INTRODUCTION
Les pathologies proctologiques sont très fréquentes en population générale puisque, dans une étude interrogeant systématiquement les patients venant consulter leur médecin généraliste (1), 14 % déclaraient une plainte anale alors qu’ils n’étaient que 2 % à consulter pour ce motif. En plus du tabou des patients et des praticiens, peuvent s’ajouter les difficultés diagnostiques autour de ces pathologies dont l’enseignement reste encore souvent insuffisant. Les lésions anales sont le plus souvent bénignes mais un retard diagnostic ou une mauvaise prise en charge peuvent avoir des conséquences majeures sur la vie de nos patients (incontinence anale, retard diagnostic aggravant le pronostic d’un cancer, suppuration simple devenant complexe…). L’objectif de cet article de Mise au point est de proposer une revue synthétique des principales lésions anales, du diagnostic à la prise en charge.
INTERROGATOIRE ET EXAMEN CLINIQUE
Un interrogatoire et un examen clinique minutieux – examen de la marge anale avec déplissement des plis radiés et toucher anal – permettent de faire un diagnostic dans la grande majorité des cas. Il ne faut jamais donner un traitement (et surtout pas des AINS) sans avoir au préalable examiné le patient et éliminé un abcès et un cancer de l’anus, qui sont les lésions à ne pas manquer. L’interrogatoire s’attachera à connaître l’existence d’une douleur (rythmée par les selles ou permanente), d’une tuméfaction anale, d’un prolapsus, de saignements ou de glaires et permet d’orienter le diagnostic, qui sera confirmé par l’examen clinique. Un algorithme d’aide au diagnostic est proposé ci-dessous.
LA PATHOLOGIE HÉMORROÏDAIRE
Les thromboses hémorroïdaires externes
Elles sont très fréquentes, toujours bénignes et résolutives en quelques semaines. Elles peuvent laisser place à des marisques résiduelles.
• Signes fonctionnels : les patients se plaignent d’une tuméfaction anale douloureuse, d’apparition brutale, permanente et non rythmée par la défécation.
• Examen clinique : il met en évidence une ou plusieurs tuméfactions de la marge anale, souvent bleutée et plus ou moins œdémateuse.
• Prise en charge : le traitement est avant tout médical. Après avoir formellement éliminé un abcès, il est basé sur la prescription d’AINS, d’antalgique et de topique (contenant corticoïde et anesthésiant locaux) pour 5 à 7 jours. Dans les cas (finalement rares) où la thrombose est unique, peu œdématiée et douloureuse, une incision peut être réalisée. Elle peut se faire au cabinet avec une lame froide après anesthésie locale (2).
• Attention : ne pas prescrire un AINS sans avoir formellement éliminé un abcès ! Ne pas inciser une thrombose œdémateuse (photo 1a), ni une polythrombose interne extériorisée, ni les patients sous anticoagulant ou antiagrégant (hors aspirine).
• Prévention : uniquement la régulation du transit.
La pathologie hémorroïdaire interne
• Signes fonctionnels : les principales plaintes sont des saignements de sang rouge indolores et/ou un prolapsus anal qui doit parfois être réintégré manuellement par le patient. Il est important de noter que la pathologie hémorroïdaire interne (sauf cas rare de paquet ulcéré ou de fissure associée) n’est pas douloureuse. Les patients peuvent également rapporter un prurit anal, des suintements ou une congestion anale.
• Examen clinique : en dehors du grade 4 (procidence permanente irréductible), l’examen de la marge anale et le toucher anal seront normaux et seule une anuscopie permettra de visualiser l’aspect des hémorroïdes internes.
• Prise en charge : le point essentiel est la régulation du transit, car les selles dures et les efforts de poussées sont les seules causes démontrées de la pathologie. Les topiques (avec ou sans corticoïde-anesthésiant) peuvent être utilisés en cure courte, ainsi que les phlébotropes (dont l’efficacité reste débattue) (3). Au cas par cas, en fonction du stade et des souhaits du patient, des traitements instrumentaux (infrarouge, ligature élastique) ou chirurgicaux (techniques mini-invasives ou hémorroïdectomie) peuvent être proposés.
• Attention : ne pas oublier de préconiser une coloscopie en cas de rectorragies, surtout après 40/50 ans.
• Prévention : la régulation du transit est capitale, avec pour objectif des selles moulées molles en moins de 3 minutes et sans pousser !
