Métabolisme

LA PELLAGRE

Publié le 23/05/2014
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Pathologie en rapport avec un trouble nutritionnel dans les pays en voie de développement, la pellagre est parfois rencontrée chez les patients en situation de précarité. La triade clinique – dermatose, troubles digestifs et altération des fonctions supérieures – est classique.

Crédit photo : Dr Pierre Frances

À la demande d’un éducateur d’un foyer de SDF, nous rencontrons René, 64 ans, arrivé très désorienté. Il nous explique avoir vécu très longtemps dans la rue, s’être alimenté à partir du contenu des poubelles et d’alcool. Il ne sait plus dans quelle ville il résidait antérieurement, ni sa profession et son MMS est à 17/30. On nous signale un défaut d’hygiène corporelle en rapport avec une diarrhée importante. Cliniquement, nous sommes frappés par l’érythème de ses mains qui est également présent sur le tiers inférieur de ses avant-bras. Compte tenu de symptômes, de l’alimentation aléatoire sur un terrain d’alcoolisme chronique, nous pensons à une carence en vitamine PP ou pellagre.

La pellagre est en rapport avec une carence alimentaire en vitamine B3 ou vitamine PP (niacine). Le plus généralement, elle se rencontre dans les pays pauvres, où l’alimentation est à base de maïs ou de riz. Cette pathologie peut se retrouver en France chez les patients ayant des carences nutritionnelles, des troubles de malabsorption, un alcoolisme chronique, chez les végétariens, ou suite à l’administration de certains médicaments (5FU, isoniazide, pyrazinamide, hydantoïne, phénobarbital, chloramphénicol).

SYMPTOMATOLOGIE CLINIQUE

A l’inspection, les patients sont cachectiques, asthéniques, somnolents, et tristes. Néanmoins, comme dans notre cas clinique, il existe le tableau classique des 3D.

› La dermatose. On la retrouve dans près de 80% des cas. Les manifestations touchent les zones photo-exposées (visage, cou, mains, avant-bras et jambes) de manière bilatérale et symétrique avec des limites le plus souvent nettes. Il s’agit de placards érythémateux brillants, parfois associés à des œdèmes et des bulles. Sur le visage, l’aspect est caractéristique en « ailes de papillon » pseudolupique. Progressivement, les zones hyperpigmentées perdent leur lustre naturel et prennent un aspect squameux et finement craquelé. Ainsi au niveau du cou, la pigmentation devient plus foncée (aspect cannelle) et une hyperkératose apparaît donnant une sensation de parchemin. Le contraste entre l’hyperkératose de la base du cou et le reste du thorax prend la forme d’un collier (collier de Casal). Les muqueuses sont parfois touchées : chéilite, glossite, perlèche.

› Les signes digestifs. On observe parfois des épigastralgies et des gastrites achlorhydriques. Il peut également s’agir d’une dysphagie chronique qui entraîne une anorexie. Cependant, la diarrhée chronique et récurrente reste le signe digestif le plus spécifique, et le plus inquiétant. Elle est retrouvée dans 50% des cas, et signe une malabsorption intestinale secondaire au non renouvellement des cellules qui tapissent la muqueuse colique.

› Les troubles neuropsychiatriques et la démence. Ils sont plus tardifs. Le plus souvent, il s’agit d’anxiété, d’insomnie, de cauchemars, de dépression, d’hallucinations. Comme dans notre cas, une évolution vers une encéphalopathie est possible. On retrouve des troubles de la mémoire, un syndrome confusionnel, et une démence. L’alcool peut également être responsable de ce tableau. La pellagre est une des causes de démence curable.

LE DIAGNOSTIC

Il est avant tout clinique (intérêt de connaître la triade clinique). En effet, le dosage sérique de nicotinamide a peu de valeur car le sérum ne contient que très peu d’acide nicotinique libre.

Cependant, il est possible de demander un dosage des métabolites urinaires de la niacine (le méthylnicotinamide : 1-MN, ou le 1-méthyl-2-pyridone-5-carboxamide : 2-PYR). Ces métabolites sont de bons indicateurs du statut du patient vis-à-vis de la vitamine PP.

L’histologie des lésions cutanées n’a aucune utilité.

Certains auteurs préconisent, dans le cas d’évaluation d’un trouble d’absorption intestinale, de demander un test de charge au tryptophane ou de nicotinamide. Après l’avoir réalisé, les catabolites urinaires sont dosés, et analysés.

LE TRAITEMENT

Il repose sur la supplémentation en vitamine PP : 300 à 600 mg dans les formes mineures et 3 à 4g dans les formes sévères. On maintient les doses recommandées jusqu’à la disparition des signes cliniques, puis une demi-dose est recommandée durant 2 à 3 semaines.
 

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Bien entendu, dans des cas comme le nôtre, il est nécessaire d’y associer une prescription « polyvitaminique » avec des vitamines B, zinc et magnésium, car les carences vitaminiques sont souvent multiples.

L’arrêt de l’intoxication alcoolique doit être préconisé, tout comme la suppression des thérapeutiques pouvant être responsables de ce tableau.

En parallèle, il faut donner des conseils nutritionnels, et insister sur les aliments riches en vitamine PP.

L’absence de traitement de la pellagre conduit inexorablement à la cachexie et la mort au bout de 4 à 5 ans de déficit.

Drs Pierre Frances (médecin généraliste, 1 rue Saint Jean Baptiste, 66650 Banyuls-sur-Mer), Caroline Passeron (interne en médecine générale, 34000 Montpellier), Neil Matcalfe (médecin généraliste, Programme Hippokrates, York), Jorge Zafra (interne en méde

Source : lequotidiendumedecin.fr