Évaluation à grande échelle d’une montre connectée pour détecter la fibrillation auriculaire.
Large-Scale Assessment of a Smartwatch to Identify Atrial Fibrillation Perez MV, Mahaffey KW, Hedlin H, & al for the Apple Heart Study Investigators N Engl J Med 2019 ;381:1909-17.
https://doi.org/10.1056/NEJMoa1901183.
CONTEXTE
La fibrillation auriculaire (FA) est le plus fréquent des troubles du rythme cardiaque (1). Sa prévalence augmente avec l’âge et elle multiplie par 5 le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) embolique (2). Quand elle est paroxystique et/ou asymptomatique, de nombreux sujets ignorent le diagnostic (3). Les montres connectées sont capables de mesurer le pouls et plusieurs applications ont été développées dans l’objectif d’identifier un trouble du rythme éventuellement compatible avec une FA (4 et 5). Il n’y a pas de méthode ou de technique internationalement reconnue pour dépister la FA, qui est le plus souvent diagnostiquée au cours d’une consultation pour palpitations ou un autre motif.
OBJECTIFS
Évaluer la capacité d’un algorithme à identifier une FA à partir de la détection d’un pouls irrégulier recueilli passivement par une application installée dans une montre connectée et un téléphone portable, et automatiquement transféré sur un site internet.
MÉTHODE
Étude pragmatique de cohorte étatsunienne prospective, en ouvert à bras unique. Les sujets ayant téléchargé l’application Apple Heart Study ont été invités par email à y participer.
Pour être inclus, ils devaient être âgés d’au moins 22 ans, avoir un téléphone portable et une montre connectée de la même marque, être indemnes de troubles du rythme, et ne pas recevoir de traitement anticoagulant (autodéclaration). Ils devaient également signer un formulaire de consentement électronique sur un site internet dédié après lecture d’un document d’information, et remplir un questionnaire de sélection.
L’application téléchargée dans la montre (à porter régulièrement) informait le participant d’un éventuel pouls irrégulier et transmettait automatiquement un tracé graphique (tachogramme) sur le site internet. Le tachogramme était automatiquement analysé par un algorithme. Si ce dernier considérait que l’irrégularité du pouls était compatible avec une éventuelle FA (4), une téléconsultation avec un médecin de l’étude était organisée dans les 30 jours via le portable du participant.
Cette téléconsultation médicale avait pour objectif de s’assurer que le participant n’était pas en danger, de préciser son histoire médicale et de l’interroger sur ses éventuels symptômes et traitements. De plus, le participant recevait une information sur comment installer l’e-patch ECG ambulatoire qu’il allait recevoir par la poste et devrait porter pendant une semaine pour un enregistrement électrocardiographique continu.
En cas de symptôme inquiétant recueilli au cours de cette téléconsultation (douleur thoracique, dyspnée, syncope, etc.), le participant était incité à se rendre rapidement dans un service d’urgence, sortait de l’étude, et était invité à remplir un questionnaire 90 jours plus tard. Les sujets sans aucune notification étaient également encouragés à remplir un questionnaire trois mois après la fin de leur période de recueil de l’enregistrement du pouls.
Le cocritère de jugement principal était la proportion de sujets ayant une notification d’irrégularité du pouls ET une confirmation de FA > 30 secondes sur l’ECG ambulatoire enregistré pendant 7 jours, et la valeur prédictive positive (VPP) de la notification d’irrégularité du pouls pour la FA. Le principal critère secondaire était la confirmation d’une FA par un professionnel de santé hors étude après notification dans les trois mois après cette dernière. Tous les sujets inclus et ayant au moins une notification de pouls irrégulier ont pareillement reçu un questionnaire à remplir sur le site internet dans les 90 jours après notification.
L’analyse statistique a été faite dans la population ayant installé et mis en route l’e-ECG patch pendant au moins une heure dans les 14 jours après sa réception et l’ayant renvoyé aux chercheurs dans les 45 jours après la téléconsultation.
RÉSULTATS
En 8 mois, 419 297 volontaires ont été recrutés via le site internet. La moyenne d’âge était de 41 ans (5,9 % ≥ 65 ans, 52 % entre 22 et 39 ans) et 57 % étaient des hommes. 38 % des inclus étaient obèses, 21 % hypertendus et 4,9 % diabétiques de type 2. La durée médiane cumulée d’enregistrement du pouls par la montre connectée a été de 117 jours.
