Pédiatrie

DOULEUR DE L’ENFANT : QUELLES ALTERNATIVES À LA CODÉINE ?

Publié le 18/03/2016
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Suite à des événements indésirables graves, la place de la codéine en pédiatrie s’est considérablement réduite. La HAS vient de mettre en ligne une fiche mémo sur les alternatives disponibles.

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Crédit photo : GARO/PHANIE

HARO SUR LA CODÉINE ?

Jusqu’à récemment, la codéine était prescrite, largement et avec confiance, dès 1 an, soit d’emblée dans les douleurs d’intensité modérée à intense, soit secondairement dans les douleurs ne répondant pas aux antalgiques de palier 1 seuls.

→ La codéine est une pro-drogue, métabolisée en morphine via le cytochrome P450 2D6. Ce cytochrome présente un polymorphisme génétique large (plus de 100 variants génétiques), pouvant générer une trop faible quantité de morphine chez les « métaboliseurs lents » (5-10%), ou trop importante chez les « métaboliseurs rapides » (3,6-6,5 %des Caucasiens) ou « ultra-métaboliseurs ». C’est principalement dans la population de patients métaboliseurs ultrarapides qu’ont été rapportés les dix décès et trois insuffisances respiratoires aiguës sévères survenus entre 1969 et 2012, à l’origine des restrictions d’AMM de la codéine en France.

→ En effet, depuis avril 2013, l’ASNM recommande de :

- ne plus utiliser la codéine avant 12 ans ;
- n’utiliser la codéine après 12 ans qu’après échec du paracétamol et/ou d’un AINS ;
- ne plus utiliser la codéine dans les suites d’une amygdalectomie ou adénoïdectomie ;
- ne plus prescrire de codéine à la femme qui allaite.

→ Cela n’est pas sans poser des difficultés. Les otites moyennes aiguës et les stomatites (où la codéine était prescrite dans 80 % des cas) sont les situa-tions cliniques qui mettent le plus en difficulté la pédiatrie ambulatoire. Une étude observationnelle montrait qu’en cas d’otite moyenne aiguë, le report de prescription s’était orienté vers l’ibuprofène ; pour les gingivostomatites, seulement à 20 % vers du tramadol ou de la morphine. C’est dans ce contexte que la Haute autorité de santé vient de publier une fiche pratique sur les alternatives à la codéine dans des situations de pratique courante.
 

LA MOLÉCULE IDÉALE ?

La recommandation de la Haute Autorité de santé rappelle que l’éducation des prescripteurs comme des pharmaciens et des familles est un prérequis toujours nécessaire : dans la pratique, plutôt qu’un surdosage, c’est plutôt un sous-dosage des antalgiques par rapport à la douleur de l’enfant qui est observé.

En remplacement de la codéine, aucune molécule  « idéale » ne se démarque. Il s’agit d’une prescription « au cas par cas », en portant une attention particulière à la situation à risque que représente  l’enfant souffrant de syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) sévère, surtout en post-amygdalectomie, ou toute situation entraînant une obstruction des voies aériennes ou une dépression respiratoire.

Le paracétamol

En première intention, le paracétamol concerne les douleurs faibles à modérées, par exemple celle de la pharyngite, ou lors du retour à domicile après une cure de hernie inguinale unilatérale (les antalgiques ne sont généralement plus nécessaires à partir de J+3 post-opératoire).*

L’ibuprofène 

A la posologie de 20-30 mg/kg/j en 3 ou 4 prises, l'ibuprofène est l’AINS à recommander en première intention dans la plupart des douleurs aiguës modérées à intenses. Le rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé de 2012 précise qu’« aucun autre AINS n’a été suffisamment étudié en pédiatrie, en termes d’efficacité et de sécurité, pour être recommandé comme une alternative à l’ibuprofène » et que « l’ibuprofène a montré une efficacité supérieure à celle du paracétamol dans la douleur aiguë ».

Dans certaines situations comme la traumatologie et certaines douleurs postopératoires, les AINS ont montré une efficacité supérieure aux antalgiques de palier 2, voire 3, contrairement à l’idée implicite induite par la classification des paliers de l’Organisation Mondiale de la Santé.

Prescrit aux posologies recommandées et pour une durée courte (48-72 heures), les effets indésirables de l’ibuprofène sont rares. En France, la peur de l’utilisation des AINS est importante et en grande partie infondée. D’après des cohortes de plusieurs dizaines de milliers d’enfants, le profil de sécurité de l’ibuprofène, à ces doses et en cure courte, est cependant comparable à celui du para-cétamol, y compris pour le risque de saignement digestif.

→ L’ibuprofène peut par exemple être utilisé sans crainte chez l’asthmatique (sauf chez les 2 % d’enfants asthmatiques dont la maladie est exacerbée par l’aspirine).

→ Seules certaines situations particulières doivent rester l’objet de « précautions » : varicelle (même si aucun lien de causalité n’a pu être prouvé) ; infection pulmonaire ou ORL sévère, infection bactérienne sévère, infection cutanée ou des tissus mous (malgré l’absence d’études cliniques montrant un lien entre l’utilisation des AINS et des risques majorés d’infection).

En cas de risque hémorragique ou trouble de la coagulation, la balance bénéfice/risque doit être évaluée. Enfin, en dehors des rares néphrites interstitielles immunoallergiques, les atteintes rénales n’existent que dans un contexte de déshydratation.

