INTRODUCTION
L'insuffisance rénale chronique (IRC) se définit par une altération persistante de la fonction rénale, avec un débit de filtration glomérulaire (DFG) estimé par la formule CKD-EPI < 60 ml/min/1,73 m2 depuis plus de trois mois.
En France, les deux principales causes d'IRC sont le diabète de type 2 et les néphropathies vasculaires associées à l’hypertension artérielle (HTA) et aux pathologies cardiovasculaires (CV).
La prévalence croissante de ces pathologies et le vieillissement de la population expliquent l’augmentation progressive de la prévalence de l’IRC en France, qui concerne actuellement 3 à 5 millions de personnes, positionnant le médecin généraliste au centre du dépistage mais surtout de la prise en charge de l’IRC.
DÉCOUVERTE DE LA NÉPHROPATHIE ET PRISE EN CHARGE INITIALE
Une néphropathie peut être identifiée à l’occasion d’une complication (hypertension artérielle, syndrome œdémateux, hématurie…), de manière fortuite à l’occasion d’un bilan réalisé pour un motif indépendant ou, plus fréquemment, dans le cadre d’un dépistage ciblé.
> Le dépistage d’une maladie rénale chronique (MRC) repose sur la surveillance régulière, théoriquement annuelle, de la créatininémie (DFG estimé selon CKD-EPI) et du rapport albuminurie/créatininurie (RAC) sur échantillon d’urines chez les patients présentant des facteurs de risque de MRC, tels que HTA, diabète, obésité, cardiopathie ou antécédents familiaux de MRC.
Selon les valeurs de DFG et de RAC, qui sont des facteurs pronostiques rénaux et cardiovasculaires majeurs, le traitement néphroprotecteur pourra généralement être initié par le médecin traitant et le patient pourra si nécessaire être orienté vers un néphrologue, pour faciliter le diagnostic étiologique et guider le reste de la prise en charge de la maladie rénale (figure 1).
Un dépistage précoce permet à la fois d’initier un traitement étiologique lorsqu’il est indiqué et de mettre en place des mesures de néphroprotection non spécifiques, hygiénodiététiques et pharmacologiques dont l’impact est devenu considérable avec les avancées des dernières années. Il permet aussi d’éviter ou d’ajuster les traitements qui pourraient contribuer à aggraver le déclin du DFG. Parmi les traitements potentiellement néphrotoxiques, on trouve notamment les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les aminosides et les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP).
> La découverte d’une IRC justifie une adaptation du mode de vie et en particulier de l’alimentation :
- La restriction sodée (< 5-6 g NaCl/j) est une mesure importante dans la prise en charge de l'IRC, car une consommation excessive de sel peut aggraver l'HTA et la rétention hydrosodée.
- Une restriction protéique modérée (0,6 à 0,8 g/kg/j) est recommandée chez les patients atteints d'IRC (DFG < 60) pour retarder la progression de la maladie rénale, en l’absence de dénutrition ou d’âge avancé.
- Les aliments riches en potassium sont souvent associés à un bénéfice cardiovasculaire. Ainsi, avant le stade 5, il n’est pas légitime de limiter les apports en potassium chez les patients IRC qui ne présentent pas d’hyperkaliémie.
- Contrairement à une idée répandue, les apports hydriques abondants n’apportent pas de bénéfice de néphroprotection et peuvent même exposer au risque d’hyponatrémie chez certains patients, notamment âgés ou dénutris.
Le tabagisme doit être limité au maximum car il est un facteur de progression de l'IRC, mais surtout car il représente un facteur de risque supplémentaire chez des patients qui sont à très haut risque de morbimortalité cardiovasculaire du fait de leur IRC.
Dans ce contexte, la lutte contre la sédentarité est également importante.
GESTION DE L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE
Les patients atteints d'IRC présentent un risque accru de complications CV. La prise en charge de l'HTA, qui est le principal facteur de risque CV modifiable en France, revêt ainsi une importance capitale pour réduire le risque CV et améliorer la survie. Dans une optique de néphroprotection, une pression artérielle déséquilibrée est associée à une aggravation du déclin du DFG, en particulier chez les patients présentant une élévation du RAC.
