INTRODUCTION
Les médias l’appellent la « maladie du soda », les médecins l’appellent stéatopathie métabolique. Mais que regroupe cette définition ? la stéatose ? la NASH (nonalcoholic steatohepatitis) ? la fibrose ? la cirrhose ? Difficile d’expliquer une maladie à un patient si la définition n’est même pas claire pour les médecins… Ce présent article de Mise au point rend compte des connaissances en 2022 de la stéatopathie métabolique et des dernières recommandations de la Société française d’hépatologie (AFEF) publiées en 2020 (1).
La stéatopathie métabolique ou NAFLD (Nonalcoholic Fatty Liver Disease) est définie par la présence d’une stéatose hépatique, en dehors de tout contexte de consommation excessive d’alcool, de traitement stéatogène et d’autre cause de maladie chronique hépatique. On parle de stéatopathie métabolique lorsqu’il existe une stéatose définie par un foie brillant à l’échographie abdominale.
La stéatohépatite ou NASH est une définition histologique, après ponction-biopsie hépatique (PBH). Elle est définie par la présence d’une stéatose hépatique avec inflammation lobulaire et ballonisation des hépatocytes. Elle correspond à la forme agressive de la maladie qui favorise l’accumulation de fibrose dans le parenchyme hépatique pouvant ainsi évoluer jusqu’au stade de cirrhose et ses complications.
Ainsi, en pratique courante, en l’absence de PBH, le terme de stéatopathie métabolique (ou éventuellement de stéatose) doit être utilisé.
ÉPIDÉMIOLOGIE
En France, la prévalence de la stéatopathie métabolique est évaluée à 18 % de la population générale adulte. C’est donc la deuxième cause de maladie chronique du foie après la maladie du foie liée à l’alcool. En revanche, la prévalence de la NASH et de la cirrhose liée à la NASH n’est pas connue. La stéatopathie métabolique est un diagnostic d’élimination après exclusion des autres causes de stéatose.
QUAND PENSER À UNE STÉATOPATHIE MÉTABOLIQUE ?
La stéatopathie métabolique doit être évoquée devant la mise en évidence d’une stéatose hépatique (foie brillant à l’échographie), d’une anomalie des enzymes hépatiques (élévation des transaminases et/ou de la GGT) ou d’une hyperferritinémie dans un contexte de terrain métabolique (1). La stéatopathie métabolique peut coexister avec d’autres hépatopathies chroniques et agir comme cofacteur qui augmente le risque d’atteinte hépatique.
HISTOIRE NATURELLE
La majeure partie des patients avec une stéatopathie métabolique ont une stéatose hépatique isolée, bénigne, qui ne se compliquera jamais, n'évoluant ni en NASH, ni en fibrose, ni en cancer (probablement 80 % des patients). Toutefois, en pratique clinique, un challenge pour les médecins est d’identifier, parmi la très grande population de patients avec une stéatopathie métabolique, le petit sous-groupe de patients qui développera une hépatopathie chronique avancée et qui nécessite donc une prise en charge hépatique spécialisée.
Par ailleurs, la stéatopathie métabolique est l’expression hépatique du syndrome métabolique et les accidents cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez ces patients. Une évaluation « métabolique » globale est donc souhaitable chez les patients avec stéatopathie métabolique pour diminuer la morbidité et la mortalité.
Des études longitudinales pronostiques ont cependant montré que la fibrose était la seule lésion hépatique indépendamment associée au pronostic des patients avec stéatopathie métabolique (décès, complications hépatiques). Ainsi, lors du diagnostic de stéatopathie métabolique, il est recommandé d’évaluer le degré de fibrose hépatique pour connaître le pronostic des patients.
DIAGNOSTIC NON INVASIF
En 2022, la PBH n’est pas indiquée dans le diagnostic de la NAFLD ou de la NASH. Elle est en général proposée uniquement aux patients pouvant être traités dans le cadre d’essais thérapeutiques de NASH ou lorsqu’il existe un doute diagnostique.
Il n’existe pas de méthode validée pour le diagnostic non invasif de la NASH. En revanche, pour le diagnostic de la fibrose hépatique, il existe deux grandes familles de méthodes non invasives : les marqueurs sanguins qui combinent des paramètres sanguins dans des algorithmes mathématiques plus ou moins complexes, et les appareils de mesure de l’élasticité hépatique qui calculent la dureté du foie à partir de la vitesse d’une onde élastique générée par une sonde appliquée sur la peau. Le FibroScan est l’appareil le plus couramment utilisé en France, même s’il n’est pas encore à la nomenclature dans cette indication.
Le FIB-4, marqueur sanguin simple, a l’avantage d’utiliser des paramètres clinico-biologiques disponibles très facilement (âge, plaquettes, transaminases). Son calcul est gratuit, disponible sur internet. Il est de plus en plus souvent calculé automatiquement par les laboratoires d’analyse médicale à partir du moment où une prescription de dosage des plaquettes et des transaminases a été faite par le médecin. Ce test est un test de dépistage avec un risque de faux positifs non négligeable. Ainsi, il ne doit pas être interprété dans certaines situations : patient âgé (plus de 65-70 ans), cause connue de cytolyse ou de thrombopénie, bilan sanguin réalisé lors d’un épisode aigu (infection, infarctus…). En cas de doute, il peut être contrôlé à distance, ce qui permet de diminuer le nombre de faux positifs.
