En théorie, l'arsenal thérapeutique disponible devrait permettre de contrôler l'hypertension artérielle de l’immense majorité des patients hypertendus (probablement plus de 90 %).
En pratique, les différentes enquêtes réalisées en population montrent qu’environ la moitié des hypertendus traités n'atteint pas l'objectif thérapeutique. Bien entendu, les patients ont leur part de responsabilité ; ils ne prennent pas toujours scrupuleusement les traitements prescrits par leur médecin. Mais les prescripteurs ont aussi leur part de responsabilité, faisant preuve parfois d’inertie thérapeutique, c'est-à-dire d'absence d'intensification du traitement antihypertenseur lorsque les chiffres ne sont pas à l'objectif. Enfin, les experts ont aussi leur part de responsabilité en ne faisant pas ce qu’il faut pour tenter d’influer sur les stratégies thérapeutiques.
► L’optimisation des stratégies thérapeutiques a, en effet, pour ambition d'améliorer le pourcentage de patients hypertendus contrôlés par leur traitement. L’ambition des nouvelles recommandations françaises, coproduites par la SFHTA et la Haute Autorité de santé, est justement d’aider les médecins généralistes au contrôle tensionnel en leur recommandant de suivre les étapes thérapeutiques les plus efficientes.
LA PRIMO-PRESCRIPTION
Place des mesures hygiéno-diététiques
Toutes les guidelines recommandent les mesures hygiéno-diététiques (MHD) comme partie intégrante de la prise en charge de tout patient hypertendu.
Elles comprennent :
• la pratique d’une activité physique régulière et adaptée aux possibilités du patient (par exemple 30 minutes/j au moins 3 fois/semaine en endurance) ;
• la réduction de la surcharge pondérale. En moyenne, une perte de poids de 5,1 kg est associée à une baisse de la PAS de 4,4 mmHg et de la PAD de 3,6 mmHG. L’objectif étant de maintenir un IMC autour de 25 kg/m2 et une circonférence abdominale < 102 cm chez l’homme et 88 cm chez la femme ;
• la suppression ou la réduction d’une consommation exagérée d’alcool. Le rapport entre consommation d’alcool, niveau tensionnel et prévalence de l’hypertension artérielle est linéaire. Une consommation journalière supérieure à 3 verres chez l’homme et 2 verres chez la femme doit entraîner une prise en charge adaptée ;
• la normalisation de l’apport sodé, 6-8 g/j de sel au maximum correspondant à une natriurèse d’environ 100 à 150 mmol/j. En moyenne, une diminution de 5 g/j de sel entraîne une baisse de la PAS de 4 à 5 mmHg chez les hypertendus. L’effet de la restriction sodique sur le PA est plus important chez les patients d’origine africaine, les patients âgés et ceux associant à l’HTA un diabète, un syndrome métabolique ou une insuffisance rénale chronique ;
• l’arrêt d’une intoxication tabagique. Cette mesure n’entraîne habituellement pas directement une réduction de la PA, mais est essentielle pour réduire la morbi-mortalité cardio-vasculaire (IDM, AVC, AOMI) ;
• une alimentation privilégiant la consommation de fruits et légumes (300 à 400 g/j), d’aliments peu riches en graisses saturées, de poisson (≥ 2 fois/semaine).
Par quelle classe médicamenteuse débuter ?
Il est recommandé de débuter un traitement pharmacologique par une monothérapie, au mieux en monoprise. Les 4 classes médicamenteuses à privilégier pour l’instauration du traitement sont, par ancienneté d’apparition sur le marché : les diurétiques thiazidiques, les inhibiteurs calciques, les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC) ou les antagonistes des récepteurs de l'angiotensine 2 (ARA2). Les bêtabloquants peuvent être utilisés comme antihypertenseurs mais ils semblent moins protecteurs que les autres classes thérapeutiques vis-à-vis du risque d’AVC.
La persistance du traitement (action de continuer le traitement sur une certaine durée selon la prescription initiale) est plus élevée avec les ARA2 ou les IEC. Elle est moindre avec les inhibiteurs calciques. Et plus faible encore avec les diurétiques thiazidiques et les bêtabloquants.
Au sein d'une même classe, il existe des différences pharmacologiques (durée d’action notamment) entre les médicaments pouvant avoir des conséquences sur l'efficacité et la tolérance.
► Comme pour tout traitement, la prescription des antihypertenseurs doit être établie en DCI. Les antihypertenseurs génériques en France ont une efficacité comparable aux produits princeps. Il est souhaitable de ne pas changer de marque en cours de traitement afin de réduire le risque d’erreur de prise par le patient.
► En cas d’HTA sévère confirmée (PAS > 180 mmHg et/ou PAD > 110 mmHg), il est recommandé d’instaurer sans délai un traitement pharmacologique, sans attendre l’effet des mesures hygiéno-diététiques qui doivent être suivies.
Éléments à prendre en compte dans le choix initial des médicaments
Globalement, 70 % des patients hypertendus vus en ville n’ont pas de complications. Néanmoins, il est recommandé d’adapter le choix thérapeutique en fonction des comorbidités associées (voir tableau T1).
