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DU BIEN-FONDÉ DES RECOMMANDATIONS

Publié le 23/03/2018
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Les données de la science triées et proposées dans les recommandations sont-elles d’un haut niveau de preuve et cliniquement pertinentes pour les patients vus en soins primaires ? Aux États-Unis, moins de 20 % des guidelines destinées aux GPs remplissent ces critères.
Prescription

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Crédit photo : GARO/PHANIE

Décryptage de l'étude du BMJ Evidence-Based Medicine intitulé "Les données de la science sont-elles pertinentes pour argumenter les pratiques en soins primaires ? "
(Ebell MH, Sokol R, Lee A et al. How good is the evidence to support primary care practice ? Evid Based Med 2017;22:88-92.)

CONTEXTE

La médecine basée sur des faits probants indique que tout médecin devrait fonder ses décisions sur des données scientifiques indemnes de biais, adaptées à la situation clinique du patient et tenir compte de ses préférences et valeurs après information loyale (1). En médecine générale, il est impossible d’être au fait de l’actualité de toutes les données scientifiques. Compte tenu de cette réalité intangible, les données de la science théoriquement pertinentes sont accessibles dans les recommandations pour argumenter la pratique (littérature secondaire). Dès lors, la question est de savoir si les données des recommandations sont cliniquement pertinentes pour les patients et si elles sont d’un haut niveau de preuve.

OBJECTIFS

Vérifier que les recommandations destinées à la médecine générale sont basées sur des critères cliniques importants pour les patients (mortalité, morbidité, symptômes, qualité de vie) et qu’elles bénéficient d’un haut niveau de preuve.

MÉTHODE

→ Analyse descriptive d’une base électronique de recommandations de référence validée pour la médecine générale aux États-Unis (2). Chaque recommandation a été gradée selon la grille (3) Strength of Recommendation Taxonomy (SORT) qui évalue la pertinence clinique (pour le patient) des données scientifiques ET leur validité (niveau de preuve). Une preuve est considérée comme pertinente si elle est “centrée patient”, et non centrée maladie ou basée sur un critère intermédiaire, et si le risque de biais des études dont elle est issue est faible. SORT classe les recommandations en trois catégories (voir encadré).

→ Deux des auteurs ont indépendamment analysé toutes les recommandations de tous les chapitres de la base électronique. Les divergences ont été arbitrées par le premier auteur.

TROIS CATÉGORIES DE RECOS (étude SORT)

A- Recommandation basée sur un critère cliniquement pertinent pour le patient ET sur des études de bonne qualité méthodologique (risque de biais faible).

B- Recommandation basée sur un critère intermédiaire (surrogate) OU sur des études de qualité méthodologique douteuse et critiquable.

C- Recommandation basée sur un consensus d’expert, une pratique considérée comme “usuelle”, des opinions ou des séries de cas.

RÉSULTATS

Les 721 chapitres de la base électronique contenaient 3 251 recommandations, concernant (non exclusivement l’un(e) de l’autre) la thérapeutique (71 %), le diagnostic (61 %), le pronostic (50 %) et la prévention (30 %). Parmi ces 3 251 recommandations, 18 % ont été classées en A (cliniquement pertinente avec un haut niveau de preuve), 34 % en B (douteuse) et 49 % en C (fragile). Les disciplines ayant le plus de recommandations A étaient l’obstétrique, la cardiologie et la psychiatrie. À l’inverse, les disciplines en ayant le moins étaient l’hématologie, la rhumatologie et la toxicologie.

COMMENTAIRES

Publié dans une petite revue filiale du BMJ, ce simple travail descriptif de généralistes américains est très original. Globalement, moins de 20 % des recommandations destinées à la médecine générale reposent à la fois des critères cliniques de morbimortalité importants pour les patients ET sur un haut niveau de preuve. À la décharge de ce constat, il faut admettre que les essais randomisés sur critères cliniques en soins primaires sont rares, car très difficiles à réaliser. Par ailleurs, ces essais classiques sont des dispositifs expérimentaux qui par nécessité incluent des populations hypersélectionnées sur de nombreux critères d’inclusion et de non-inclusion. De ce fait, les populations incluses ont un profil éloigné de celles soignées dans la vraie vie, ce qui soulève la question de la transposabilité de leurs résultats.

Il serait judicieux de faire la même étude en France avec les recommandations de la HAS. À titre d’exemple (non représentatif), dans l'étude récente (4), qui porte sur la stratégie thérapeutique du contrôle glycémique du diabète de type 2, aucune des 58 préconisations n’est de niveau SORT A, 4 sont de niveau B et 54 de niveau C. En pratique, il est bon de surveiller les nouvelles publications scientifiques pertinentes pour la médecine générale, et de privilégier les essais dont les résultats ont démontré un réel bénéfice clinique pour les patients avec un haut niveau de preuve (ce qui est l’objectif premier de cette rubrique Études et Pratiques), et de bien vérifier que les recommandations reposent sur les arguments cliniques solides et importants aux yeux des patients.

Bibliographie

1- Sackett DL, Rosenberg WM, Gray JA, et al. Evidence based medicine: what it is and what it isn't. BMJ 1996;312:71-2.  

2- http://www.essentialevidenceplus.com  

3- Ebell MH, Siwek J, Weiss BD, et al. Strength of recommendation taxonomy (SORT): a patient-centered approach to grading evidence in the medical literature. Am Fam Physician 2004;69:59-67.

4- Stratégie médicamenteuse du contrôle glycémique du diabète de type 2. https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1022476/fr/strategie-medicament…


Dr Santa Félibre (Généraliste enseignant, Paris)

Source : Le Généraliste: 2828