→ Les contre-indications absolues aux AINS sont clairement établies :

-  insuffisance rénale, hépatique ou cardiaque sévère ;
- antécédents d’hémorragie ou de perforation digestive au cours d’un précédent traitement par AINS ;
- hémorragie gastro-intestinale, hémorragie céré-bro-vasculaire ou autre hémorragie en évolution ;
- ulcération gastro-duodénale.

L'association paracétamol/ibuprofène

En cas d’insuffisance d’efficacité du paracétamol seul ou de l’ibuprofène seul (pharyngite, traitement ortho-dontique, traumatologie…), c’est leur association, et non leur alternance, qui est recommandée.

Un exemple des plus courants est celui de  l'otite moyenne aiguë, dont la prise en charge  repose prioritairement sur le soulagement de la  douleur, qu’un traitement antibiotique soit nécessaire ou non. La douleur associée à une otite moyenne aiguë peut être importante les premiers jours et persiste souvent plus longtemps chez les jeunes enfants. Le traitement antibiotique de l'otite moyenne aiguë ne réduit pas significativement la douleur dans les 24 première heures et, même après 3 à 7 jours,  la douleur et/ou la fièvre peuvent persister chez 30 % des enfants de moins de 2 ans.

En revanche, les antalgiques soulagent la douleur dans les 24 heures et doivent être débutés précocement, qu’un traitement antibiotique soit prescrit ou non. Le paracétamol et/ou l’ibuprofène sont  les antalgiques recommandés ; ils doivent être continués aussi longtemps que nécessaire. Les anesthésiques locaux  apportent un bénéfice supplémentaire ajouté au paracétamol mais il reste passager, chez les enfants de plus de 5 ans. En cas de douleur intense, le tramadol voire la morphine orale peuvent être requis.  

Le tramadol

Antalgique de palier 2, le tramadol (1 voire 2 mg/kg/prise, toutes les 6-8h) peut être recommandé comme alternative à la codéine à partir de 3 ans, dans la prise en charge d’une douleur intense d’emblée, ou en cas d’échec du paracétamol et de l’ibuprofène.

→ Les formes à libération immédiate sont actives au bout de 30-60 minutes, pour une durée de 4 à 6 heures. Une goutte contient 2,5 mg de tramadol.

→ Néanmoins, son métabolisme suivant en partie la même voie que la codéine via le cytochrome P450 2D6 et des événements indésirables graves peuvent potentiellement survenir. L'étude génotypique du cytochrome P450 2D6 pourrait être envisagée pour les patients à risque ou dans certaines situations cliniques de douleurs récurrentes (crises vaso-occlusives de la drépanocytose…), mais comme il n’existe pas de stricte concordance entre le génotype et le phénotype, tous les événements indésirables graves  ne pourront être évités.

→ En France, l’analyse des données de vente du Groupement pour l'Elaboration et la Réalisation de Statistiques  a montré une forte augmentation des ventes en libéral de tramadol entre juin 2013 et juin 2015 versus janvier-mai 2013 (Contramal® +71 % et Topalgic® +102 %). À noter que dans d’autres pays européens, comme la Belgique, le tramadol possède l’AMM à partir de 1 an et non 3 comme en France.

La morphine orale

Enfin, la morphine orale (0,2 mg/kg/prise, 6 fois par jour) est recommandée dans la prise en charge des douleurs intenses ou en cas d’échec d’antalgiques moins puissants.  Des formes galéniques adaptées à l’enfant doivent être mises sur le marché, en particulier pour les enfants les plus petits et les traite-ments de courte durée, car les flacons actuels avec compte-gouttes (1 goutte = 1,25 mg de morphine) contiennent de grandes quantités de morphine (320 gouttes = 400 mg de morphine !).
Parmi les dosettes (Oramorph®), seule la forme 10 mg/5mL doit être utilisée chez l’enfant.

→ Les enfants doivent être surveillés par un soignant pendant 1 heure, en particulier après la première administration. De faibles doses doivent être proposées initialement (0,1 mg/kg/prise) pour les enfants de moins de 1 an chez qui la surveillance sera renforcée.

 

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DES PERSPECTIVES HORS AMM…

→ Deux molécules pourraient être proposées dans des situations où les autres traitements seraient un échec, contre-indiqués ou entraîneraient des événe-ments indésirables graves.

Toutefois, leur utilisation en pédiatrie nécessite des études :

- la nalbuphine (AMM en France à partir de 18 mois mais d’un usage courant dès la période néonatale), est très utilisée en France par voie intraveineuse et plus rarement par voie intrarectale (hors AMM) ; la voie orale pourrait être également utilisée dans des situations à préciser. Elle pourrait présenter une bonne tolérance respiratoire du fait de son effet plafond ;

- l’oxycodone est citée dans la littérature en alterna-tive à la codéine dans certaines situations cliniques. Elle a fait l’objet d’études pédiatriques mais n’a pas d’AMM pédiatrique en France.

→ La Haute Autorité de santé ne précise pas la place du néfopam, qui, bien que faisant l’objet d’un usage récent (hors AMM) en pédiatrie, n’est pas l’objet de littérature pédiatrique.

 

 
Dr Julie Van Den Broucke (médecin généraliste, Paris)

Source : lequotidiendumedecin.fr