Alors que les bilans d’orthophonie dépendent d’une prescription médicale, malheureusement, trop souvent, l’orientation vers l’orthophoniste est conseillée directement par l’enseignant, et c’est sans réelle consultation médicale initiale ni évaluation de la plainte que la prescription est faite.
En effet, les médecins généralistes n’ont que peu (voire pas) de formation sur les troubles des apprentissages et reconnaissent ne pas posséder les connaissances nécessaires (1) ni les outils (2) pour juger de l’opportunité d’orienter vers une prise en charge spécialisée. C’est donc le plus souvent en répondant à la demande des enseignants que le médecin indique un bilan orthophonique et une rééducation si nécessaire, sans en avoir vérifié la réelle nécessité. Or actuellement, il est très difficile d’accéder aux soins orthophoniques, des listes d’attente importantes étant le lot de beaucoup de cabinets de praticiens. Aussi est-il nécessaire de n'orienter vers les orthophonistes que les enfants qui en ont réellement besoin, et dont le médecin peut avoir mis en évidence les critères d’indication.
LA CONSULTATION MÉDICALE
Les parents et enseignants sont les premiers à être à l’origine de la plainte sur les apprentissages. La consultation médicale constitue l’étape initiale du parcours de soins. L’anamnèse permet de resituer les difficultés présentées dans le cadre général du développement de l’enfant. En effet, la bonne qualité des apprentissages scolaires dépend de facteurs multiples et variés, allant du rôle de l’environnement à celui du fonctionnement cognitif. Il convient de rechercher les antécédents personnels de troubles du langage, ou familiaux de troubles des apprentissages, pour connaître les facteurs de risque, en plus de retracer tout le développement de l’enfant (développement moteur, langagier, des interactions sociales…). Puis le médecin pourra vérifier la nature des difficultés de l’enfant en faisant des tests sur les apprentissages attendus à son âge.
♦ L’outil BMT-a
En cabinet, un outil simple et étalonné est nécessaire pour évaluer la réalité de la plainte. La Batterie modulable de tests-apprentissages – BMT-a (4) – a été conçue pour permettre d’examiner les grands domaines des apprentissages en lecture, dictée et mathématiques, et dépister ainsi les éventuels écarts de performance des enfants par rapport à ce qui est attendu à leur classe scolaire. La BMT-a est un outil de première ligne destiné aux médecins pour dépister des troubles des apprentissages scolaires. Il correspond à la version simplifiée d’un outil plus sophistiqué qui est la BMT-i (informatisée). Les épreuves proposées dans la BMT-a sont graduées selon la classe.
Pour aider la compréhension par l’examinateur du sens de chaque épreuve, sont proposés des repères d’apprentissage, les bases cognitives théoriques et les interventions qui peuvent en découler.
Voici exposés, pour chaque niveau scolaire, des repères à connaître et qui peuvent aider à savoir si des investigations plus approfondies méritent d’être envisagées.
Grande section de maternelle :
→ Langage écrit La conscience phonologique (comptage de syllabes) et la lecture de lettres sont les facteurs prédictifs du déchiffrement au CP.
La lecture et la transcription sont évaluées dès la grande section de maternelle pour vérifier la présence des prérequis, notamment la connaissance des lettres.
→ Cognition mathématique La chaîne verbale (suite ordonnée des noms de nombres : un, deux…) et la quantification (capacité à évaluer une quantité et à l’associer au nom du nombre) sont des facteurs prédictifs du nombre et du calcul.
L’enfant se représente la notion de quantité et développe sa connaissance des noms des nombres et de leur suite. Ainsi sont proposées dans la BMT-a une épreuve de quantification (montre-moi 5 doigts, 10 doigts, 7 doigts) et une chaîne verbale jusqu’à 23. L'enfant obtient 1 point s'il compte jusqu'à 10 sans erreur, 2 points s'il compte jusqu'à 15 sans erreur et 3 points s'il ne se trompe pas jusqu'à 23.
CP :
→ Langage écrit Le CP est la classe de l’acquisition du déchiffrement.
L’enfant commence à apprendre explicitement à lire et écrire. Avant Pâques, on se contente de vérifier la connaissance des lettres et la lecture de syllabes et petits mots simples. Certains pourront aller jusqu’à déchiffrer des sons plus complexes (constitués de plusieurs lettres) ou associer des syllabes entre elles. Dès le 3e trimestre, un petit texte de 5-6 lignes peut être proposé pour vérifier la qualité de la lecture (temps et exactitude) mais aussi la compréhension.
