais le rapport bénéfice/risque du 10 mg est plus favorable que celui du 20 mg car les hémorragies sévères ou cliniquement pertinentes sont moins nombreuses avec la plus faible dose pour une efficacité proche du 20 mg. Le seul problème est le choix de l’aspirine comme comparateur. Celle-ci a bien démontré qu’elle réduisait les récidives de TVP vs placebo (4,5), mais une alternative possible repose sur les AVK (2,3) visant un INR entre 1,5 et 2,0.
En pratique, tous les patients victimes d’une TVP ou d’une EP devraient recevoir un anticoagulant à dose thérapeutique pendant au moins 6 mois ou 12 mois pour ceux plus à risque de récidive. À ce terme, certains patients ont un risque de récidive persistant. Dans cette situation clinique, le rivaroxaban 10 mg est plus efficace que l’aspirine avec un risque hémorragique comparable, mais sa balance bénéfice/risque comparée à celle de petites doses d’AVK est inconnue.
Bibliographie
1- Prandoni P, Lensing AW, Cogo A et al. The long-term clinical course of acute deep venous thrombosis. Ann Intern Med 1996;125:1-7.
2- Kearon C, Ginsberg JS, Kovacs MJ et al. Comparison of low-intensity warfarin therapy with conventional-intensity warfarin therapy for long-term prevention of recurrent venous thromboembolism. N Engl J Med 2003;349:631-9.
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4- Brighton TA, Eikelboom JW, Mann K et al. Low-dose aspirin for preventing recurrent venous thromboembolism. N Engl J Med 2012;367:1979-87.
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