Le FibroScan est l’appareil de mesure de l’élasticité hépatique le plus évalué dans la stéatopathie métabolique. Les deux seuils diagnostiques pour exclure ou au contraire affirmer une hépatopathie chronique avancée sont respectivement < 7,9 kPa et > 9,6 kPa. Une élasticité hépatique < 7,9 kPa exclut le diagnostic d’hépatopathie chronique avancée avec une excellente valeur prédictive négative (96 %) et une excellente sensibilité (89 %). La zone grise entre les deux seuils, dans laquelle le diagnostic reste indéterminé (7,9-9,6 kPa), ne concerne que 10 à 15 % des patients. Néanmoins, seulement deux tiers des patients avec un résultat > 9,6 kPa ont effectivement une hépatopathie chronique avancée (valeur prédictive positive 67 %).
Selon les recommandations de l’AFEF (1), le bilan de stéatopathie métabolique doit comprendre une évaluation non invasive de la fibrose hépatique par un marqueur sanguin et/ou une mesure de l’élasticité hépatique. Le résultat d’une méthode non invasive bas permet à lui seul d’affirmer l’absence d’hépatopathie chronique avancée (FIB-4 < 1,3). En revanche, le résultat d’un FIB-4 > 1,3 est insuffisant à lui seul pour affirmer la présence d’une hépatopathie chronique avancée. Ce résultat doit être confirmé par une mesure de l’élasticité hépatique par FibroScan (1), comme indiqué dans la figure 2.
L’autre avantage de la mesure de l’élasticité hépatique par FibroScan est qu’on peut la répéter régulièrement sans aucun risque pour le patient. Chez les patients qui ont une élasticité hépatique initiale < 8 kPa, une évaluation non invasive peut être effectuée tous les trois ans. Ce délai peut être raccourci à tous les deux ans s’il existe des facteurs de progression de la fibrose (âge supérieur à 50 ans, diabète, hypertension artérielle, syndrome métabolique, cytolyse hépatique). Chez les patients qui ont une hépatopathie chronique avancée, une évaluation non invasive annuelle est recommandée.
La figure 2 propose un parcours de soins pour la prise en charge des patients avec stéatopathie métabolique.
Enfin, rappelons que, comme pour toute maladie chronique du foie, le suivi des patients cirrhotiques doit être semestriel, avec une échographie abdominale de bonne qualité à la recherche d’un carcinome hépatocellulaire.
BILAN DE STÉATOPATHIE MÉTABOLIQUE
La stéatopathie métabolique est très fréquente chez les patients diabétiques de type 2, avec une prévalence estimée entre 45 et 75 %. Si la stéatopathie métabolique est un facteur de risque de diabète de type 2, à l’inverse, la présence d’un diabète de type 2 aggrave le risque de fibrose sévère chez les patients avec stéatopathie métabolique. Le bilan de stéatopathie métabolique doit inclure une glycémie à jeun et un bilan lipidique. Une glycémie à jeun supérieure ou égale à 1,26 g/l témoigne d’un diabète de type 2, avec nécessité d’un dosage de l’HbA1C et d’une prise en charge diabétologique spécifique. Une glycémie à jeun supérieure ou égale à 1,10 g/l et inférieure à 1,26 g/l témoigne d’un prédiabète, avec nécessité d’un renforcement des règles hygiéno-diététiques et d’un contrôle annuel de la glycémie à jeun pour dépister une éventuelle bascule vers le diabète de type 2.
Les patients avec stéatopathie métabolique ont 1,5 à 6 fois plus de risque que les patients sans stéatopathie métabolique d’avoir un événement cardiovasculaire. Les accidents cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez les patients avec stéatopathie métabolique. Les complications hépatiques (cirrhose, carcinome hépatocellulaire) sont la troisième cause, après les cancers extra-hépatiques (chez des patients avec stéatopathie métabolique, il faut donc penser à bien faire le dépistage des cancers quels qu’ils soient).
À l’heure actuelle, aucune étude n’a montré que le traitement spécifique de la stéatopathie métabolique diminuait le risque cardiovasculaire. Il n’y a pas de recommandation précise concernant le dépistage des maladies cardiovasculaires chez les patients avec stéatopathie métabolique. Pour évaluer le risque cardiovasculaire, les équations de risque peuvent être utilisées en privilégiant la table européenne Score (http://www.cardiorisk.fr). Les patients sont classés en quatre niveaux de risque : faible (< 1 %), modéré (1 à 5 %), élevé (5 à 10 %) et très élevé (≥ 10 %). Un risque cardiovasculaire élevé (5 à 10 % de mortalité cardiovasculaire à 10 ans) ou très élevé (supérieur à 10 %) nécessite un avis cardiologique. Le score calcique coronaire (CAC score), qui est un examen simple et rapide obtenu à partir d’un scanner cardiaque non injecté, peut être utilisé pour préciser le niveau de risque cardiovasculaire.
