Cardiologie

INERTIE THÉRAPEUTIQUE : DE QUELLE FAMILLE ÊTES-VOUS ?

Publié le 16/09/2016
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Pourquoi des généralistes ne changent-ils pas les prescriptions de leurs patients insuffisamment traités ? Une étude du CNGE a identifié 7 typologies de médecins récalcitrants.

Crédit photo : PHANIE

Justifications des comportements d’inertie thérapeutique des médecins généralistes en prévention cardiovasculaire  : typologie empirique

Lebeau JP, Cadwallader JS, Vaillant-Roussel H, Pouchain D, et al. General practitioners’ justifications for therapeutic inertia in cardiovascular prevention : an empirically grounded typology  BMJ http://dx.doi.org/10.1136/ bmjopen-2015-010639.

CONTEXTE


En prévention CV, les recommandations préconisent des seuils d’intervention et des objectifs à atteindre pour la PA, le LDL-c, l’HbA1c pour les diabétiques de type 2 (DT2), etc. L’inertie thérapeutique des médecins consiste à ne pas initier ou modifier un traitement recommandé alors que les seuils sont dépassés ou les objectifs non atteints (1,2). C’est un comportement médical très fréquent et souvent inconscient. Chez les patients hypertendus traités non contrôlés, elle intervient dans 85 % des consultations (3).


OBJECTIFS


Connaître les motifs des comportements d’inertie thérapeutique invoqués par les médecins généralistes (MG) et construire une approche typologique.

MÉTHODE


Etude qualitative de type construction empirique de typologie à partir des données recueillies au cours des consultations. Les données ont été collectées par 125 MG français du groupe intervention de l’essai ESCAPE (4). Ces derniers avaient reçu une formation sur la prévention CV et devaient appliquer les recos françaises. Ils ont réalisé une consultation spécifique de prévention tous les 6 mois pendant 2 ans chez 905 hypertendus traités à haut risque en prévention primaire.

À la fin de chaque consultation, ils avaient la possibilité de répondre anonymement et en texte libre à la question suivante : « Si au cours de cette consultation votre patient n’était pas aux objectifs de PA, et/ou de LDL-c, et/ ou d’HbA1c et/ou de prescription d’une petite dose d’aspirine en cas de DT2, et que vous n’avez pas modifié son traitement, pourriez-vous nous dire pourquoi ? ».

Les données ont été codées en insu par 2 équipes indépendantes à l’aide d’un logiciel d’analyse qualitative (NVIVO 9.2), puis combinées. Chaque code avait des attributs précis. Une matrice a été construite dans laquelle les codes étaient dans les colonnes et les médecins sur les lignes afin de définir des « types» de médecins et de les quantifier

RÉSULTATS


→ Les 125 MG ont fait 4 295 consultations et ont répondu 2 638 fois à la question posée, fournissant 4 767 justifications.

Ces réponses ont permis de définir 69 codes et de construire 7 typologies.

→ Les « optimistes » (22,4 % des MG) pensaient que les patients allaient changer. « Répéter les conseils sur le mode suffira pour atteindre les objectifs ». « Le patient vient d’acheter un vélo ».

→ Les « négociateurs » (16 %) pour qui les difficultés à discuter du traitement avec le patient étaient le principal argument de leur inertie thérapeutique. « Comme le patient a finalement accepté de prendre une statine, je n’ai pas insisté pour l’aspirine ».

→ Les « vérificateurs »(12 %) qui souhaitaient confirmer l’anomalie tensionnelle ou biologique (parfois à chaque consultation pendant 2 ans) avant tout changement. « Il faut refaire tous les examens dans 6 mois pour être sûr ».

→ Les «  contextualiseurs  » (10,4  %) considéraient que le contexte de la consultation expliquait l’absence d’atteinte des objectifs. « La PA du patient est élevée, mais il est en campagne électorale ». « Ce patient a attendu très longtemps dans la salle d’attente surchauffée ».

→ Les « méfiants » (8,8 % des MG) mettaient en avant les risques d’effets indésirables. « Il est probable qu’une statine ne sera pas tolérée ».

→ Les « arrondisseurs » (6,4 %) considéraient que les résultats étaient tellement proches des objectifs recommandés qu’il ne fallait rien faire. « La PA est tout juste au-dessus de 140 mmHg ».

→ Les « scientifiques » (4 %) contestaient les recos en s’appuyant sur la littérature ou un avis d’expert. « Je suis en désaccord avec la recommandation, lisez le dernier New England ».

Aucun MG ne remplissait les critères de 2 typologies différentes.

Un même MG appartenait à la même typologie pour un même patient pendant 2 ans et pour la majorité de ses patients.

COMMENTAIRES


Ce travail conduit par le CNGE est très intéressant à 2 titres : d’abord l’élégante méthode mixte qui consiste à analyser scientifiquement des données qualitatives recueillies en « live » et à quantifier des catégories.

Ensuite, l’objet très original et pertinent de ce travail de recherche qui était d’identifier comment les MG rationalisaient leurs comportements d’inertie thérapeutique.

En soi, l’inertie thérapeutique n’est pas obligatoirement un comportement inapproprié. Elle peut être (provisoirement) adaptée au contexte d’une consultation ou à la demande ou aux valeurs d’un patient.

Ce travail innovant pourrait être une base scientifique solide pour une séance de formation continue où chacun pourrait réfléchir et partager (ou pas) ses comportements thérapeutiques à l’aune de cette typologie.


Dr Santa Félibre (Généraliste Enseignant)

Source : lequotidiendumedecin.fr