Les diurétiques de l’anse (à la place des diurétiques thiazidiques) peuvent être prescrits chez un patient hypertendu, en cas d’insuffisance rénale sévère (DFG estimé < 30 ml/min/1,73 m²) ou de syndrome néphrotique ou chez l’insuffisant cardiaque.
L’utilisation des IEC et des ARA2 nécessite un contrôle du sodium et du potassium plasmatiques et de la créatininémie dans un délai de 1 à 4 semaines après l’initiation du traitement puis lors des modifications posologiques ou en cas d’événement intercurrent.
Il convient lors de la prescription d’un antihypertenseur de préférer la molécule (et la posologie) la plus efficiente.
La cible tensionnelle à atteindre à 6 mois
Il est recommandé d’obtenir une PA systolique comprise entre 130 et 139 mmHg et une PA diastolique < 90 mmHg à 6 mois au cabinet médical, confirmées par des mesures au domicile (PA diurne en AMT ou en MAPA < 135/85 mmHg).
Chez le sujet âgé de 80 ans ou plus, il est recommandé d’obtenir une PA systolique < 150 mmHg, sans hypotension orthostatique (PAS diurne en AMT ou en MAPA < 145 mmHg).
Chez ces patients, la lutte contre une iatrogénie est impérative. Le fait de ne pas dépasser dans la plupart des cas trois molécules antihypertensives après
80 ans entre dans ce cadre.
QUELLE STRATÉGIE APRES LA PREMIÈRE MONOTHÉRAPIE ?
Lorsque le médecin décide d'initier un traitement pharmacologique antihypertenseur, l'objectif n'est pas au rendez-vous dans environ la moitié des cas. De plus, le patient présente parfois un effet adverse à cette première monothérapie antihypertensive. Trois options sont en théorie possibles :
- tout d'abord, le médecin peut passer à une bithérapie ;
- il peut aussi changer de monothérapie (on parle alors de monothérapie séquentielle) ;
- enfin, il peut augmenter la posologie de la première monothérapie.
► Les experts français, dans la dernière mouture des recommandations, privilégient la première option à savoir le passage à une bithérapie antihypertensive, le plus souvent en seconde intention. En effet, de nombreuses études ont montré que cette option thérapeutique allait augmenter de façon substantielle la probabilité d'atteindre l'objectif tensionnel par rapport aux deux autres options (monothérapie séquentielle, augmentation de la posologie de la première monothérapie).
Bien entendu, en cas d'apparition d'un effet adverse, il convient le plus souvent de stopper la première monothérapie et d'envisager un changement de classe médicamenteuse.
QUELLE BITHÉRAPIE PRIVILÉGIER ?
► Il convient, le plus souvent, en matière de bithérapie, d'associer deux des trois classes suivantes :
- IEC ou ARA2 ;
- inhibiteur calcique ;
- diurétique thiazidique.
Parmi les trois associations possibles (IEC ou ARA2 + inhibiteur calcique, IEC ou ARA2 + diurétique thiazidique, et diurétique thiazidique + inhibiteur calcique), l’association diurétique thiazidique et inhibiteur calcique a été moins évaluée que les autres. Pourtant, certaines analyses lui confèrent une efficacité au moins égale aux bithérapies comportant un IEC ou un ARA2, notamment en matière de risque cérébro-vasculaire.
► En cas d'inefficacité, d'autres bithérapies peuvent être proposées.
► Si l'objectif tensionnel n'est toujours pas atteint, on peut recourir à une trithérapie qui comportera idéalement l'association de :
- un IEC ou un ARA2 ;
- un inhibiteur calcique ;
- et un diurétique thiazidique.
Ceci hors indication préférentielle d'une autre classe thérapeutique et/ou mauvaise tolérance.
QUE FAIRE SI LA PA N'EST PAS CONTRÔLÉE APRÈS SIX MOIS ?
Si, malgré le suivi de l'escalade thérapeutique proposée (passage de la monothérapie à la bithérapie puis de la bithérapie à la trithérapie), le patient n'atteint toujours pas l'objectif tensionnel, il y a lieu alors de se poser différentes questions :
- tout d'abord, il importe de vérifier le contrôle tensionnel en dehors du cabinet médical. Ce contrôle peut être réalisé par automesure tensionnelle ou par mesure ambulatoire de pression artérielle sur 24 heures. Ce n'est qu'en cas d'hypertension artérielle ambulatoire que l'on peut parler d'hypertension non contrôlée.
- il convient ensuite de bien vérifier que la trithérapie est optimale c'est-à-dire qu'elle comprend un bloqueur du système rénine-angiotensine-aldostérone, un inhibiteur calcique et un diurétique thiazidique, tous les trois à doses optimales ;
- même si cela est parfois difficile, il faut essayer de dépister une mauvaise observance. L'hypertension artérielle n'est pas résistante si le traitement n'est pas pris par le patient…
- enfin, il est recommandé de rechercher à l'interrogatoire des facteurs de résistance aux traitements, par exemple un apport sodé excessif, une consommation exagérée d'alcool, des interactions médicamenteuses…
- si tous ces points n'ont pas donné de résultats probants, il importe de demander un avis spécialisé afin d'envisager une stratégie autre.