La dictée comportera logiquement des lettres, syllabes et une petite phrase avec des mots très fréquents.
→ Cognition mathématique Le CP est l’année de l’apprentissage du code arabe et des premiers apprentissages formels en calcul.
Pour vérifier la connaissance du code arabe, la lecture de nombres est proposée. Puis, pour apprécier la qualité et l’exactitude de la chaîne verbale, on demande à l’enfant de compter de 11 à 21, puis au 3e trimestre de 58 à 72.
LE DÉPISTAGE FIGURE DANS LA ROSP
• Il est possible de suivre les grandes étapes du développement du langage et de repérer des signes d’appel évocateurs de pathologies en s’aidant de tests existants (ERTL 4 : « Épreuve de repérage des troubles du langage à 4 ans » ; DPL 3 : « Dépistage et prévention langage à 3 ans » ; QLC : « Questionnaire langage et comportement », etc.). Ces tests sont maintenant réunis dans la BMT-a, un outil spécialement conçu pour les médecins généralistes.
• Le dépistage des troubles des apprentissages de l’enfant figure dans la ROSP, « Part des patients MT de 3 à 5 ans ayant eu un dépistage de troubles du langage au moyen d’un test adapté (déclaratif) ».
Objectif intermédiaire : 80 %
Objectif cible : ≥ 95 %
Seuil minimal : 5 patients
Points : 20
• La consultation de repérage des troubles de l’enfant par le pédiatre et le généraliste, notamment le repérage des troubles du spectre autistique, est coté CTE = 60 €. Cette cotation ne peut être utilisée qu’une seule fois.
CE1-CE2-CM1 :
→ Langage écrit L’enfant sait lire et peut comprendre des textes. La transcription de phrases est maintenant possible, avec la maîtrise de l’orthographe phonétique et l’acquisition de l’orthographe lexicale, puis au fil des classes, de l’apprentissage des règles grammaticales.
La lecture d’un paragraphe de texte est proposée en CE1 (voir exemple p. 24), deux paragraphes en CE2, trois paragraphes en CM1, pour lesquels on note les erreurs de lecture et le temps mis, ainsi que les bonnes réponses aux questions sur le texte.
La dictée comporte quelques logatomes (comme « pradu », « dimanco »…) pour juger de la possibilité d’analyser et de transcrire des suites de sons (sans que ce soit des mots appris). Puis la transcription d’une ou deux phrases permet de juger de la bonne segmentation des mots, de l’orthographe lexicale et des accords simples. Il convient aussi de porter un regard sur le graphisme de l’enfant, qui peut être altéré en raison de l’orthographe, mais parfois indépendamment des difficultés de langage écrit.
→ Cognition mathématique L’enfant maîtrise des nombres de plus en plus grands, comprend la base 10, devient de plus en plus rapide en calcul mental.
Les chaînes verbales sont évaluées sur des nombres plus grands, et la lecture des nombres comportant des centaines au CE1, et des milliers en CE2 et dizaines et centaines de milliers en CM1. Dans ces classes, on demande aussi du calcul mental écrit en 1 mn pour des additions et soustractions simples.
CM2-5e :
→ Langage écrit Les textes à lire deviennent de plus en plus longs et complexes et la compréhension fait plus appel à l’interprétation (inférences). L’enfant transcrit des textes plus longs en appliquant l’orthographe d’usage (des mots) et de mieux en mieux l’orthographe grammaticale (accords).
La lecture doit être efficace pour des textes plus longs (vitesse, exactitude et compréhension). Aussi, le texte choisi permet d’évaluer ces différentes dimensions et de juger de la fonctionnalité de la lecture.
Avec la BMT-a, la dictée consiste en un petit texte court mais qui tient compte des connaissances attendues en ce qui concerne le lexique et la grammaire. Deux types de cotation sont proposés : l’une, simple, se contente de noter l’exactitude des mots ; l’autre, complexe, permet de distinguer les erreurs phonétiques des erreurs lexicales ou encore grammaticales.
→ Cognition mathématique L’enfant aborde les grands nombres, les décimaux et les fractions, et s’entraîne à un calcul fluide.
La lecture des nombres est de plus en plus complexe. On propose le calcul mental écrit pour les additions et soustractions en 1 minute.