Une perturbation modérée du bilan hépatique n’est pas une contre-indication à l’utilisation des statines chez les patients avec stéatopathie métabolique.
PRISE EN CHARGE
La prise en charge des patients qui ont une stéatopathie métabolique doit bien évidemment se concentrer sur l’exploration et le traitement de la maladie hépatique mais également sur l’identification et la prévention des autres complications (métaboliques, cardiovasculaires…).
La pierre angulaire de la prise en charge de la stéatopathie métabolique est une prise en charge hygiéno-diététique, en modifiant les habitudes du patient qui ont conduit à cette pathologie. Cette prise en charge repose sur deux éléments clés : l’activité physique et les modifications des habitudes alimentaires. L’un ne va sans l’autre, en bannissant le mot « régime ». La restriction calorique couplée à une activité physique régulière peut améliorer les lésions histologiques de la NASH si ces modifications de l’hygiène de vie mènent à une perte de poids soutenue. En effet, après un an de mesures hygiéno-diététiques, une perte de poids de 5 % du poids initial est associée à une régression de la stéatose, de l’inflammation et de la fibrose (2).
Il faut favoriser l’activité physique régulière sous toutes ses formes, selon les souhaits et les possibilités du patient. La marche est la première étape de cette activité. Elle doit être insérée dans toutes les activités quotidiennes du patient : trajets professionnels, escaliers plutôt qu’escalator… Les applications mobiles permettent d’avoir une évaluation du nombre de pas quotidiens, qui doit être au minimum de 7 500 pas par jour. Ensuite, toutes les activités sportives sont utiles, qu’elles soient du fitness, de la natation ou du cyclisme.
Concernant les habitudes alimentaires, il faut jouer sur quantité et qualité. Souvent, les repas sont trop copieux ou il existe un grignotage qui est à éviter. Il faut aussi travailler sur la diminution de la consommation de sucre avec des exemples très concrets (le sucre dans le café, le chocolat le soir après le dîner, les sodas…) en conseillant un régime de type méditerranéen.
À ce jour, aucune molécule pharmacologique n’est disponible pour traiter la stéatopathie métabolique. Toutefois, il existe des dizaines d’essais thérapeutiques avec des molécules ayant diverses cibles d’action : la stéatose, l’inflammation intra-hépatique, la fibrose… Les molécules actuellement en phase 3 sont indiquées dans le tableau 2.
La chirurgie bariatrique peut mener à une diminution de la stéatose, de l’inflammation et de la fibrose en cas de NASH présente chez un sujet obèse morbide. Cette chirurgie est toutefois associée à un risque opératoire et postopératoire. Elle est contre-indiquée en cas de cirrhose décompensée ou avec hypertension portale significative. Une évaluation correcte de la sévérité de la maladie du foie est donc conseillée avant une chirurgie éventuelle chez un patient souhaitant en bénéficier pour une indication classique. Les conséquences à long terme de ce type d’opération sont également variables et mal étudiées, y compris pour le foie.
Les indications de transplantation hépatique sont les mêmes que pour les autres maladies chroniques du foie (maladie sévère décompensée ou présence d’un carcinome hépatocellulaire). La difficulté de la gestion de la transplantation hépatique dans cette indication est liée aux complications fréquentes CV et à l’obésité associées à la maladie ainsi qu’à l’éventuelle récidive de la NASH en post-greffe.
CONCLUSION
La stéatose hépatique est une maladie du foie sans gravité chez la majorité des patients. En revanche, dans environ 20 % des cas, la stéatose évolue vers la NASH avec le risque de fibrose, de cirrhose ou de cancer. Il est donc majeur de diagnostiquer ces patients à risque de complications car leur prise en charge permet de modifier l’histoire naturelle de la maladie. De nombreux outils de diagnostic non invasifs de la stéatose et de la fibrose hépatique sont maintenant disponibles pour le médecin généraliste. Il en est de même pour la prise en charge thérapeutique, qui repose sur des règles hygiéno-diététiques à mettre en place et à suivre par le médecin traitant.
Pr Victor de Lédinghen (unité d’hépatologie et de transplantation hépatique, hôpital Haut-Lévêque, CHU Bordeaux & Inserm U1312, Université de Bordeaux. Hôpital Haut-Lévêque, avenue de Magellan, 33600 Pessac, victor.deledinghen@chu-bordeaux.fr, 05 57 65 69 95)
BIBLIOGRAPHIE
1. Boursier J, Guillaume M, Bouzbib C, Lannes A, Pais R, Smatti S, et al. Non-invasive diagnosis and follow-up of non-alcoholic fatty liver disease. Clin
Res Hepatol Gastroenterol. 2022;46(1):101769.
2. Vilar-Gomez E, Martinez-Perez Y, Calzadilla-Bertot L, Torres-Gonzalez A, Gra-Oramas B, Gonzalez-Fabian L, et al. Weight Loss Through Lifestyle Modification Significantly Reduces Features of Nonalcoholic Steatohepatitis. Gastroenterology. 2015;149(2):367-78 e5;
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