AVIS SPÉCIALISÉ POUR HTA RÉSISTANTE
Lorsqu’un avis spécialisé est demandé, le patient va le plus souvent bénéficier d'explorations étiologiques à la recherche d'une néphropathie parenchymateuse, d'une hypertension artérielle réno-vasculaire ou encore d'une hypertension artérielle endocrinienne. Différentes explorations seront pour cela réalisées, en fonction des situations cliniques et biologiques, avec, en particulier, des dosages de la rénine et de l'aldostérone, du cortisol, des métanéphrines urinaires, des Dopplers artériels rénaux, des scanners abdominaux…
Parallèlement, le spécialiste va, dans le même temps, rechercher une atteinte d'organe cible afin de pouvoir affiner l'évaluation du risque cardiovasculaire individuel du patient en vue d'individualiser les différentes thérapeutiques de prévention cardiovasculaire en parallèle du traitement antihypertenseur.
ADAPTATION DU TRAITEMENT ANTIHYPERTENSEUR
En cas de mise en évidence d'une hypertension artérielle secondaire lors de la réalisation du bilan d'une hypertension artérielle résistante, un traitement spécifique va alors être proposé qui peut comporter une angioplastie artérielle rénale, la chirurgie d'un phéochromocytome ou d'un adénome surrénalien ou toute autre thérapeutique spécifique.
Dans les situations d'HTA essentielle, il va falloir rajouter des traitements antihypertenseurs jusqu'à obtention de l'objectif tensionnel. Habituellement, après la trithérapie classique, c'est la spironolactone à faible posologie (initiée à 12,5 mg par jour) qui est souvent choisie en 4e intention puisqu'elle a démontré sa supériorité par rapport aux autres médicaments de 4e intervention que sont les alpha-bloquants ou les bêtabloquants. Les antihypertenseurs d’action centrale peuvent eux aussi être utilisés dans cette situation d’HTA résistante. Parfois, on arrive à une penta- ou hexathérapie antihypertensive…
NOUVELLES TECHNOLOGIES
Dans certains centres spécialisés de nouvelles technologies réservées aux hypertendus « super-résistants » sont pratiquées comme la dénervation artérielle rénale et/ou la stimulation du barorécepteur carotidien. Notons que ces deux techniques sont en cours d'évaluation. Elles ne sont réalisées que dans quelques centres spécialisés en France, centres d'excellence en hypertension artérielle notamment (label de la Société Européenne d’HTA).
EN CONCLUSION
L’ambition de ces recommandations récentes est finalement d’aider les médecins de première ligne dans l'HTA, à savoir les médecins généralistes :
- à pouvoir gérer l'immense majorité des situations chez leurs patients hypertendus ;
- à savoir quand il est nécessaire de demander un avis spécialisé, notamment en cas de résistance des chiffres de la pression artérielle aux différents traitements antihypertenseurs.
L'objectif est donc de pouvoir améliorer le contrôle tensionnel en population. L'objectif ultime est bien entendu de réduire les complications cardiovasculaires et rénales de l'hypertension artérielle qui, rappelons-le, représente la maladie chronique la plus fréquente en France et la première cause de mortalité dans le monde.
Que faire face à une dissociation entre la PA mesurée au cabinet médical et en ambulatoire ?
• Deux situations peuvent survenir :
- tout d'abord, une pression artérielle élevée au cabinet médical mais normale en ambulatoire (soit en automesure, soit à la MAPA). On parle alors d'une hypertension artérielle blouse blanche. Il est aujourd'hui admis que ces patients ont un risque cardiovasculaire qui est plus étroitement associé à leur niveau tensionnel en ambulatoire. Pour cette raison, il est proposé de ne pas intensifier le traitement antihypertenseur.
- la situation inverse, à savoir une pression artérielle normale au cabinet médical avec une pression artérielle élevée en ambulatoire est dénommée hypertension artérielle masquée ou hypertension artérielle ambulatoire isolée. Il a été montré que cette situation était associée à un risque cardiovasculaire accru. Elle est notamment plus fréquente chez les patients diabétiques. La prise en charge de ces patients n'est à ce jour pas consensuelle et il faut probablement s'entourer d'un avis spécialisé afin de pouvoir évaluer plus précisément le risque cardiovasculaire individuel de ces patients, notamment par l'étude de l’atteinte de leurs organes cibles.
Bibliographie
1- HAS, SFHTA. Prise en charge de l’hypertension artérielle de l’adulte. Fiche Mémo. Septembre 2016.
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2016-10/fic…
2- HAS, SFHTA. Prise en charge de l’hypertension artérielle de l’adulte. Rapport d’élaboration. Septembre 2016.
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2016-10/fic…
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