Tabagisme

ARRÊT DU TABAC, POIDS, DIABÈTE ET MORTALITÉ

Publié le 06/09/2018
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Les conséquences sur la santé de la prise de poids liée au sevrage tabagique sont mal établies. Cette étude du NEJM écarte les doutes. Le surpoids est transitoire, non obligatoire et le risque de mortalité CV et totale est diminué de moitié.
Tabac

Tabac
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Hu Y, Zong G, Lui G & al.

N Engl J Med 2018;379:623-32.

CONTEXTE

Bien qu’elle ne soit pas inéluctable, la prise de poids à l’arrêt du tabac est très fréquente (84 % des sevrés) et supérieure à 10 kg dans 13 % des cas (1). Elle peut décourager certains fumeurs (en particulier les femmes) et potentiellement atténuer les bénéfices du sevrage tabagique en augmentant le risque métabolique (2), en particulier celui de diabète de type 2 (DT2) avec ses conséquences. Mais les conséquences sur la santé de la prise de poids liée au sevrage tabagique sont mal établies (3, 4).

OBJECTIFS

valuer le risque de DT2 et de mortalité cardiovasculaire (CV) et totale corrélés à la variation du poids, chez des sujets qui ont cessé de fumer comparativement à ceux qui ont continué.

MÉTHODE

→ Étude observationnelle ayant regroupé 3 cohortes états-uniennes de professionnels de santé. Ils ont rempli des questionnaires sur leur mode de vie et leur santé tous les 2 ans depuis 1984 pour la plus ancienne des cohortes et 1988 pour la plus récente. Le recueil a eu lieu en 2012 et 2013. Les sujets ayant déclaré avoir cessé de fumer ont été comparés à ceux qui ont continué. Les patients atteints de DT2, de maladie CV ou de cancer à l’entrée ont été écartés.

Les sujets ayant cessé définitivement de fumer ont été classés en quatre catégories selon leur variation de poids 6 ans après l’arrêt du tabac : perte ou pas de prise de poids, augmentation du poids de 0,1 à 5,0 kg, de 5,1 à 10 kg, et > 10 kg. Le critère de jugement principal était l’apparition d’un DT2 selon la catégorie de variation de poids. Les critères secondaires étaient la mortalité CV et totale.

→ L’analyse statistique a été faite à l’aide d’un modèle de régression logistique de Cox proportionnel ajusté sur certains facteurs confondants (cohorte, race, activité physique, IMC, consommation d’alcool, HTA, hypercholestérolémie, histoire familiale de DT2, prise de vitamines). Les données manquantes sur le statut tabagique et le poids ont été remplacées par la dernière information connue. Les autres données manquantes ont bénéficié d’une imputation multiple.

RÉSULTATS

→ Sur un suivi de 19,6 ans, 395 872 fumeurs persistants ont été comparés à 138 782 fumeurs sevrés. 37 444 (27 %) ont déclaré ne pas avoir pris de poids, 52 147 (37 %) avaient pris entre 0,1 et 5 kg, 29 767 (21 %) entre 5,1 et 10 kg, et 19 424 (14 %) plus de 10 kg six ans après leur arrêt. Le pic de poids se situait entre 5 et 7 ans après le sevrage, puis régressait.

→ Globalement, le risque relatif (RR) de DT2 augmentait chez les sevrés vs les persistants : RR = 1,22 ; IC95 % = 1,12-1,32 (sauf chez ceux n’ayant pas pris de poids : RR = 1,08, IC95 % = 0,93-1,26). Le risque de DT2 augmentait proportionnellement à la variation de poids : RR = 1,59 ; IC95 % = 1,36-1,85 chez les > 10 kg par exemple.

→ En revanche, le RR de mortalité CV diminuait chez les sevrés vs les persistants : RR = 0,48 ; IC95 % = 0,41-0,56. Les catégories de variation de poids ne modifiaient pas ce risque qui se rapprochait de celui des sujets n’ayant jamais fumé.

→ Il en était de même pour le RR de mortalité totale qui était de 0,58 ; IC95 % = 0,54-0,62, chez les sevrés vs les persistants. Ce RR n’était pas influencé par le poids et se rapprochait de celui des abstinents.

COMMENTAIRES

Les résultats de cette étude sont intéressants, mais le niveau de preuve est modeste pour plusieurs raisons. Regrouper 3 cohortes dont le recueil de données était différent expose à une hétérogénéité d’information difficile à compenser. Ces 3 cohortes ne concernaient que des professionnels de santé états-uniens, pas nécessairement représentatifs de la population générale vivant en Europe. Par ailleurs, le recueil de données par questionnaires laissait une large place au biais de désirabilité et à la subjectivité. Par exemple, 27 % de fumeurs sevrés sans prise de poids dans ces cohortes, c’est beaucoup et douteux (1). Enfin, même si l’analyse statistique a été ajustée sur de nombreux facteurs confondants, il est impossible de conclure que ce qui est démontré est bien exclusivement lié à l’arrêt du tabac.

→ En pratique, cette étude a quand même un intérêt pédagogique auprès des patients fumeurs qui s’interrogent sur les conséquences d’un possible sevrage. Elle montre que certes, la prise de poids est fréquente (mais passagère et non obligatoire), que certes, elle augmente le risque de DT2 de 22 % (en moyenne), mais qu’en revanche le risque de mortalité CV et totale est diminué de moitié, quelle que soit l’augmentation du poids.
 

Bibliographie 

​1- Aubin HJ, Farley A, Lycett D, & al. Weight gain in smokers after quitting cigarettes: meta-analysis. BMJ 2012;345:e4439.  

2- Zheng Y, Manson JE, Yuan C, & al. Associations of weight gain from early to middle adulthood with major health outcomes later in life. JAMA 2017;318: 255-69.  

3- Clair C, Rigotti NA, Porneala B, & al. Association of smoking cessation and weight change with cardiovascular disease among adults with and without diabetes. JAMA 2013;309:1014-21.  

4- Kim K, Park SM, Lee K. Weight gain after smoking cessation does not modify its protective effect on myocardial infarction and stroke: evidence from a cohort study of men. Eur Heart J 2018;39:1523-31.


Dr Santa Félibre (Généraliste Enseignant, Paris)

Source : lequotidiendumedecin.fr