LA FISSURE ANALE
C’est la première cause de douleurs anales et la deuxième pathologie proctologique en fréquence. Elle est liée, le plus souvent, à la constipation.
• Signes fonctionnels : le diagnostic peut quasiment se faire à l’interrogatoire devant une douleur anale (pouvant être très intense) déclenchée par la défécation, associée à des saignements anaux de sang rouge, le plus souvent à l’essuyage.
• Examen clinique : l’examen soigneux et attentif de la marge anale met en évidence une perte de substance en raquette, le plus souvent postérieure mais parfois antérieure. Une hypertonie anale est souvent associée. En cas de fissure chronique, on peut constater une marisque sentinelle au niveau de la marge anale (photo 2) et une papille hypertrophique dans le canal anal (palpable au toucher et visible seulement en anuscopie).
• Prise en charge : la régulation du transit est une fois encore le cœur de la prise en charge (encadré 2), avec pour objectif des selles moulées molles afin de stopper le traumatisme et de prévenir la récidive. On y associe des topiques cicatrisants (par exemple : Titanoréïne® suppositoire + Bepanthen® pommade) ainsi que des antalgiques. La cicatrisation des fissures est lente et ce traitement médical doit être prescrit pour 2 mois au minimum, avec vérification de la cicatrisation. Le traitement médical est efficace dans plus de 50 % des cas. En deuxième intention, notamment en présence d’une hypertonie anale, des dérivés nitrés (Rectogesic®, non remboursé) ou une préparation magistrale à base d’inhibiteur calcique peuvent être prescrits pour 4-8 semaines. En cas d’échec du traitement médical ou de fissure infectée, une chirurgie sera proposée (fissurectomie le plus souvent).
• Attention : toute fissure « atypique », c’est-à-dire latérale, inflammatoire, ne cicatrisant pas doit faire l’objet d’un avis spécialisé pour éliminer les diagnostics différentiels (IST, carcinome épidermoïde, maladie de Crohn, tuberculose…).
• Prévention : la régulation du transit.
LES SUPPURATIONS ANALES ET PÉRI-ANALES
Il s’agit de suppurations aiguës (abcès) et/ou chroniques (fistules qui correspondent au drainage spontané de l’abcès) dont l’origine peut être anale ou extra-anale (sinus pilonidal, maladie de Verneuil, etc.).
Abcès et fistules anales
• Signes fonctionnels : les patients se plaignent d’une tuméfaction anale douloureuse, permanente, volontiers pulsatile et insomniante, sans lien avec la défécation. En cas de fistule, la plainte est plus discrète, avec souvent la description d’un « bouton anal » chronique avec suintement de pus.
• Examen clinique : en cas d’abcès, on met en évidence une tuméfaction péri-anale rougeâtre. À noter, les cas rares, mais de diagnostic difficile, d’abcès intramuraux (situés entre le sphincter interne et externe) avec une marge anale normale et qui ne se palpent qu’au toucher anal (bombement douloureux dans le canal anal). En cas de fistule, on observe un orifice externe +/- bourgeonnant (photo 3b) par lequel peuvent s’écouler quelques gouttes de pus, et la palpation entre le pouce et l’index peut permettre de sentir le trajet partant vers l’anus.
• Prise en charge : l’antibiothérapie (non systématique) n’a un rôle que suspensif, en attendant une prise en charge curative qui ne peut être que chirurgicale. Le traitement en urgence des abcès de la marge repose sur le drainage, qui peut se faire au cabinet avec une simple lame froide après anesthésie locale. Les patients souffrant de suppurations doivent être adressés au proctologue pour une prise en charge chirurgicale.
• Attention : ne pas confondre thrombose hémorroïdaire et abcès ! Les suppurations anales sont une contre-indication aux AINS (en raison du risque de gangrène de Fournier).
Sinus pilonidal infecté
Il s’agit de l’infection d’une fossette du sillon interfessier suite à l’accumulation de débris pilaires.
• Signes fonctionnels : la plainte principale est une tuméfaction douloureuse du sillon interfessier plus ou moins associé à des écoulements purulents. L’évolution peut se faire sous forme de poussée ou de façon chronique.
• Examen clinique : on observe une tuméfaction du sillon interfessier, avec parfois des orifices externes à distance. L’examen attentif du sillon permet de visualiser des « fossettes » pathognomoniques pouvant contenir des poils.
