Cardiologie

CONTRÔLER L’HTA AVEC UN OUTIL DIGITAL

Publié le 31/05/2021
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De nombreux patients traités pour HTA ont une pression artérielle non contrôlée. Un essai randomisé en ouvert a évalué les effets d’un outil numérique pour améliorer cette prise en charge en médecine générale.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Automesure, autogestion et évaluation de la pression artérielle via une intervention digitale chez les hypertendus non contrôlés : un essai randomisé
Home and Online Management and Evaluation of Blood Pressure (HOME BP) using a digital intervention in poorly controlled hypertension: randomised controlled trial
McManus R, Little P, Beth S & al for the HOME BP investigators.BMJ 2021;372:m4858.

CONTEXTE
En France, l’hypertension artérielle (HTA) est le premier motif de consultation en médecine générale, avec environ 14 actes par semaine (1). L’HTA est un facteur de risque de maladies cardiovasculaires (FDRCV) bien documenté et plusieurs essais randomisés et méta-analyses ont solidement démontré qu’abaisser la pression artérielle systolique (PAS) en dessous de 140 mmHg réduisait les complications cardiovasculaires cliniques et les décès (2).
Cependant, malgré l’efficacité clinique bien établie des médicaments antihypertenseurs, environ 55 % des patients traités en France (3) et un peu moins de 50 % au Royaume-Uni (4) ne sont pas contrôlés au regard des cibles de pression artérielle (PA) préconisées dans les recommandations. Bien que certaines interventions digitales aient déjà été testées avec un succès mitigé, il y a encore de la place pour améliorer la stratégie de prise en charge, et les comportements des médecins et des patients à l’aide de technologies modernes (5).

OBJECTIFS
Évaluer l’efficacité d’une intervention digitale pour améliorer la prise en charge des patients hypertendus non contrôlés en médecine générale en combinant l’automesure à domicile avec un guide algorithmique d’autogestion par internet.

MÉTHODE
Essai randomisé en ouvert avec recueil automatisé des données constituant le critère de jugement principal (CJP). Les patients inclus devaient être âgés ≥ 18 ans, avoir une HTA traitée non contrôlée > 140/90 mmHg (moyenne des 2e et 3e mesures sur trois) et un accès internet. Ils ont été randomisés dans un groupe intervention avec automesure de la PA, associée à une intervention digitale automatisée selon un algorithme pour donner des conseils modifiant le traitement (si nécessaire) et le mode de vie (alcool, tabac, poids, alimentation, activité physique) quand la PA était supérieure à l’objectif. Les patients du groupe témoin bénéficiaient d’une prise en charge « habituelle » avec consultations en médecine générale et modifications de traitement et conseils de mode de vie à la discrétion du praticien. Les cibles de PA préconisées aux patients des deux groupes étaient : < 135/85 mmHg pour ceux < 80 ans non diabétiques, < 145/85 mmHg pour ceux ≥ 80 ans non diabétiques, et < 135/75 mmHg pour les diabétiques (conformes aux recommandations britanniques).
Les patients du groupe intervention mesuraient leur PA matinale trois fois pendant 7 jours consécutifs par mois. La moyenne des 2e et 3e mesures était retenue pour le CJP. Lorsque la PA était supérieure à la cible individuelle deux mois consécutivement, les patients du groupe intervention recevaient une information via internet leur indiquant comment modifier leur traitement et à nouveau les conseils de mode de vie. Les médecins des patients du groupe intervention recevaient les mêmes informations afin de lutter contre l’inertie thérapeutique (6). Les patients du groupe témoin mesuraient leur PA de la même manière. Ils envoyaient leurs résultats via internet. Ils ne bénéficiaient d’aucun retour automatique mais pouvaient consulter leur médecin.
Le critère de jugement principal était la variation de la PAS à 12 mois par rapport à l’inclusion entre les deux groupes, ajustée sur la PAS à l’inclusion, les cibles préconisées, le genre du patient et le cabinet médical. Les critères secondaires étaient l’observance, la qualité de vie (mesure biaisée dans un essai en ouvert) et les effets indésirables. L’analyse statistique a été faite en intention de traiter avec imputation multiple des données manquantes.

RÉSULTATS
Sur 1 389 patients éligibles, 622 ont été inclus par 76 cabinets médicaux : 305 dans le groupe intervention et 317 dans le groupe témoin. À un an, les données sur le CJP étaient disponibles pour 552 patients (88,6 %). Celles des 70 participants manquants ont été intégrées par imputations multiples comme prévu au protocole. À l’inclusion, les caractéristiques cliniques et sociodémographiques des patients étaient similaires dans les deux groupes : âge = 66 ans, pression artérielle systolique (PAS) = 151,6  mmHg, pression artérielle diastolique (PAD) = 85,5 mmHg, ancienneté de l’HTA = 10 ans, genre féminin = 46 %, IMC moyen = 30 kg/m2, nombre médian de médicaments = 1.
À 12 mois, la PA est passée de 151,7/86,4 mmHg à 138,4/80,2 mmHg dans le groupe intervention versus 151,6/85,3 mmHg à 141,8/79,8 mmHg dans le groupe témoin, soit une différence significative entre les groupes de 3,4 mmHg (IC 95 % = -6,1 ; -0,8) sur la PAS et de 0,5 mmHg (IC95 % = -1,9 ; +0,9) sur la PAD. Ce bénéfice a été observé dans tous les sous-groupes préspécifiés, sauf chez les patients ≥ 80 ans. Les participants du groupe intervention ont modifié leur traitement (posologie et/ou principe actif) deux fois plus souvent que ceux du groupe témoin. Par ailleurs, une analyse post hoc (donc exploratoire mais intéressante (7)) a montré que la PAS avait diminué d’au moins 5 mmHg chez 74,4 % des patients du groupe intervention versus 60,3 % de ceux du groupe témoin (hazard ratio = 1,9 ; IC95 % = 1,3-2,8). Enfin, il n’y a pas eu de différence entre les deux groupes en termes d’effets indésirables.

