INTRODUCTION
La population des plus de 70 ans augmente régulièrement en France et, en grande majorité, ces personnes souhaitent vivre le plus longtemps possible chez elles en évitant, autant que faire se peut, une institutionnalisation. Pour les aider à rester à domicile, les généralistes traitants peuvent désormais facturer chaque année quatre visites longues à 70 euros chacune (VL + MD). Les indications de ces consultations à domicile ont été élargies récemment. Outre les personnes atteintes de maladies neurodégénératives ou en soins palliatifs, désormais les patients de 80 ans ou plus et les nouveaux patients « médecin traitant » en ALD vus à domicile sont concernés. Ce moment passé dans le lieu d’habitation doit être l’occasion de s’interroger sur la recherche de signes d’un risque de dénutrition en observant l’autonomie dans le domicile, les provisions alimentaires disponibles (date de péremption, stock adapté…) et en interrogeant sur le rapport à la nourriture. La perte de goût, une cuisine simplifiée, une moindre envie de faire à manger, l’isolement social font partie des signes de maladies neurodégénératives, de dépression ou tout simplement d’une possible dénutrition. À domicile, la prévalence de la malnutrition protéino-énergétique serait de 3 % environ, chiffre qui monte à 20 % voire bien plus en institution.
DÉFINITION
La Haute Autorité de santé (HAS), qui a publié avec la Fédération française de nutrition une recommandation de bonnes pratiques sur ce sujet (fin 2021), propose une définition de la dénutrition comme l’état d’un organisme en déséquilibre nutritionnel caractérisé par un bilan énergétique et/ou protéique négatif.
Pourquoi insister sur la nutrition des plus de 70 ans ? Car le vieillissement s’accompagne d’une modification de la composition corporelle, avec une diminution de la masse maigre et une augmentation de la masse grasse. Or, la mortalité chez les personnes âgées augmente lorsque la valeur de l’IMC se situe en dessous de 22. En outre, dans un contexte de moindres sollicitations musculaires, l’âge peut s’accompagner d’une fragilité ou d’une sarcopénie (réduction de la masse et de la force musculaire). Cette dernière, indépendante du statut nutritionnel, peut être le reflet de certaines maladies plus fréquentes dans cette tranche d’âge : arthrose, maladie de Parkinson…
DIAGNOSTIC DE LA DÉNUTRITION
Différents facteurs – indépendamment ou de façon conjuguée – peuvent induire une dénutrition : un déficit d’apport protéino-énergétique, une augmentation des dépenses énergétiques totales ou une augmentation des pertes énergétiques et/ou protéiques.
Les consultations longues au domicile représentent un moment privilégié pour rechercher des signes d’amyotrophie (en particulier du quadriceps), peser le patient et apprécier la réalisation de gestes du quotidien. Dénutrition, cachexie, fragilité et sarcopénie partagent des critères diagnostiques. La présence de l’une de ces atteintes doit faire rechercher des signes en faveur d’une affection coexistante. Il faut également prendre en compte les facteurs de risque liés à une morbidité ou à des traitements suivis par le patient.
À l’issue de la consultation et lorsqu’une dénutrition est suspectée, la prescription d’un bilan nutritionnel doit être large avec une mesure de l’albuminémie, de la vitamine B12, des folates et de la ferritine, qui refléteront l’état nutritionnel global. Ce bilan devrait être réalisé annuellement afin de prévenir les conséquences cliniques.
Quelles sont les conséquences de la dénutrition ? Outre les modifications mesurables des fonctions et/ou de la composition corporelle, la dénutrition aggrave le pronostic des éventuelles maladies intercurrentes, diminue la qualité de vie et majore le risque de dépendance. Il s’installe une spirale délétère entre les causes et les conséquences de la dénutrition.
Pour la HAS, le diagnostic de dénutrition nécessite la présence d’au moins un critère phénotypique ET un critère étiologique.
Critères phénotypiques :
• perte de poids de plus de 5 % en un mois ou plus de 10 % par rapport au poids habituel ou IMC < 22 kg/m2,
• sarcopénie confirmée évaluée par une réduction de la force musculaire (5 levers de chaise en moins de 15 secondes ou estimation de la force de préhension grâce à un dynamomètre < 16 kg chez les femmes et < 27 kg chez l’homme) associée à une réduction de la masse musculaire appendiculaire (masse musculaire appendiculaire < 15 kg chez la femme et < 20 kg chez l’homme). L’estimation de la réduction de la masse musculaire peut se faire par la Dexa ou l’impédancemétrie.
