Stomatologie

CARIES DENTAIRES ET PRÉCARITÉ

Publié le 07/02/2014
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L’état bucco-dentaire est un bon indicateur de la précarité d’une population. Il convient de prendre en compte cet élément pour éduquer ou orienter ces populations vers d’autres professionnels.

Crédit photo : DR

Nous sommes amenés à consulter toute une famille dans un foyer d’accueil hivernal de SDF. Lucas (un des cinq enfants de la famille monoparentale) présente un problème d’angine. Au décours de l’examen de cet enfant, nous découvrons la présence de caries dentaires multiples (voir photo ci-dessus).

LES CONDITIONS RESPONSABLES DE CETTE ANOMALIE ?

L’interrogatoire de la mère de notre patient nous éclaire un peu plus sur le problème dentaire présenté. Ce dernier est apparu chez Lucas dès l’âge de 3 ans, et la Maman nous explique que cet enfant est très « remuant » ; élément qui l’a conduite à prendre certaines mesures pour le calmer (recours à des neuroleptiques notamment !). En parallèle, du fait de problèmes en relation avec sa disponibilité (elle doit s’occuper de trois autres enfants plus jeunes), la mère a donné systématiquement le biberon à Lucas, biberon qu’il garde très souvent à la bouche. Ce tableau clinique digne d’un roman de Zola illustre une entité fréquemment rencontrée dans les milieux défavorisés : le syndrome du biberon.

LE SYNDROME DU BIBERON

› Cette présence de polycaries est retrouvée chez près de 11% des enfants de 2 à 4 ans. Plusieurs causes sont responsables de ce problème :

– l’absorption de sucre trop importante (biberons ou verres d’eau sucrée, sodas gazeux) ;

– une mauvaise hygiène dentaire (pas de rinçage de la bouche avant le coucher ou de recours à la brosse à dents) ;

– l’absence de mastications d’aliments. Cela peut être dû à une l’administration d’une alimentation liquide ou semi-liquide.

› Toutes ces raisons sont responsables d’une exposition permanente de substances cariogènes au niveau des dents de lait.

Ces pathologies surviennent dans les familles où les parents « achètent » leur tranquillité en donnant à leurs enfants des sucreries riches en saccharose.

› Facteurs responsables de la carie des dents de lait chez le jeune enfant :

– les facteurs anatomiques. Il existe une plus importante fragilité de l’émail des dents temporaires, élément qui explique la moindre résistance aux attaques acides des bactéries présentes au niveau de la plaque dentaire. La conformation des couronnes des dents de lait (elles sont plus globuleuses) explique la difficulté pour les enfants d’assurer un nettoyage efficace ;

– les facteurs physiologiques. La sécrétion salivaire est réduite de 90% au cours du sommeil et il faut savoir que le jeune enfant dort en moyenne 15 heures par jour ;

– les facteurs bactériens. La carie dentaire est secondaire à un processus infectieux. De l’acide lactique est produit suite au métabolisme des sucres par les bactéries. Or cet acide est responsable d’une destruction de l’émail des dents de lait. Deux variétés de germes sont responsables de ce processus : les lactobacilles et les actinomyces. Les streptocoques apparaissent par la suite et aggravent le tableau clinique.

DESCRIPTION CLINIQUE

Toutes les dents peuvent être touchées par ce syndrome ; excepté le bloc incisivo-canin inférieur (la langue, du fait d’une succion, semble jouer à ce niveau un rôle d’autonettoyant).

Les caries conduisent à une symptomatologie dominée par la douleur qui est centrée au niveau d’une hémi-arcade. Cette dernière est accentuée par les repas, et rétrocède suite la prescription d’antalgiques.

QUELLES CONSÉQUENCES ?

› Un préjudice esthétique en relation avec une réduction de la dimension verticale d’occlusion est parfois observée (affaissement de l’étage inférieur de la face). Au niveau osseux, si les dents de laits atteintes sont extraites, une cicatrisation ostéofibreuse est parfois objectivée. Des complications infectieuses (gingivites, cellulites, parulies) sont parfois rencontrées.

› Générales. On retrouve des troubles du sommeil (douleurs dues aux caries), une alimentation inappropriée, des troubles de la croissance de l’enfant. Des problèmes rénaux, un accroissement de certaines pathologies cardiovasculaires (comme les endocardites), et un déséquilibre du diabète peuvent survenir dans ce contexte.

QUEL TRAITEMENT ?

› Diététique. Il ne faut pas que l’enfant dorme avec un biberon ou qu’il puisse avoir un biberon en permanence. Il faut réduire les boissons sucrées. Il faut respecter les horaires des repas et éviter les grignotages intempestifs.Il faut éviter de donner des sucres rapides aux repas et préconiser une alimentation équilibrée.

› L’hygiène, le brossage des dents avec un dentifrice non fluoré doit être vivement recommandé. Chez le bébé, on doit recourir aux cotons tige ou aux compresses pour nettoyer la bouche. Pour ce faire, on utilise la chlorhexidine et cela avant la sieste ou le coucher.

Cette étude sera présentée et discutée lors du prochain Congrès de Médecine Générale qui se tiendra du 3 au 5 avril 2014 à Paris, au Palais des Congrès de la Porte Maillot. Renseignements : www.legeneraliste.fr
Dr Pierre Frances (Médecin généraliste. 1 rue Saint Jean-Baptiste. 66650 Banyuls sur mer. Mail : frances.pierre@wanadoo.fr)

Source : lequotidiendumedecin.fr