Intensification thérapeutique

DE LA TRANSPOSABILITE DES ÉTUDES DANS LA VRAIE VIE

Publié le 02/02/2018
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L’application stricte des recos sur le DT2 n’a pas forcément l’impact clinique attendu. Un essai randomisé japonais mené en médecine générale montre qu’une prise en charge intensive améliore les critères intermédiaires biologiques ou tensionnels mais pas la morbimortalité.
Molécule d'hémoglobine glyquée

Molécule d'hémoglobine glyquée
Crédit photo : RAMON ANDRADE/SPL/PHANIE

Effets d’une intervention multifactorielle intensive sur les complications cardiovasculaires et la mortalité des patients diabétiques de type 2 : un essai randomisé en ouvert Ueki K, Sasako T, Okasaki Y, et al. Effect of an intensified multifactorial intervention on cardiovascular outcomes and mortality in type 2 diabetes (J-DOIT3): an open-label, randomized controlled trial Lancet Diabetes Endocrinol 2017;5:951-54.

CONTEXTE

Dans les pays développés, les autorités de santé publient des recommandations sur la prise en charge des patients diabétiques de type 2 (DT2). Ces guides, aides à la décision et non des injonctions ni des recettes, préconisent des cibles d’HbA1c, de PA ou de LDL-c. Ces préconisations sont basées sur les résultats des essais randomisés (ECR), de leurs méta-analyses ou, à défaut, sur des consensus d’experts. Cependant, les ECR sont des dispositifs expérimentaux très éloignés des pratiques de médecine générale. Un seul d’entre eux (1) a testé l’impact clinique de l’application stricte des recommandations pour le DT2, mais il n’a pas été fait sur des patients de soins primaires et concernait 160 patients DT2 microalbuminuriques.

OBJECTIFS

Comparer l’efficacité clinique d’une intervention multifactorielle intensive sur les paramètres du risque cardiovasculaire des patients DT2 à celle des cibles préconisées dans les guides japonais.

MÉTHODE

Essai randomisé en ouvert (statisticiens et évaluateurs des événements en insu) dans 81 cabinets de médecine générale japonais. Les patients DT2 avec une HbA1c ≥ 6,9 %, hypertendus et/ou dyslipidémiques ont été alloués à un groupe témoin (GT) “prise en charge recommandée” : cible HbA1c < 6,9 %, PA < 130/80 mmHg et LDL-c < 1,20 g/L < 1,00 g/L si prévention secondaire) ou à un groupe (GI) “intervention intensive” : cible HbA1c < 6,2 %, PA < 120/75 mmHg, et LDL-c < 0,80 g/L (< 0,7 g/L si prévention secondaire). À l’origine, le critère de jugement principal était composé des infarctus du myocarde (IdM), des AVC et de la mortalité totale. L’analyse statistique a été faite en intention de traiter avec un modèle de Cox proportionnel.

Compte tenu du nombre d’événements observés – le sixième de ce qui était attendu au cours de la première année de suivi –, le critère principal a été élargi aux revascularisations coronaires, carotidiennes ou cérébrales. De ce fait, le critère principal de jugement initial est devenu le principal critère secondaire, et l’effectif à inclure ainsi que la puissance de l’essai ont été diminués par amendements après la randomisation du premier patient.

RÉSULTATS

Parmi les 14 695 patients éligibles, 2 542 ont été randomisés (1 271 dans chaque groupe) et suivis en moyenne pendant 8,5 ans. Leurs caractéristiques étaient similaires à l’inclusion : âge = 59 ans, hommes = 62 %, 12 % de prévention secondaire, HbA1c = 8 %, PA = 134/80 mmHg, LDL-c = 1,25 g/L.

Pendant l’essai, l’HbA1c moyenne était à 6,8 % dans le groupe GI vs 7,2 % dans le GT (∆ = - 0,4 %, p = 0,0001). La PA moyenne était à 123/71 mmHg dans le GI vs 129/74 mmHg dans le GT (∆ = - 6/- 3 mmHg, p = 0,0001). Le LDL-c moyen était de 0,80 g/L dans le GI, vs 1,04 g/L dans le GT (∆ = - 0,24 g/L, p = 0,0001).

Au cours des 8,5 ans de suivi, il y a eu 109 événements du critère de jugement principal élargi dans le GI et 133 dans le GT : HR = 0,81, IC95 % = 0,63 - 1,04, p = 0,09. Il n’y pas eu de différence significative sur la mortalité totale  (p = 0,95), ni sur les événements coronaires (p = 0,44), ni sur le principal critère secondaire (p = 0,06). En termes d’effets indésirables, il n’y a pas eu de différence entre les groupes sauf pour les hypoglycémies, majoritairement “anodines” (41 % des patients vs 22 %, p < 0,0001).

COMMENTAIRES

J-DOIT3 est un travail ambitieux, courageux et opiniâtre. Il montre qu’une intervention intensive sur les paramètres du risque cardiovasculaire des patients DT2 améliore significativement les critères intermédiaires biologiques ou tensionnels sans aucun impact sur la morbimortalité à long terme (8,5 ans), ce qui n’est pas la première fois (2). Autrement dit, lower is not toujours better.

Cependant, ce travail de recherche souffre de trois faiblesses rédhibitoires : le design en ouvert, la randomisation qui aurait dû concerner les cabinets (cluster) et non pas les patients, car il est impossible de demander à un médecin de faire blanc avec monsieur Honda et noir avec madame Yamaha. En découle un biais de contamination bien visible dans le groupe témoin, dans lequel tous les paramètres se sont significativement et considérablement améliorés (effet Hawthorne). La dernière faiblesse concerne l’élargissement du critère principal pour observer le nombre d’événements nécessaire à la démonstration statistique, ce qui “hétérogénéise” le critère principal. Recevoir un stent (décision subjective) ou mourir (fait objectif), ce n’est pas la même chose pour un patient.

En pratique, il n’est pas certain que les bénéfices cliniques observés dans les essais randomisés, qui argumentent les recommandations, soient transposables dans la “vraie vie” des patients DT2.

Bibliographie

1- Gæde P, Lund-Andersen H, Parving HH, Pedersen O. Effect of a multifactorial intervention on mortality in type 2 diabetes. N Engl J Med 2008;358:580-91.
2- Griffin SJ, Borch-Johnsen K, Davies MJ et al. Effect of early intensive multifactorial therapy on 5-year cardiovascular outcomes in individuals with type 2 diabetes detected by screening (ADDITION-Europe): a cluster-randomized trial. Lancet 2011;378:156-67.

 

Dr Santa Félibre (Généraliste Enseignant, Paris)

Source : lequotidiendumedecin.fr