2 161 participants (0,5 %) ont reçu une notification de pouls irrégulier (3,14 % chez les ≥ 65 ans et 0,16 % chez les 22-39 ans), mais 1 711/2 161 (79,2 %) des notifiés ont « esquivé » la téléconsultation, et de ce fait, n’ont pas reçu d’e-patch ECG pour validation. L’e-patch ECG a été adressé à 658 des 945 sujets ayant participé à une téléconsultation, et 450 (soit 21 % des notifiés) ont été renvoyés aux chercheurs ET étaient analysables. Chez ces 450 sujets conformes au protocole, 153 (34 % ; IC95 % = 29-39) avaient une FA confirmée dont 20 % permanente ou une majorité avec des épisodes > 1 heure. La valeur prédictive de l’irrégularité du pouls pour la FA chez les 2 161 sujets notifiés était de 0,84. 20 patients ont directement été adressés aux urgences à l’initiative des chercheurs : 18 avec une FA > 200 bat/mn, un avec des pauses ventriculaires > 6 secondes et un autre avec une tachycardie ventriculaire paroxystique > 6 secondes.
Enfin, parmi les 417 136 participants n’ayant reçu aucune notification pendant leur période de surveillance, 293 015 (70 %) ont retourné le questionnaire de fin d’étude à 90 jours, et 3 070 de ces derniers (1,1 %) ont développé une FA documentée dans ce délai.
COMMENTAIRES
Cette étude (financée par la pomme de Cupertino, Californie) a deux premiers aspects révolutionnaires : la taille de l’effectif recruté (> 400 000) et l’absence de contact « pour de vrai » entre les participants et les chercheurs qui n’ont communiqué que via des écrans pour seulement 1 % des inclus, et via des données téléchargées sur un site internet et automatiquement analysées par un algorithme pour les autres. C’est une sorte d’étude épidémiologique virtuelle un peu bizarre, sans rencontre véritable entre les chercheurs et leur « objet » de recherche. Par ailleurs, le titre de l’article est un peu trompeur (marketing oblige), car ce n’est pas vraiment les performances de la montre connectée qui ont été évaluées, mais celles de l’algorithme qui a analysé les données collectées par la smartwatch, simple outil de recueil.
Un autre aspect révolutionnaire réside dans la quantité faramineuse (et un peu honteuse) de données manquantes, puisque 79,2 % des patients notifiés d’un pouls irrégulier n’ont pas accepté la téléconsultation, et de ce fait n’ont pas poursuivi l’étude (perdus de vue). Par ailleurs, la valeur prédictive positive de l’algorithme est faible et une proportion non négligeable (1,1 %) de sujets sans notification d’irrégularité de pouls pendant le recueil ont développé une FA documentée dans les 3 mois post-étude (faux-négatifs). Bref, même si cette étude ouvre la voie à l’évaluation de la performance des objets connectés pour dépister des maladies, ses résultats prouvent qu’aujourd’hui, il ne faut surtout pas imaginer qu’une montre connectée est capable de dépister la FA dans l’état actuel des algorithmes construits par de brillants esprits formatés aux mathématiques et à l’informatique, mais éloignés de la clinique et du soin individualisé.
Pour aller à l’encontre des conclusions des auteurs, qui défendent leurs résultats considérés comme « probants », une étude ayant aléatoirement détecté des épisodes paroxystiques de tachycardie ou de FA via des pacemakers ou des défibrillateurs implantables a montré que ces patients n’avaient pas d’augmentation du risque d’AVC ni d’autres évènements cardiovasculaires (6).
Avec le développement exponentiel des objets connectés dans la vie quotidienne (et le risque d’intrusions non consenties dans la vie privée, voire l’intimité), il est probable qu’ils prendront une place de plus en plus importante dans le dépistage, le diagnostic, la décision thérapeutique et la surveillance des maladies et des patients. Cependant, la route est longue et le chemin tortueux pour les valider. Il y a encore du travail pour améliorer le discernement des algorithmes et sélectionner les populations dans lesquelles les performances de ce type de dépistage seront optimales et sans dommages pour les patients.
Bibliographie
1. Colilla S, Crow A, Petkun W, Singer, & al. Estimates of current and future incidence and prevalence of atrial fibrillation in the U.S. adult population. Am J Cardiol 2013;112:1142-7.
2. Wolf PA, Abbott RD, Kannel WB. Atrial fibrillation as an independent risk factor for stroke: the Framingham Study. Stroke 1991;22:983-8.
3. Turakhia MP, Shafrin J, Bognar K, & al. Estimated prevalence of undiagnosed atrial fibrillation in the United States. PLoS One 2018; 13(4): e0195088.
4. Apple. Using Apple Watch for arrhythmia detection. December 2018 https://www.apple.com/healthcare/site/docs/Apple_Watch_Arrhythmia_Detec….
5. Tison GH, Sanchez JM, Ballinger B, & al. Passive detection of atrial fibrillation using a commercially available smartwatch. JAMA Cardiol 2018;3:409-16.
6. Swiryn S, Orlov MV, Benditt DG, & al. Clinical implications of brief device-detected atrial tachyarrhythmias in a cardiac rhythm management device population: results from the Registry of Atrial Tachycardia and Atrial Fibrillation Episodes. Circulation 2016;134:1130-40.
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