Awa, 65 ans et originaire du Swaziland, sollicite notre avis pour la pigmentation des conjonctives de ses deux yeux.
Cette consultation fait suite à une soirée avec la conjointe d’un collègue de travail. Cette dernière, étudiante en médecine, a constaté la présence d’un placard mal limité pigmenté au niveau des deux conjonctives des yeux du patient.
Très anxieuse à l’idée que cette anomalie soit associée à un mélanome malin du fait d’une zone hyperpigmentée étendue, cette future collègue demande notre avis.
Lors de la consultation, Awa précise certains points importants :
- cette pigmentation est présente depuis son très jeune âge,
- ses parents et ses frères et sœurs sont également porteurs de cette pigmentation conjonctivale.
Le patient nous explique que cette anomalie pigmentaire a déjà fait l’objet de consultations lors d’une évaluation de sa vue par un ophtalmologue.
Ce dernier lui aurait dit que cette pigmentation serait en relation avec son origine ethnique et qu’elle était tout à fait anodine. En fait, Awa est porteur d’une mélanose acquise ethnique ou raciale.
Les mélanoses conjonctivales se composent de deux groupes (congénitales ou acquises) qui sont eux-mêmes divisés en deux sous-groupes.
LES MÉLANOSES CONGÉNITALES
La mélanose conjonctivale sous-épithéliale
Il s’agit du nævus d’Ota, qui se caractérise par une pigmentation souvent étendue.
Cette mélanose concerne l’œil et ses composantes (sclère, uvée, trabéculum, conjonctive), mais peut aussi se développer au niveau des méninges.
Le nævus d’Ota est un hamartome des mélanocytes dermiques.
Le risque de transformation maligne ne concerne que les formes ayant un développement méningé, péri-oculaire ou uvéal.
La mélanose congénitale intraépithéliale
Il s’agit des classiques éphélides, qui sont en relation avec une accumulation de mélanine au niveau de la couche basale de l’épithélium conjonctival.
Cette forme de mélanose est tout à fait bénigne.
LES MÉLANOSES ACQUISES
La mélanose primitive acquise
Elle survient le plus souvent chez les patients de plus de 40 ans avec un phototype clair.
Fréquemment, elle concerne un seul œil, et se caractérise par une pigmentation ayant des tonalités de couleur très variées.
Ce type de mélanose est dû à une prolifération mélanocytaire prédominant au niveau de l’épithélium conjonctival.
Cette pigmentation, le plus souvent brune, est centrée au niveau de la conjonctive mais peut concerner également la caroncule et la cornée.
Une surveillance ophtalmologique trimestrielle par un professionnel de santé est nécessaire. Une évolution maligne est en effet possible et il est important de souligner que, dans la majorité des cas, le mélanome conjonctival dérive d’une mélanose acquise primitive, d’où alors la nécessité d’effectuer des biopsies avec analyse anatomocytopathologique.
La mélanose raciale ou ethnique
Sa fréquence varie en fonction de l’origine ethnique des patients. Chez les Africains et Afro-Américains, on l’observe dans près de 95 % des cas, alors que chez les Asiatiques, on la met en évidence dans 30 % des cas, et que, chez les Caucasiens, elle est objectivée dans 1 à 5 % des cas.
À l’origine de cette mélanose, il existe une hyperpigmentation des cellules basales de l’épithélium uniquement, sans qu’il y ait de prolifération mélanocytaire.
Ce type de mélanose touche les deux conjonctives mais de manière asymétrique.
La pigmentation est fréquemment majorée au niveau de la région du limbe où, parfois, la concentration de pigments est importante et forme des nodules.
On note par ailleurs une moins grande pigmentation de cette mélanose en s’éloignant du limbe, la conjonctive palpébrale et les culs-de-sac conjonctivaux n’étant pas ou très rarement concernés par cette entité.
Cette mélanose est dans la très grande majorité des cas bénigne mais, bien entendu, dès lors que des modifications de couleur ou de forme sont observées, une biopsie s’avère nécessaire.
Dr Pierre Francès (médecin généraliste à Banyuls-sur-Mer), Pietro Rosso, Elsa Masse et Carie Artero (externes à Montpellier)
BIBLIOGRAPHIE
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