Diabétologie

DIABÈTE : QUELS BÉNÉFICES CV DE L’ARRÊT DU TABAC ?

Publié le 10/04/2020
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Chez les diabétiques de type 2, le tabagisme a des conséquences cardiovasculaires majeures. Une étude de cohortes a évalué l’impact de l’arrêt du tabac sur les événements cardiovasculaires et la mortalité, sachant qu’après un tel sevrage, les ex-fumeurs tendent à grossir.
Cigarette ecrasee

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Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Effets de l’arrêt du tabac et de la variation du poids sur l’incidence des événements cardiovasculaires et la mortalité des patients diabétiques de type 2: une étude de cohortes.

Smoking cessation and weight change in relation to cardiovascular disease incidence and mortality in people with type 2 diabetes: a population-based cohort study Liu G, Hu Y, Zong G & al.

Lancet Diabetes Encocrinol 7 janvier 2020.

https://doi.org/10.1016/S2213-8587(19)30413-9

CONTEXTE

Chez les patients diabétiques de type 2 (DT2), la consommation de tabac est le facteur de risque impactant le plus l’incidence des évènements cardiovasculaires (ECV) et la mortalité (1). Cependant, l’arrêt du tabac s’accompagne souvent d’une prise de poids, en moyenne 4 à 5 kg dans la première année de sevrage (2), susceptible de perturber l’équilibre glycémique et ainsi d’augmenter le risque cardiovasculaire (3). Ce délicat dilemme n’a pas été résolu par les deux précédentes études évaluant les effets de l’arrêt du tabac sur les ECV des patients avec ou sans DT2, dont les résultats étaient contradictoires et méthodologiquement fragiles (4,5).

OBJECTIF

Évaluer l’impact de l’arrêt du tabac et de la prise de poids subséquente sur les ECV et la mortalité (totale et cardiovasculaire) des patients DT2 inclus dans les cohortes prospectives de professionnels de santé états-uniens (6,7) « Nurses’Health Study » (1976-2014) et « Health Professionals Follow-Up Study » (1986-2014).

MÉTHODE

Étude rétrospective de deux cohortes prospectives dans lesquelles ont été sélectionnés les patients atteints de DT2 (fumeurs ou non fumeurs) et indemnes d’antécédent cardiovasculaire, de bronchopathie chronique obstructive et de cancer à l’inclusion. La consommation de tabac, le poids, l’alimentation et l’exercice physique ont été recueillis tous les 2 ans par auto-questionnaires. Les principaux critères de jugement étaient l’incidence des ECV (infarctus du myocarde et accident vasculaire cérébral), celles de la mortalité totale et CV selon l’ancienneté de l’arrêt du tabac (récente = 2 à 6 ans consécutifs, ou ancienne = supérieure à 6 ans consécutifs) associé à la variation du poids depuis le sevrage. L’analyse statistique a utilisé un modèle de Cox proportionnel multivarié stratifié sur la variation du poids (≤ 0 kg, 0,1-5 kg, > 5 kg) et ajusté sur les principaux facteurs confondants (âge, ancienneté et médicaments du DT2, genre, IMC, prédiabète, HTA, cholestérol, consommation déclarée d’alcool et de vitamines, etc.). Le groupe témoin était constitué des patients DT2 ayant continué à fumer. Les résultats sont présentés en hazard-ratio (HR) avec un intervalle de confiance à 95 % (IC95 %).

RÉSULTATS

Au sein des 173 229 sujets constituant les deux cohortes de professionnels de santé dont le taux de suivi était > 90 % à 30 ans, 10 809 patients DT2 (âge moyen = 62 ans) ont été inclus dans l’analyse de l’incidence des ECV et 9 688 dans celle de la mortalité. Il y a eu 2 580 ECV durant 153 166 patients/année de suivi et 3 827 décès pendant 152 811 patients/année.

Globalement, les patients sevrés récemment (2-6 ans consécutifs) avaient une réduction relative significative du risque d’ECV de 17 % comparativement à ceux qui avaient continué à fumer : HR = 0,83 ; IC95 % = 0,70-0,99 (différence absolue = 0,31 pour 100 patients/année). Cette réduction relative était de 23 % chez les patients n’ayant pas pris de poids dans les 2 à 6 ans post-sevrage : HR = 0,77 ; IC95 % = 0,62-0,95 (différence absolue = 0,48 pour 100 patients/année), mais n’était plus significative en cas de prise de poids comprise entre 0,1 et 5 kg : HR = 0,99 ; IC95 % = 0,70-1,41, ou supérieure à 5 kg : HR = 0,89 ; IC95 % = 0,62-1,23. Les résultats étaient du même ordre de grandeur si l’ECV considéré était un infarctus du myocarde ou un AVC. De leur côté, les patients sevrés depuis plus de 6 ans consécutifs avaient également une réduction relative significative du risque d’ECV de 28 % : HR = 0,72 ; IC95 % = 0,61-0,84. À titre informatif, la réduction de ce risque était plus importante (41 %) chez les patients DT2 n’ayant jamais fumé versus fumeurs actifs.

