Cardiologie

FAUT-IL UN DÉPISTAGE ORGANISÉ DE LA FA ?

Publié le 14/02/2022
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Un vaste essai randomisé en ouvert a évalué la pertinence clinique d’un dépistage systématique de la fibrillation auriculaire dans une population âgée. Le but de détecter ce trouble du rythme était de prévenir ses complications. L’analyse des résultats de l’essai est l’occasion, pour l’auteur de cet article, d’apporter des commentaires d’ordre méthodologique sur ce travail.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

Effets cliniques du dépistage systématique de la fibrillation atriale : un essai randomisé multicentrique et ouvert
Clinical outcomes in systematic screening for atrial fibrillation (STROKESTOP) : a multicentre, parallel group, unmasked, randomised controlled trial
Svennberg E, Frieberg L, Frykman V, & al.
Lancet 2021 ; 398 : 1498-506

CONTEXTE

La fibrillation atriale (FA), symptomatique ou non, est associée à un haut risque d’accident vasculaire cérébral ischémique (AVCi) (1). C’est un trouble du rythme cardiaque fréquent à partir de l’âge de 75 ans et les formes asymptomatiques sont deux fois plus nombreuses que les symptomatiques (2). Dans la mesure où les médicaments anticoagulants (3, 4) réduisent le risque relatif d’AVC lié à la FA de 64 % et celui de mortalité de 26 %, et devant des recommandations internationales discordantes (5, 6), il était raisonnable de mesurer l’impact clinique (complications) d’un dépistage systématique de la FA dans une population générale âgée et à haut risque (1).

OBJECTIFS

Évaluer le bénéfice du dépistage systématique de la FA sur les complications cliniques de ce trouble du rythme dans une population âgée.

MÉTHODE

Essai randomisé en ouvert ayant concerné tous les habitants âgés de 75 ou 76 ans résidant dans les régions rurales de Halland et urbaine de Stockholm (Suède). Entre mars 2012 et mai 2014, les sujets ont été randomisés pour recevoir trois invitations au dépistage (groupe intervention) ou aucune (groupe témoin). Les sujets randomisés dans le groupe intervention ont été séparés en deux sous-groupes : ceux ayant effectivement fait le dépistage (participants) et ceux ne l’ayant pas effectué (non-participants). Pour les participants, le dépistage consistait à enregistrer un électrocardiogramme (ECG) portable à une électrode 2 fois par jour pendant 2 semaines. Le critère diagnostique de FA était un rythme cardiaque irrégulier sans onde p pendant au moins 30 secondes ou ≥ à deux épisodes d’une durée comprise entre 10 et 29 secondes. En cas de dépistage positif, le sujet était adressé à un cardiologue pour discuter de l’indication d’un traitement anticoagulant. Le critère de jugement principal (CJP) clinique de cet essai était initialement la survenue d’un AVC ischémique avec une hypothèse de 7 % en 5 ans dans le groupe témoin, et de 2 % dans le groupe intervention grâce aux anticoagulants. Entre 2012 et 2017, l’arrivée sur le marché des anticoagulants oraux directs (AOD) a réduit de 40 % l’incidence des AVC dans la population générale suédoise (7), ce qui a conduit les auteurs à modifier leur CJP devenu composite et comprenant : les AVC ischémiques (AVCi), les AVC hémorragiques, les embolies systémiques, les hémorragies nécessitant une hospitalisation et la mortalité quelle que soit la cause. La durée de suivi minimum était de 5 ans pour chaque sujet et les évènements cliniques du CJP ont été extraits des bases de données très exhaustives que tous les médecins suédois alimentent religieusement depuis de nombreuses années. Cette modification de CJP (décidée avant verrouillage de la base de données) avait pour objectifs d’observer suffisamment d’évènements pour démontrer une différence significative entre les groupes et de calculer le bénéfice clinique net du dépistage (évènements ischémiques-évènements hémorragiques). Faite en ITT (Intention-To-Treat), l’analyse principale a comparé l’incidence du CJP dans le groupe témoin avec celle de l’ensemble des sujets randomisés dans le groupe intervention (participants + non-participants). Une seconde analyse prévue au protocole a comparé l’incidence des AVCi et des embolies systémiques dans le groupe témoin à celle des participants effectifs du groupe intervention. Les résultats sont présentés en Hazard Ratio (HR) pour 100 sujets/année avec un intervalle de confiance à 95 %.

RÉSULTATS

Au départ, un total de 28 768 sujets ont été randomisés : 13 996 ont été alloués au groupe témoin et 13 979 au groupe intervention (dans chacun des groupes, respectivement 385 et 408 personnes n'ont pas été incluses pour diverses raisons). Après randomisation, leurs caractéristiques cliniques étaient similaires : âge = 76 ans, femmes = 54,6 %, hypertension = 35,5 %, prévention CV secondaire = 11,7 %, diabète = 15,1 %, score de risque d’AVC (CHA2DS2VASc allant de 0 à 9) moyen = 3,5 (indication d’anticoagulation).

En revanche, le profil des sujets effectivement dépistés du groupe intervention (7 165 sur 13 979 randomisés = 51,6 %), était significativement (p < 0,001) différent de celui des non-participants sur pratiquement toutes leurs caractéristiques cliniques, sociodémographiques et sur le niveau de précarité financière et/ou intellectuelle. Globalement, les non-participants du groupe intervention étaient plus à risque de FA que les participants.

Tous les sujets des deux groupes ont été suivis pendant une médiane de 6,9 ans. Six mois après le dépistage, il y a eu 14,0 % de patients avec un nouveau diagnostic de FA dans le groupe intervention vs 12,8 % dans le groupe témoin (p = 0,005). Cette différence significative disparaissait après 1,5 an de suivi.