• Prise en charge : en cas d’abcès, une incision en consultation sous anesthésie locale permet de soulager rapidement le patient. Le traitement curatif est uniquement chirurgical, à privilégier « à froid » et seulement en cas de gêne ou récidive significative. La technique la plus efficace est la technique d’exérèse à ciel ouvert, nécessitant 3 semaines d’arrêt de travail et 3 à 4 mois de cicatrisation dirigée.
TRAITER LA CONSTIPATION
• Objectif : obtenir des selles moulées molles en moins de 3 minutes.
• Règles hygiéno-diététiques : augmenter la quantité de fibres alimentaires avec des céréales complètes (pain complet, son d’avoine), des légumes secs (petits pois, lentilles, pois cassés, pois chiches…) et des fruits secs (pruneaux, amandes, dattes, figues…), privilégier les eaux riches en magnésium, utiliser un marche-pied aux toilettes pour effacer l’angle ano-rectal et limiter les efforts de poussée.
• Laxatifs : privilégier les laxatifs osmotiques (comme le macrogol) et/ou les mucilages (comme l’ispaghul) en première intention et en augmentant progressivement la dose (avec les osmotiques) pour avoir des selles moulées molles. Les laxatifs stimulants, irritants (bisacodyl, séné…) et les laxatifs lubrifiants (paraffine) sont à proposer en seconde intention.
• Dyschésie terminale : proposer des suppositoires évacuateurs type glycérine ou Éductyl®. En cas de dyschésie importante malgré des selles molles,
réaliser une manométrie ano-rectale à la recherche d’un anisme (contraction paradoxale de l’anus lors de la défécation) qui se rééduque par biofeedback.
LES LÉSIONS À HPV ET AUTRES IST
Les condylomes
Les condylomes sont des lésions liées aux papillomavirus humains (HPV) visibles macroscopiquement.
• Signes fonctionnels : le plus souvent, les patients consultent pour l’apparition d’une tuméfaction anale non douloureuse ou d’un prurit. La découverte de condylomes peut également être fortuite et asymptomatique.
• Examen clinique : dans la forme typique, on observe des lésions acuminées et verruqueuses plus ou moins étendues qui peuvent concerner la marge anale, le canal anal et les organes génitaux externes (photo 4). Parfois, les condylomes peuvent être moins évidents, avec des formes planes granitées ou brunâtres.
• Prise en charge : la présence de condylomes de la marge anale nécessite la réalisation d’une anuscopie pour visualiser une éventuelle atteinte canalaire. Les possibilités thérapeutiques médicales sont l’imiquimod en application locale (2 à 3 applications par semaine, pour une durée de 12 à 16 semaines par cure) et la podophyllotoxine pour des lésions peu nombreuses et de petite taille. Leur tolérance peut être médiocre avec des réactions locales pouvant nécessiter l’espacement des prises ou l’arrêt complet. Les condylomes peuvent également être traités par cryothérapie (marge anale uniquement) ou au bistouri électrique sous anesthésie locale ou générale selon l’étendue des lésions. Les récidives sont très fréquentes et nécessitent un suivi régulier et souvent prolongé.
• Attention : ne pas oublier de rechercher les autres IST (sérologies VIH, VHB, VHC, syphilis, et PCR chlamydia et gonocoque), de proposer un dépistage gynécologique chez les femmes et de conseiller un dépistage du (des) partenaire(s) du fait de la contagiosité. Il faut également conseiller l’arrêt du tabac (qui favorise la dysplasie et la récidive).
• Prévention : le vaccin Gardasil®9 est désormais recommandé chez les filles et garçons à partir de 11 ans, avec un rattrapage jusqu’à 19 ans révolus, et 26 ans chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Il protège en effet des souches 6 et 11, qui sont responsables de la majorité des condylomes acuminés. Le préservatif n’est pas suffisamment efficace en prévention car les caresses intimes suffisent à sa propagation.
Le cancer anal
Le cancer de l’anus est un carcinome épidermoïde viro-induit par les HPV oncogènes (HPV 16, 18…). C’est un cancer rare, touchant principalement la femme de la soixantaine et l’homme VIH + ayant des rapports sexuels avec des hommes.