Pour la mortalité totale et CV, l’analyse a exclusivement concerné les patients sevrés depuis plus de 6 ans. Pour la première, l’arrêt ancien et prolongé du tabac a été associé à un réduction relative significative du risque allant de 31 % à 49 % quelle que soit la variation du poids. Il en était de même pour la mortalité CV à l’exception inattendue des patients n’ayant pas pris de poids du tout : HR = 0,84 ; IC95 % = 0,63-1,12 (tout petit effectif). Sur ce critère également, la réduction relative du risque a été encore plus importante (60 %) chez les patients n’ayant jamais fumé versus les fumeurs actifs.

En résumé, la prise de poids (> 0,1 kg) annule le bénéfice de l’arrêt du tabac sur l’incidence des ECV au cours des 6 premières années du sevrage. En revanche, le bénéfice de l’arrêt du tabac sur la mortalité totale et cardiovasculaire est considérable après 6 ans de sevrage, quelle que soit la variation du poids.

COMMENTAIRES

L’article de ces chercheurs chinois travaillant à Wuhan (aidés par des épidémiologistes de Boston, États-Unis) a été publié quelques semaines après le début de l’épidémie de Covid-19 dans leur pays, puis sur le reste du globe. De ce fait, il a été quelque peu éclipsé, noyé qu’il était dans les autres communications chinoises et internationales d’actualité.

Cette étude rétrospective de cohortes prospectives démontre le bénéfice relatif de l’arrêt du tabac chez les patients DT2 dans une population non représentative de la population générale (les patients étant des professionnels de santé américains), ce qui limite la transposabilité de ses résultats. Par ailleurs, elle a de nombreuses limites méthodologiques (auto-questionnaires, recueil de données tous les 2 ans, pas d’ajustement sur le contrôle glycémique, pas d’information sur la consommation de statines, date d’arrêt du tabac imprécise, populations de professionnels de santé sociologiquement homogènes non représentatives de la population européenne) qui fragilisent les résultats, surtout quand la borne supérieure de l’intervalle de confiance est à 0,99 (population globale des patients sevrés depuis 2 à 6 ans quelle que soit la variation du poids).

Malgré ses imperfections, cette analyse de deux cohortes suggère les bénéfices de l’arrêt du tabac chez les patients DT2, et illustre l’impact des variations de poids dans les 2 à 6 ans suivant le sevrage.

Si la prise de poids gomme le bénéfice de l’arrêt du tabac sur l’incidence des ECV (ce qui justifie une éducation diététique adaptée dans ce moment difficile pour le patient, qui a tendance à transformer son addiction en hyperphagie), il n’en est rien pour le risque de décès qui est toujours significativement réduit chez les patients DT2 ayant arrêté de fumer depuis au moins 6 ans par rapport aux fumeurs actifs, quelle que soit la variation du poids.

En pratique, le bénéfice à long terme de l’arrêt du tabac sur la mortalité CV et totale justifie d’être insistant sur le sevrage définitif et d’expliquer au patient pourquoi une éventuelle prise de poids peut être un inconvénient qui sera nettement contrebalancé par une diminution du risque d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral (en absence de prise de poids > 0,1 kg) et par une réduction conséquente de la mortalité à moyen terme.

Bibliographie

1. Pan A, Wang Y, Talaei M, & al. Relation of smoking with total mortality and cardiovascular events among patients with diabetes mellitus: a meta-analysis and systematic review. Circulation 2015;132:1795-804.

2. Aubin HJ, Farley A, Lycett D, & al. Weight gain in smokers after quitting cigarettes: meta-analysis. BMJ 2012;345: e4439.

3. Eeg-Olofsson K, Cederholm J, Nilsson PM, & al. Risk of cardiovascular disease and mortality in overweight and obese patients with type 2 diabetes: an observational study in 13 087 patients. Diabetologia 2009;52:65-73.

4. Clair C, Rigotti NA, Porneala B, & al. Association of smoking cessation and weight change with cardiovascular disease among adults with and without diabetes. JAMA 2013;309:1014-21.

5. Luo J, Rossouw J, Margolis KL. Smoking cessation, weight change, and coronary heart disease among postmenopausal women with and without diabetes. JAMA 2013;310:94-96.

6. Willett WC, Green A, Stampfer MJ, & al. Relative and absolute excess risks of coronary heart disease among women who smoke cigarettes. N Engl J Med 1987;317:1303-9. 7. Colditz GA, Rimm EB, Giovannucci E, & al. A prospective study of parental history of myocardial infarction and coronary artery disease in men. Am J Cardiol 1991;67:933-8.

Dr Santa Félibre (généraliste enseignant à Paris).

Source : lequotidiendumedecin.fr