En termes de complications de FA, il y a eu 5,45 événements du CJP pour 100 sujets/année dans le groupe intervention vs 5,68 dans le groupe témoin : HR = 0,96 ; IC95 % = 0,92-1,00, p = 0,045, soit 91 sujets à dépister pour éviter un évènement du CJP par an. Il n’y a eu de différence significative sur aucun des évènements composant le CJP, en particulier les AVCi (p = 0,084) et la mortalité totale (p = 0,12). Il n’y a pas eu de différence significative non plus sur la proportion de patients ayant initié un traitement anticoagulant au cours du suivi.

En restreignant les analyses aux sujets témoin comparativement aux sujets intervention ayant effectivement participé au dépistage, il y a eu significativement moins d’évènements du CJP dans le groupe intervention : HR = 0,72, IC95 % = 0,68-0,72, p < 0,001 et moins d’AVCi : HR = 0,83, IC95 % = 0,73-0,94, p = 0,003, sans différence sur la mortalité totale.

COMMENTAIRES

La principale qualité de cet essai est son existence car c’est la première fois qu’une équipe de chercheurs évalue très correctement l’intérêt d’un dépistage populationnel de la FA sur ses complications cliniques, ce qui est chaotique et ambitieux. Cependant, la conclusion des auteurs – « Le dépistage de la FA a démontré un petit bénéfice net comparativement à la démarche standard, indiquant qu’il est sans effets indésirables et bénéfiques dans une population âgée » – dépasse un peu ce qui est effectivement démontré dans cet essai, pour au moins trois raisons.

La première est qu’il n’est pas méthodologiquement recommandé de changer de critère principal au cours d’un essai, surtout en passant d’un critère unique à un critère composite, même si l’argumentaire des auteurs (arrivée des AOD sur le marché entraînant une réduction des AVCi en population générale) est recevable. Un moyen de contourner cet obstacle imprévu était d’augmenter le nombre de sujets inclus dans l’essai.

La seconde concerne la méthode de détection de la FA (enregistrement par un ECG portable à une électrode 2 fois par jour pendant 2 semaines) utilisée dans cet essai, qui n’est pas optimale et susceptible de fournir des résultats faussement négatifs. De mini-appareils portatifs connectés à un smartphone ou à une montre capables d’enregistrer un ECG pendant des mois, et même de « biper » quand le rythme devient irrégulier, auraient mieux convenu.

La troisième concerne le résultat sur le critère principal : HR = 0,96 ; IC95 % = 0,92-1,00, p = 0,045. La conclusion des auteurs basée sur ce résultat est optimiste. Pour rappel, la valeur du petit p indique la probabilité que le résultat observé soit lié au hasard (et, par convention, elle est fixée < 5 %). Ce n’est pas un indicateur d’efficacité, c’est un indicateur d’aléa statistique. Ensuite, la borne supérieure de l’intervalle de confiance touche le 1, ce qui signifie que la probabilité qu’il n’y ait pas de différence entre les deux groupes n’est pas nulle (pause de lecture pour intégrer ce concept !).

Enfin, il est dommage que 48,4 % des patients randomisés dans le groupe intervention et qui étaient les plus à risque n’aient pas participé au dépistage. Cela aurait probablement modifié le résultat ; mais en même temps, c’est probablement conforme à ce qui se passerait dans la « vraie vie » en cas de dépistage organisé.

En pratique, les résultats de cet essai courageux donnent de l’espoir mais ne sont pas suffisants pour mettre en œuvre un dépistage organisé de la FA en population générale des sujets âgés de 75 ans ou plus. Il est un peu dommage que certaines sociétés savantes anticipent et promeuvent cette démarche non philanthropique avec aussi peu de preuves (8).

Dr Santa Félibre (généraliste enseignant, Paris)

BIBLIOGRAPHIE
1. Gibbs H, Freedman B, Rosenqvist M, & al. Clinical outcomes in asymptomatic and symptomatic atrial fibrillation presentations in GARFIELD-AF : implications for AF screening. Am J Med 2021 ; 134 : 893 – 901.e11.
2. Steinhubl SR, Waalen J, Edwards AM, & al. Effect of a home-based wearable continuous ECG monitoring patch on detection of undiagnosed atrial fibrillation : the mSToPS randomized clinical trial. JAMA 2018 ; 320 :
146 – 55.
3. Hart RG, Benavente O, McBride R, & al. Antithrombotic therapy to prevent stroke in patients with atrial fibrillation : a meta-analysis. Ann Intern Med 1999 ; 131 : 492-501.
4. Hart RG, Pearce LA, Aguilar MI. Meta-analysis : antithrombotic therapy to prevent stroke in patients who have nonvalvular atrial fibrillation. Ann Intern Med 2007 ; 146 : 857-67.
5. Hindricks G, Potpara T, Dagres N, & al. 2020 ESC Guidelines for the diagnosis and management of atrial fibrillation developed in collaboration with the European Association of Cardio-Thoracic Surgery (EACTS) : the Task Force for the diagnosis and management of atrial fibrillation of the European Society of Cardiology (ESC) developed with the special contribution of the European Rhythm Association (EHRA) of the ESC. Eur Heart J 2021 ; 42 : 373-498.
6. Curry SJ, Krist AH, Owens DK, & al. Screening for atrial fibrillation with electrocardiography : US Preventive Services Task Force recommendation statement. JAMA 2018 ; 320 : 478-84.
7. Forslund T, Komen JJ, Andersen M, & al. Improved stroke prevention in atrial fibrillation after the introduction of non-vitamin K antagonist oral anticoagulants. Stroke 2018 ; 49 : 2122-8.
8. Institut cardiologique de la Pitié-Salpêtrière. https://www.action-groupe.org/fr/post/safa-2021


Source : lequotidiendumedecin.fr