• Signes fonctionnels : ils sont peu spécifiques. Les patients consultent souvent pour « hémorroïdes », rectorragies, tuméfaction ou douleur anale.
• Examen clinique : les formes cliniques sont très variables, allant de l’ulcération atone à des formes pseudo-fissuraires ou bourgeonnantes. Le diagnostic est évoqué devant l’aspect infiltré de la lésion au toucher et confirmé par une biopsie.
• Prévention : la vaccination par Gardasil®9, le dépistage des patients à risques (VIH +, HSH ou ayant des antécédents de lésion à HPV) et l’arrêt du tabac.
L’ano-rectite à Chlamydiae et/ou à gonocoque
• Signes fonctionnels : la symptomatologie est souvent bruyante avec des diarrhées glairo-sanglantes et un syndrome rectal (faux besoin, épreintes, polychésie) dans un contexte de rapport anal non protégé.
• Examen clinique : l’examen de la marge anale peut parfois mettre en évidence des fissures atypiques creusantes, et l’anuscopie montre une rectite ulcérée et purulente souvent très intense pouvant faire évoquer une MICI ou une lésion tumorale. Il peut s’y associer des adénopathies inguinales. Pour établir le diagnostic, il faut demander une PCR chlamydia et gonocoque sur écouvillon rectal. Celles-ci se réalisent en laboratoire de ville.
• Traitement : devant une forte suspicion clinique et un tableau bruyant, le traitement peut être débuté avant les résultats des PCR en prescrivant une injection IM unique de ceftriaxone 1 g (traitement du gonocoque) et de la doxycycline 100 mg per os matin et soir (traitement du Chlamydiae) jusqu'au résultat du test. En cas de Chlamydiae confirmé, il faut poursuivre le traitement par doxycycline 21 jours.
• Prévention : utilisation du préservatif et dépistage des populations à risque.
Les autres IST anales
Une ulcération de la marge anale doit faire évoquer un chancre syphilitique. Des lésions de la marge anale vésiculeuses ou ulcérées parfois discrètes, souvent très douloureuses, doivent faire évoquer de l’herpès anal. Si le diagnostic clinique n’est pas évident, une PCR HSV sur écouvillon peut être demandée.
LES AUTRES LÉSIONS BÉNIGNES DE LA MARGE ANALE
Les marisques
Les marisques (photo 2) sont des excroissances de peau péri-anale pouvant faire de quelques millimètres à plusieurs centimètres. Elles sont séquellaires le plus souvent d’une thrombose hémorroïdaire, d’une fissure anale ou d’une chirurgie anale. Les marisques sont souples, indolores et sans potentiel évolutif. Les patients peuvent s’en plaindre du fait d’une gêne à l’essuyage ou d’une gêne esthétique notamment en lien avec leur vie sexuelle. L’ablation en consultation ou au bloc opératoire est possible mais le résultat esthétique ne peut être garanti, la plaie pouvant cicatriser en redonnant une marisque.
La folliculite sébacée anale
Il s’agit d’une dermatose relativement fréquente et bénigne de la marge anale. L’examen de la marge anale met en évidence de multiples tuméfactions millimétriques et contenant un sébum jaunâtre compact. En cas de gêne, ces lésions peuvent être évacuées à l’aide d’une petite incision à la lame froide.
BIBLIOGRAPHIE
1. Tournu G, Abramowitz L, Couffignal C, Juguet F, Sénéjoux A, Berger S, et al. Prevalence of anal symptoms in general practice: A prospective study. BMC Fam Pract [Internet]. 2017 Aug 3 [cited 2021 Apr 11];18(1). Available from: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28774265/
2. Anne Laurain, Laurent Abramowitz. Les urgences proctologiques en médecine générale. Le Généraliste FMC. 2020; n°2922.
3. Higuero T, Abramowitz L, Castinel A, Fathallah N, Hemery P, Laclotte Duhoux C, et al. Guidelines for the treatment of hemorrhoids (short report). J Visc Surg [Internet]. 2016 Jun 1 [cited 2021 Apr 11];153(3):213–8. Available from: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27209079/
4. Vitton V, Damon H, Benezech A, Bouchard D, Brardjanian S, Brochard C, et al. Clinical practice guidelines from the French National Society of Coloproctology in treating chronic constipation. Eur J Gastroenterol Hepatol [Internet]. 2018 [cited 2021 Apr 11];30(4):357–63. Available from: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29406436/
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