> Les recommandations nationales et internationales divergent légèrement sur la cible de pression artérielle dans l’IRC, mais une cible < 130/80 mmHg est généralement admise.
> Dans la maladie rénale chronique, les deux principaux facteurs contribuant à l’HTA sont l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone et la rétention sodée. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine 2 (ARA2) sont les antihypertenseurs de première intention en cas de néphropathie, en raison de leur efficacité dans la réduction de la pression artérielle et de leur capacité à prévenir la dégradation du DFG, en particulier chez les patients ayant un RAC anormal. Ces deux classes thérapeutiques ont démontré des effets bénéfiques sur la réduction de la protéinurie, qui est un facteur de progression de la MRC à part entière.
> Deux à quatre semaines après l’initiation du traitement, il est recommandé de contrôler la créatininémie et la kaliémie et de majorer le traitement jusqu’à la dose maximale tolérée. En cas d’hyperkaliémie modérée (K < 5,5) ou de majoration de créatininémie de moins de 20-30 % après l’initiation, compte tenu du bénéfice attendu, il est recommandé de privilégier le maintien du bloqueur du système rénine-angiotensine, éventuellement en réduisant la posologie ou en utilisant des mesures associées pour réduire la kaliémie. En l’absence de complication, la poursuite du bloqueur du système rénine-angiotensine est justifiée au cours de la progression de la MRC, y compris au stade 4. Rappelons que l’association d’un IEC et d’un ARA2 est contre-indiquée.
La part volodépendante de l’HTA, liée à la rétention sodée, est d’autant plus présente que le DFG est plus bas, rendant très souvent nécessaire la prescription de diurétiques. Le diurétique de choix aux stades 1 à 3 de la MRC est un diurétique thiazidique ou apparenté. Lorsque le DFG s’altère davantage, l’initiation d’un diurétique de l’anse à posologie croissante et la coprescription de plusieurs diurétiques sont souvent requis pour contrôler la pression artérielle et/ou la rétention hydrosodée. Naturellement, la limitation des apports sodés est ici encore un élément important de la prise en charge.
Les principales alternatives thérapeutiques antihypertensives en cas de PA non contrôlée ou d’intolérance sont les bloqueurs des canaux calciques et les bêtabloquants. En cas d’HTA résistante ou d’insuffisance cardiaque, les antagonistes minéralocorticoïdes stéroïdiens (spironolactone, éplérénone) peuvent être utilisés jusqu’à un DFG de 30 ml/min/1,73 m2 chez les patients normokaliémiques.
LES NOUVEAUX TRAITEMENTS NÉPHROPROTECTEURS
> Les inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (SGLT2), également appelés gliflozines, sont une classe de médicaments initialement développée dans le diabète de type 2, qui a démontré au cours des dix dernières années des effets très bénéfiques sur la fonction rénale. Les inhibiteurs de SGLT2 agissent en inhibant la réabsorption rénale du glucose, ce qui entraîne une augmentation de l'excrétion urinaire du glucose et du sodium. Outre leurs effets antidiabétiques, plutôt modestes, les inhibiteurs de SGLT2 ont démontré des effets bénéfiques sur la mortalité et la survenue des événements CV dans différentes populations, y compris dans plusieurs grandes études réalisées chez des patients atteints d’IRC.
Plusieurs essais cliniques randomisés de grande qualité réalisés dans des populations atteintes de MRC avec la dapagliflozine, l’empagliflozine et la canagliflozine ont démontré de manière répétée l'efficacité des inhibiteurs de SGLT2 contre placebo sur la dégradation du DFG et la survenue d’insuffisance rénale stade 5.
Cette classe thérapeutique est désormais recommandée en première intention en association avec les bloqueurs du système rénine-angiotensine pour prévenir les complications rénales et cardiovasculaires chez la plupart des patients atteints d’IRC (DFG < 45 ml/min/1,73 m2 quel que soit le RAC, ou DFG > 45 ml/min/1,73 m2 si le RAC est > 200 mg/g).