LES TROUBLES DES APPRENTISSAGES DANS LE DSM-5
• Selon le DSM5 (3), les difficultés à apprendre et à utiliser des compétences scolaires ou universitaires correspondent à la présence d’au moins un des symptômes suivants ayant persisté pendant au moins 6 mois malgré la mise en place de mesures ciblant ces difficultés :
1. Lecture des mots inexacte ou lente, et réalisée péniblement (lit des mots isolés à voix haute de manière incorrecte ou lentement et avec hésitation, devine souvent des mots, a des difficultés de prononciation) ;
2. Difficultés à comprendre (peut lire un texte correctement mais ne pas comprendre l’ordre, les relations, les déductions ou les significations plus profondes de ce qui est lu) ;
3. Difficultés à épeler (peut ajouter, oublier ou substituer des voyelles ou des consonnes) ;
4. Difficultés d’expression écrite (erreurs grammaticales, de ponctuation, paragraphes mal construits, expression écrite des idées qui manque de clarté) ;
5. Difficultés à maîtriser le sens des nombres, les données chiffrées ou le calcul ;
6. Difficultés avec le raisonnement mathématique (appliquer des concepts, résoudre des problèmes).
• Les compétences scolaires ou universitaires sont nettement au-dessous du niveau escompté pour l’âge chronologique du sujet et ce de manière quantifiable. Cela interfère significativement sur les performances scolaires, universitaires ou professionnelles ou sur les activités de la vie courante.
• Les difficultés d’apprentissage débutent pendant la scolarité mais peuvent ne pas se manifester entièrement tant que les demandes concernant ces compétences scolaires ou universitaires altérées ne dépassent pas les capacités limitées du sujet (exemples : examens chronométrés, lecture ou rédaction de rapports longs et complexes dans un délai bref, charge de travail intellectuel excessivement lourde).
INTERPRÉTATION ET DÉCISION THÉRAPEUTIQUE
La BMT-a ne permet pas de poser un diagnostic de troubles des apprentissages, mais de vérifier la plainte et d’argumenter la demande de bilan orthophonique si nécessaire. Les difficultés d’apprentissage doivent toujours être replacées dans l’histoire et le contexte développemental de l’enfant.
Selon les résultats, de manière générale, plusieurs orientations sont à envisager, soit pédagogiques, soit directement de soins :
• une intervention pédagogique lorsque les difficultés dépistées sont isolées ou peu sévères ;
• un bilan en orthophonie si les difficultés relevées ou les suspicions de troubles sont réelles et circonscrites au langage ou à la cognition mathématique ;
• un bilan psychologique si les difficultés semblent globales et/ou mettent l’enfant en souffrance dans sa scolarité.
→ En Grande section de maternelle, il faut être vigilant si les enfants n’ont pas les prérequis d’apprentissage du langage écrit ou de la cognition mathématique décrits plus hauts. Le bilan orthophonique s’impose si, de plus, l’enfant présente des difficultés notables en langage oral. Si ce sont seulement les prérequis qui ne sont pas en place, quelques conseils aux parents et une vigilance de l’enseignant peuvent suffire pour donner à l’enfant les outils qui seront nécessaires aux apprentissages du CP.
→ En CP, il s'agit de vérifier les apprentissages en langage écrit et d'alerter les enseignants pour les enfants qui, à Noël, ne maîtrisent pas encore la lecture de syllabes ni leur transcription, c’est-à-dire la conversion des lettres en sons, et/ou qui ne peuvent les fusionner en syllabes, ainsi que ceux qui n’identifient pas les mots simples au 2nd trimestre, et ne peuvent accéder à la lecture de quelques phrases faciles en fin d’année. Après un temps d’entraînement scolaire, il convient d’envisager une évaluation spécialisée pour les enfants qui présentent des facteurs de risque, comme un trouble préexistant du langage oral, la présence d’antécédents familiaux de troubles du langage, ou qui n’ont pas suffisamment progressé malgré une aide supplémentaire en classe et/ou à la maison (5).
→ En CE1, une prescription d’évaluation orthophonique doit être faite si l’enfant ne parvient pas à lire et comprendre un petit texte (fait beaucoup d’erreurs, lit avec difficulté), s’il ne peut correctement transcrire des syllabes simples et complexes (avec plusieurs consonnes) et s’il ne progresse pas suffisamment.
→ Dans les classes suivantes, il faut vérifier toujours la cognition mathématique et le langage écrit en cas de plainte dans l’un ou l’autre domaine. Les scores de la BMT-a permettent de situer l’enfant par rapport aux enfants de même niveau scolaire et de déceler les décalages qui peuvent être sources de difficultés scolaires, justifiant ainsi le regard spécialisé de l’orthophoniste.