COMMENTAIRES
Les deux premiers auteurs généralistes chercheurs de ce joli travail sont des stakhanovistes de l’HTA et de la prévention CV en soins primaires. Ils sont partis de trois constats :
 • L’HTA est le plus fréquent des FDRCV et concerne 30 % de la population britannique (4).
 • Les médicaments antihypertenseurs ont indéniablement démontré qu’ils réduisaient la PA, les complications de l’HTA et les décès (2), et qu’ils étaient globalement bien tolérés.
 • Paradoxalement, 50 % des hypertendus traités ont une PAS supérieure aux préconisations.
Le paradoxe pourrait s’expliquer par le comportement des médecins, éventuellement améliorable par une formation spécifique (8) et/ou la réduction du biais de préférence numérique qui consiste à arrondir les mesures de PA au 0 ou aux 5 mmHg inférieurs (9) et/ou encore par l’inertie thérapeutique qui consiste à ne pas modifier le traitement quand la PA n’est pas contrôlée à plusieurs reprises (10). L’autre possibilité est d’améliorer l’observance des patients, réputée insuffisante dans l’HTA.
Dans cet essai randomisé, les auteurs ont décidé d’intervenir à la fois sur les patients en les responsabilisant, les éduquant, et en les autonomisant, ainsi que sur leurs médecins en leur fournissant systématiquement les mesures régulièrement faites par leurs patients. À ce propos, randomiser les patients dans ce type d’essai en ouvert expose à des biais qui auraient pu être évités en randomisant plutôt les médecins (afin d'éviter les biais de désirabilité, de mesure et de comportement du médecin quand il connaît le groupe alloué au patient).
Quoi qu’il en soit, la procédure d’intervention sophistiquée technologique mise en place par les chercheurs montre qu’elle réduit significativement la PAS (-3,4  mmHg) versus la prise en charge habituelle, même s’il n’est pas garanti que ces 3,4 mmHg soient suffisants pour réduire les accidents vasculaires cérébraux (7).
En pratique, il est toujours judicieux d’impliquer les patients dans la prise en charge de leur pathologie chronique. Cependant, les technologies modernes peuvent être un handicap pour les plus âgés peu familiers d'internet, sachant que 50 % d’entre eux sont hypertendus traités et probablement la moitié d’entre eux non contrôlés.

Dr Santa Félibre (médecin généraliste et enseignant-chercheur, Paris)

BIBLIOGRAHIE
1. Duhot D, Martinez Luc, Ferru P, & al. Prévalence de l’hypertension artérielle en médecine générale. Enquête transversale de l’Observatoire de la médecine générale. Rev Prat Med Gene 2002;16:177-80.
2. Brunström M, Carlberg B. Association of blood pressure lowering with mortality and cardiovascular disease across blood pressure levels: a systematic review and meta-analysis. JAMA Intern Med 2018;178:28-36. https://doi.org/10.1001/jamainternmed.2017.6015.
3. Perrine AL, Lecoffre C, Blacher J, & al. L’hypertension artérielle en France : prévalence, traitement et contrôle en 2015 et évolutions depuis 2006. BEH 2018;10:170-9.
4. Health Survey for England 2017 Trend Tables. London: Health and Social Care Information Centre Information Centre. https://digital.nhs.uk/data-and-information/publications/statistical/he…
5. McLean G, Band R, Saunderson K, et al. Digital interventions to promote self-management in adults with hypertension systematic review and meta-analysis. J Hypertens 2016;34:600-12. https://doi.org/10.1097/HJH.0000000000000859
6. Lebeau JP, Cadwallader JS, Vaillant-Roussel H & al. General practitioners’ justifications for therapeutic inertia in cardiovascular prevention: an empirically grounded typology. BMJ Open 2016;6:e010639. http://dx.doi.org/10.1136/bmjopen-2015-010639
7. Lewington S, Clarke R, Qizilbash N, & al. Age-specific relevance of usual blood pressure to vascular mortality: a meta-analysis of individual data for one million adults in 61 prospective studies. Lancet 2002;360:1903-13.
8. Pouchain D, Lièvre M, Huas D & al. Effects of a multifaceted intervention on cardiovascular risk factors in high-risk hypertensive patients: the ESCAPE trial, a pragmatic cluster randomized trial in general practice. Trials 2013;14:318. http://www.trialsjournal.com/content/14/1/318
9. Lebeau JP, Pouchain D, Huas D & al. ESCAPE-ancillary blood pressure measurement study: end-digit preference in blood pressure measurement within a cluster-randomized trial. Blood Pressure Monitoring 2011;16:74-79.
10. Okonofua EC, Simpson KN, Jesri A, & al. Therapeutic inertia is an impediment to achieving the Healthy People 2010 blood pressure control goals. Hypertension 2006;47:345-51


Source : Le Généraliste