> Les agonistes du récepteur du glucagon-like peptide-1 (GLP-1) sont une classe de médicaments antidiabétiques qui suscite un intérêt croissant, notamment dans l’IRC. Les agonistes du GLP-1 agissent en stimulant les récepteurs du GLP-1, ce qui entraîne une augmentation de la sécrétion d'insuline, une diminution de la sécrétion de glucagon et une réduction de l'appétit. Outre leurs effets antidiabétiques, il a récemment été montré que les agonistes du GLP-1 présentent des effets néphroprotecteurs.
Dans l’IRC, ils sont à ce jour recommandés chez les patients diabétiques de type 2 qui n’ont pas atteint les cibles d’HbA1c malgré la prescription de metformine et d’un inhibiteur de SGLT2.
> La finérénone, un antagoniste non stéroïdien du récepteur minéralocorticoïde, a récemment été développé pour la prise en charge de l'IRC et de l'insuffisance cardiaque chez les patients atteints de diabète de type 2. Elle a démontré des effets bénéfiques sur la réduction de la protéinurie et la protection rénale chez les patients IRC diabétiques, ce qui en fait une option thérapeutique prometteuse pour la néphroprotection dans ce contexte, notamment en complément des mesures néphroprotectrices de première intention.
Cette approche, qui bénéficie à ce jour d’une AMM européenne mais n’est pas encore disponible en France, est recommandée chez les patients diabétiques de type 2 albuminuriques (RAC > 30 mg/g) avec un DFG > 25 ml/min/1,73 m2 et une kaliémie normale.
En conclusion, la prise en charge des patients atteints d'IRC repose sur une approche multidimensionnelle incluant un traitement étiologique, des mesures hygiénodiététiques, la gestion de l'hypertension artérielle et l'utilisation d'agents néphroprotecteurs. En dehors de cas particuliers, l’ensemble de ces mesures néphroprotectrices peut être initié directement par le médecin généraliste.
Compte tenu de l’arsenal thérapeutique dont nous disposons désormais, une prise en charge précoce et proactive de l'IRC permet de ralentir très significativement la progression de la maladie rénale, d'améliorer la qualité de vie des patients et de réduire le risque de complications cardiovasculaires et rénales (figure 2).
EN RÉSUMÉ
- Le dépistage de la maladie rénale chronique repose sur une surveillance annuelle de la créatininémie et du rapport albuminurie/créatininurie chez les patients à risque.
- Les avancées majeures des dernières années permettent désormais de proposer une néphroprotection efficace chez la majorité des patients IRC lorsque ces mesures sont prises suffisamment tôt.
– La limitation des apports en sel (< 5-6 g/j) et en protéines (0,6-0,8 g/kg/j) sont les deux mesures diététiques principales proposées aux patients IRC.
- Le contrôle de l'HTA est un objectif majeur dans l’IRC, en utilisant principalement des IEC ou les ARA2, souvent associés à des diurétiques.
- Les inhibiteurs de SGLT2 ont démontré des effets bénéfiques sur la fonction rénale et la morbimortalité cardiovasculaire chez les patients IRC et constituent avec les bloqueurs du système rénine-angiotensine la base du traitement néphroprotecteur en 2024.
Bibliographie :
- Guide du parcours de soins HAS – Maladie rénale chronique de l’adulte (MRC). Validé par le Collège le 1er juillet 2021 et mis à jour en sept. 2023
- Guerrot D. HTA chez le patient insuffisant rénal. Rev Prat Med Gen 2022;36(1068);295-98.
- Levin A et al. Executive summary of the KDIGO, Clinical Practice Guideline for the Evaluation and Management of Chronic Kidney Disease: known knowns and known unknowns. Kidney Int. 2024 Apr;105(4):684-701
LIENS D’INTÉRÊT : L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt financier personnel avec l’industrie pharmaceutique en rapport avec le sujet de cet article. L’auteur déclare avoir bénéficié d’hospitalité au cours des cinq dernières années de la part des laboratoires AstraZeneca, Lilly Boehringer, Bayer, Servier, CSL Vifor, Alexion.
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