Rafael, 34 ans, consulte pour une dyspnée d’effort et une asthénie s’accentuant depuis une dizaine de jours. Il n’a pas de facteurs de risque cardiaque connus, ne tousse pas, est apyrétique. La PA est normale, la fréquence cardiaque à 95, l’auscultation pulmonaire et cardiaque sans particularités. Le bilan demandé révèle un BNP à 1 240 pg/ml, des D-Dimères à 1 300 ng/ml, une troponine normale et une légère cardiomégalie radiologique. Rafael est hospitalisé et sera porté le diagnostic de cardiomyopathie dilatée en rapport avec une exogénose, 3 litres de bière /jour depuis près de 8 ans.
LA CARDIOMYOPATHIE DILATÉE
La cardiomyopathie dilatée ou hypotrophique se caractérise par une dilatation des cavités ventriculaires, un amincissement des parois et une baisse de la contraction. Moins fréquente (1/3 000) que la cardiomyopathie hypertrophique (1/500), elle touche le plus souvent des sujets entre 30 et 40 ans, préférentiellement de sexe masculin.
→ L’atteinte directe du myocarde - ce qui exclut une origine coronaire, valvulaire, ou péricardique - va amener une diminution de la force contractile puis entraîner une dilatation des ventricules, phénomène compensateur, associé à la tachycardie, qui permettent initialement d’augmenter le volume d’éjection systolique et de maintenir ainsi un débit cardiaque suffisant. Cette dilatation s’accompagne d’un amincissement des parois myocardiques et d’une modification de la forme du ventricule qui devient sphérique. Ce remodelage cardiaque est rapidement délétère.
→ Quand une CMD se manifeste, c’est par des signes cliniques d’insuffisance cardiaque (dyspnée, OMI, tachycardie…).
→ La démarche diagnostique est assez simple mais le diagnostic étiologique est parfois compliqué. Il est essentiel d'interroger Rafael en ce qui concerne ses antécédents familiaux et personnels :
- antécédents familiaux : cardiopathie dilatée, mort subite, affections neuro-musculaires ;
- antécédents personnels : infectieux, dysimmunitaires, inflammatoires ;
- facteurs de risque CV ;
- habitudes de vie : alcool, voyage à l’étranger.
→ Les multiples étiologies, génétiques ou secondaires de la CMD sont de mieux en mieux connues. De nombreuses mutations ont été retrouvées dans divers gènes intéressants les protéines du cardiomyocyte. Une origine familiale est associée dans environ 30 % des cas. La CMD peut aussi être secondaire : post-partum, cause métabolique (hémochromatose), endocrinienne (hyperthyroïdie), toxique (antimitotiques, alcool), infectieuse (myocardites virales, coxsackie, EBV, rickettiose), inflammatoires (lupus, sclérodermie).
→ Dans un certain nombre de cas, aucune cause n’est identifiée, la CMD est dite idiopathique.
ALCOOL ET CŒUR
• La consommation d’alcool peut être responsable de 3 maladies CV :
- l'HTA qui peut apparaître à partir de 40 g/j d’alcool pur ;
- les troubles du rythme cardiaque : transitoires en cas d'alcoolisation aiguë (fibrillation auriculaire pouvant être grave) ou permanents en cas d'alcoolisation excessive chronique ;
- les myocardiopathies : elles atteignent le plus souvent des hommes de 30 à 55 ans consommant plus de 90 g d’alcool/jour de puis plus de 5 ans.
La cardiomyopathie d’origine alcoolique serait en cause dans près de 50 % des CMD. Le mécanisme exact de cette atteinte est mal défini. On met en avant une toxicité spécifique de l'alcool sur les cardiomyocytes. Il existe sans doute une susceptibilité individuelle expliquant le développement chez certaines personnes de cette cardiomyopathie dilatée toxique. Enfin, il ne faut pas oublier le béri-béri, responsable au niveau cardiaque d'une insuffisance cardiaque aiguë à haut débit, réversible après correction du déficit vitaminique.
LE DIAGNOSTIC
→ L’échographie cardiaque est l’examen primordial permettant de faire le diagnostic et de suivre l'évolution de la maladie. Elle objective la dilatation des cavités cardiaques (diamètre télédiastolique du VG supérieur à 27 mm/m2), mesure l'épaisseur des parois qui sont amincies, l’altération de la fonction ventriculaire gauche (FEVG inférieure à 40 %), hypokinésie diffuse responsable d'une diminution de la fraction de raccourcissement. Dans le cas de Rafael, le VG est modérément dilaté mais la FEVG est très altérée (35 %), l’hypokinésie homogène.
→ D’autres explorations doivent être réalisées pour rechercher une cause spécifique à la CMD: coronarographie (ou coro-scanner) afin d'éliminer une cardiopathie ischémique, scintigraphie myocardique au thallium, IRM qui permet de dépister des zones de fibrose ou d’inflammation. Une biopsie myocardique pour le diagnostic des cardiopathies de surcharge, sarcoïdose ou hémochromatose est exceptionnellement pratiquée.
LE TRAITEMENT
Rafael doit comprendre que l’arrêt de l'alcool est impératif et peut faire régresser son insuffisance cardiaque, voire souvent normaliser la situation.→ Le traitement des CMD repose sur l’association régime sans sel, diurétique (en cas de congestion) IEC et bêta-bloquant en 1re intention puis, sans réponse favorable, dans un 2e temps les antagonistes des récepteurs aux minéralo-corticoïdes. Le pronostic, naguère très péjoratif avec une évolution des formes symptomatiques en quelques années vers l'insuffisance cardiaque systolique terminale ou la mort subite, a été transformé par les progrès du traitement médical et électrique de l'insuffisance cardiaque. Il faut, bien entendu, envisager la pose d’un défibrillateur automatique implantable si la FEVG reste ≤ 35 % malgré le traitement médical bien conduit.
BIBLIOGRAPHIE
1- M. Galinier, O. Lairez, J. Roncalli, N. Dumonteil, P. Maury, A. Pathak, C. Biendel. Cardiomyopathies dilatées primitives et secondaires. EMC - Cardiologie 2011:1-12 [Article 11-044-C-10].
SITES UTILES
Ligue contre la cardiomyopathie : www.ligue-cardiomyopathie.com/cardiomyopathie/
Groupe de de travail « Insuffisance cardiaque et cardiomyopathies » de la SFC : www.sfcardio.fr/insuffisance-cardiaque-et-cardiomyopathies
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