Ainsi, concernant la lecture, il faut toujours vérifier vitesse, exactitude et compréhension du texte lu. À partir du CE1, toujours encourager l’enfant à lire la totalité du texte proposé pour la classe (sauf si échec important dès le début), afin de pouvoir évaluer la compréhension qui, parfois, malgré un temps de lecture très long et un taux d’erreurs important, reste préservée. Ainsi, la fonctionnalité de la lecture est correcte, mais le coût de celle-ci est un désavantage en classe (met trop de temps pour lire, ce qui pénalise l’enfant).
Dans tous les cas, il est important pour le médecin de revoir l’enfant au bout de quelques mois, soit parce que l’indication de l’orthophonie n’a pas paru justifiée lors de la première évaluation par la BMT-a et qu’il faut réévaluer le besoin, soit pour faire le point sur l’évolution au cours du traitement et accompagner les familles en cas de difficultés (orientation éventuelle vers d’autres spécialistes pour répondre à d’autres problèmes présentés par l’enfant). En effet, le choix sera fait, pour certains enfants en début d’apprentissage, de privilégier en première intention une aide supplémentaire à l’école et/ou à la maison (entraînements) avant de décider d’une prise en charge en orthophonie. D’autres ne profiteront pas suffisamment de cette rééducation spécialisée, ce qui doit interroger sur les choix thérapeutiques à faire : bilans complémentaires ou réorientation des soins.
LES ÉPREUVES DE DICTÉE DE LA BMT-a POUR CE1
• Consigne A : « Écris les mots que je vais te dire. Attention, ces mots n’existent pas. Écris-les du mieux que tu peux. » Dicter les logatomes un par un avec une voix normale : gourti-pernoi-banviso
• Consigne B : « Tu vas écrire la phrase que je vais te dire. Je vais la dire une fois en entier pour que tu l’écoutes bien. Puis je la dirai par morceaux pour que tu l’écrives. » Lire chaque phrase d’abord une fois en entier et ensuite par morceaux (/), au rythme de l’enfant. Phrase 1 : Les voisins habitent/dans une jolie maison. Phrase 2 : Aujourd’hui/tu épluches/les fruits/pour faire/trois belles tartes.
• Si l’enfant fait plus de 8 erreurs dans la première phrase + les logatomes, ne pas faire la seconde phrase et la coter comme entièrement fausse (compter 10 erreurs de plus).
• L'examinateur reporte sur cette feuille le nombre total d'erreurs de l’enfant. La classe « très faible » représente les 7 % les plus faibles de notre
étalonnage, alors que 60 % des enfants se situent dans les classes « moyen faible », « moyen » et « moyen fort ».
CONCLUSION
Une bonne évaluation initiale par le médecin généraliste et une orientation argumentée vers les soins, justifiée par les résultats obtenus à une évaluation étalonnée des apprentissages, ainsi qu’un suivi effectif, permettront aux enfants et à leur famille d'être mieux accompagnés dans leur parcours dans le cadre d’une plainte sur les troubles des apprentissages.
POUR EN SAVOIR PLUS
La BMT-a est disponible (accès payant) sur le site d'Ortho Édition. Différents ouvrages sont proposés, dont des “Cas cliniques : que faire en cas de difficultés ?”. https://www.orthoedition.com/evaluations/bmt-a-4234.html
Le mot de Marianne Cinot, rédactrice en chef exceptionnelle :
« Il est importantde développer l'interprofessionalité. Je trouve pertinent qu'une orthophoniste rédige un article destiné aux médecins, et que l'on puisse ainsi s'appuyer sur les compétences d'autres professionnels de santé. C'est vrai que durant notre formation, nous n'abordons pratiquement pas ce sujet des troubles de l'apprentisage scolaire. »
Bibliographie
1. Couturier-Dumas M., Bruel S. Dépistage tardif de la dyslexie par les médecins généralistes, Médecine, 2019
2. Dabouz-Basson N. Le dépistage de la dyslexie en médecine générale chez les enfants âgés de 7 à 18 ans. Une étude qualitative réalisée dans les Hauts de France. Thèse de Doctorat en médecine, Faculté de médecine Henri Warenbourg, Université de Lille2, 2016
3. American Psychiatric Association. DSM-5 - Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, Elsevier Masson, 2015
4. Billard C., Mirassou A., Touzin M. BMT-a : Batterie Modulable de Tests-apprentissages, Orthoedition, 2019
5. Billard C. Dyslexie et troubles associés, on s’en sort ! Tom Pousse, 2016
Liens d'intérêts
L'auteur déclare des liens d'intérêts avec Ortho Édition (droits d'auteur).
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