Critères étiologiques :
• réduction de la prise alimentaire de plus de 50 % pendant plus d’une semaine ou toute réduction des apports pendant plus de deux semaines par rapport à la consommation alimentaire habituelle ou aux besoins protéino-énergétiques,
• absorption réduite (malabsorption/maldigestion),
• situation pathologique (avec ou sans syndrome inflammatoire) : pathologie aiguë, • pathologie chronique, pathologie maligne évolutive.
Lorsque le diagnostic de dénutrition est établi, il convient de rechercher des critères de sévérité : IMC ≤ 20 kg/m2, perte de poids de plus de 10 % en un mois ou de plus de 15 % en 6 mois ou par rapport au début d’une pathologie évolutive, ou, enfin, albuminémie ≤ 30 g/L.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’une personne en situation d’obésité peut, elle aussi, être dénutrie. Les critères phénotypiques et étiologiques s’appliquent aussi dans ce cas.
L’albuminémie L’évaluation biologique de l’état nutritionnel repose principalement sur le dosage de l’albuminémie, qui est le témoin d’une carence protéique retentissant sur les fonctions de défense de l’organisme (immunité…). La concentration plasmatique d’albumine doit cependant être interprétée en fonction du niveau de la CRP (protéine de l’inflammation) et de l’éventuelle présence d’autres causes d’hypoalbuminémie (insuffisance hépatique, syndrome néphrotique, pertes digestives). Un état infectieux et/ou inflammatoire peut en effet entraîner une baisse moyenne de 5 g/L de l’albuminémie. L’albuminémie est en outre un marqueur peu réactif de l’évolution à court terme de l’état nutritionnel compte tenu de sa longue demi-vie (environ 21 jours).
La HAS recommande une mesure de l’albuminémie par immunonéphélémétrie ou immunoturbidimétrie. L’estimation de l’albuminémie à partir de l’électrophorèse des protéines ne doit plus être utilisée. La norme est de 35 à 50 g/L. On parle de dénutrition modérée si l’albuminémie est comprise entre 30 et 35 g/L et de dénutrition sévère si elle est inférieure à 30 g/L.
LA SARCOPÉNIE
Avec le vieillissement, la masse musculaire diminue : les muscles squelettiques perdent la moitié de leur poids entre 20 et 80 ans. Le vieillissement, la diminution de l’activité physique et les maladies sont responsables de ce qui est désormais désigné sous le terme sarcopénie. Le diagnostic de la sarcopénie est aisé car l’inspection du malade permet de retrouver une amyotrophie généralisée. Pour la quantifier, une mesure des circonférences des membres et de la force musculaire segmentaire suffit. Toutefois, à l’intérieur même de la masse musculaire restante, on constate une réduction de la masse cellulaire active, remplacée par des liquides et des solides extracellulaires inertes. Le muscle est de moins bonne qualité fonctionnelle.
Dr Isabelle Catala (rédaction) et le Dr Catherine Tobie (relecture - gériatre, Boulogne-Billancourt)
BIBLIOGRAPHIE
1 - Diagnostic de la dénutrition chez la personne de 70 ans et plus. Recommandation HAS avec la Fédération Française de Nutrition, 10 novembre 2021.
2 – Leblanc A., Des dispositifs pour maintenir les patients à domicile. Le Généraliste, 29/11/2021. https://www.legeneraliste.fr/actu-medicale/dossiers-speciaux/des-dispos…
3 - Assessing the nutritional status of the elderly: The mini nutritional assessment as part of the geriatric evaluation Guigoz, Yves; Vellas, Bruno; Garry, Philip J.Nutrition Reviews; Oxford Vol. 54, N° 1, (Jan 1996): S59.
4 - Rolland Y, Vellas B. Sarcopénie : épidémiologie, causes et conséquences. Dans: Hébuterne H, Alix E, Raynaud-Simon A, Vellas B, ed. Traité de nutrition de la personne âgée. Paris: SFNEP Springer; 2009. p. 175-87.
5 - Cruz-Jentoft AJ, Bahat G, Bauer J, Boirie Y, Bruyère O, Ceder-holm T, et al. Sarcopenia: revised European consensus on definition and diagnosis. Age Ageing 2019;48:601.
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