Gastro-entérologie

LA RECTITE RADIQUE

Publié le 13/03/2020
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La rectite radique est une pathologie observée de manière chronique chez 5 à 20 % des patients irradiés au niveau pelvien. La symptomatologie est surtout dominée par la rectorragie. La coloscopie permet de poser le diagnostic. Le traitement est fonction de l’importance des saignements.
Congestion de la muqueuse rectale vue en coloscopie

Congestion de la muqueuse rectale vue en coloscopie
Crédit photo : Dr Frances

Julien, 71 ans, vient consulter car depuis une semaine, il présente des rectorragies. Parmi ses antécédents, une HTA traitée avec un IEC et un diabète de type 2 traité par biguanide. Il y a 7 ans, il a bénéficié d’un traitement chirurgical pour un cancer de la prostate. Deux ans plus tard, du fait d’une ascension de son PSA, urologues et oncologues ont décidé de réaliser une radiothérapie, traitement achevé l’année dernière. L’examen clinique est rassurant : aucune anomalie particulière n’est objectivée. Mais, compte tenu de la symptomatologie et des antécédents, nous adressons le patient à un gastro-entérologue pour une coloscopie, qui met en évidence un aspect congestif de la muqueuse rectale (cliché 1), en rapport avec la radiothérapie.

La rectite radique est fréquemment observée lors de la réalisation d’une radiothérapie effectuée pour des cancers pelviens (vessie, utérus, rectum, anus, prostate). Dans le cas du cancer de la prostate, différents traitements peuvent être proposés, la radiothérapie externe étant une des alternatives dans la prise en charge. La position centrale du rectum au niveau pelvien permet aisément de comprendre les raisons du développement de lésions rectales en rapport avec la radiothérapie. Ce traitement peut-être responsable d’une artérite oblitérante au niveau du rectum, à l’origine d’une ischémie. Cette ischémie favorise le développement d’une néovascularisation (à l’origine de saignements) et d’une fibrose interstitielle.

Plusieurs facteurs peuvent majorer la rectite radique :

La dose administrée. Le risque de rectite est majoré au-delà de la dose de 45 Gy, et il est majeur à partir de 70 Gy.

• Les facteurs liés à la radiothérapie (volume irradié, nature de l’appareillage utilisé, fractionnement des doses).

• Les antécédents du patient (HTA, diabète, maladies vasculaires, chirurgie pelvienne antérieure, immunosuppression).

• Les traitements concomitants (chimiothérapie notamment).

• L’âge supérieur à 70 ans.

CARACTÉRISTIQUES CLINIQUES

→ Les rectites aiguës

Elles sont très fréquentes. Il s’agit du « coup de soleil rectal ». Le plus souvent, ces manifestations sont transitoires et peu sévères. Il s’agit de rectorragies (généralement peu abondantes), de proctalgies, et parfois d'un syndrome rectal (selles nombreuses, ténesme, et parfois une incontinence fécale). Cette symptomatologie disparaît le plus souvent au bout de 3 mois après la fin de la radiothérapie. On observe des séquelles dans 5 à 20 % des cas.

→ Les rectites chroniques

Elles surviennent chez 10 à 20 % des patients. On les observe le plus souvent entre le 6e et le 24e mois après la radiothérapie, mais parfois au bout de 10 ans voire plus. Dans ces cas, il existe des rectorragies parfois abondantes (elles peuvent être responsables d’anémies), des douleurs pelviennes ou rectales, ou d'un syndrome rectal. Ces manifestations cliniques sont très fluctuantes et parfois déroutantes pour le patient comme le clinicien.

À l'avenir, moins de rectites radiques ?

Actuellement, les oncologues œuvrent pour réduire de manière importante les formes sévères de rectites radiques. Ainsi, la radiothérapie avec modulation d’intensité (dose très conformationnelle dans un volume concave) (RCMI) permet de diminuer la toxicité rectale. Le fractionnement des doses permet également de minorer les effets secondaires rectaux.

DIAGNOSTIC

Il repose sur la coloscopie. Cet examen peut également permettre de poser le diagnostic d’une néoplasie colique associée à ce tableau. La coloscopie recherche différentes lésions en rapport avec la radiothérapie : télangiectasies, congestions, ulcérations. Ces lésions sont à l’origine de différentes classifications permettant d’évaluer, en fonction de l’importance des lésions observées, la gravité de l’atteinte. En cas de doute, le diagnostic du gastro-entérologue devra être très prudent. En effet, la réalisation de biopsie est risquée et se doit d’être parcimonieuse, car les risques de nécrose tissulaire ou de fistulisation au décours d’un prélèvement sont importants sur ce terrain.

TRAITEMENT

Il est fonction de l’importance de la rectorragie.

→ En cas de rectorragie de faible abondance, l’abstention thérapeutique est possible. On peut cependant prescrire des lavements à base de sucralfate ou de corticoïdes. En cas d’échec, on effectue la même prise en charge que dans le cas d'une rectorragie de moyenne abondance.

→ En cas de rectorragie de moyenne abondance, on effectue une coagulation par plasma argon. En cas d’inefficacité, il faut recourir à la formaline (mélange de formaldéhyde et d’eau distillée) en tamponnement ou en irrigation permettant de réduire la néovascularisation.

→ En cas de saignements très abondants, on utilise la formaline et en cas d’échec l’oxygénothérapie hyperbare.

Bibliographie

1. Serrano NA, Kalman NS, Anscher MS. Reducing rectal injury in men receiving prostate cancer radiation therapy : current perspectives. Cancer Management and Research 2017 ; 9 : 339-350.
2. Bauer P, Berrod JL, De Parades V, Chauveinc L. Lésions radiques de l’anus et du rectum. Hépato Gastro et Oncologie digestive 2015 ; 22 : 488-499.
3. Gross E. Radiothérapie conformationnelle du cancer de la prostate. Progrès en Urologie 2011 ; 21 (11) : 801-807.
4. De Parades V, Bauer P, Marteau P, et al. Traitement non chirurgical des rectites radiques chroniques hémorragiques. Gastroentérologie Clinique et Biologique 2007 ; 31 (11) : 919-928.
5. Francès P. Les effets secondaires colorectaux de la radiothérapie chez le patient ayant un cancer de la prostate. Intérêt pour le généraliste de les connaître ? Communication Orale CMGF 2020.

 

Dr Pierre Frances (médecin généraliste à Banyuls-sur-Mer), Justine Chevrier (interne en médecine générale à Montpellier), Bruna Alves Neves (interne en médecine générale, programme Hippokrates, Ribeirao Preto, Brésil), Sonia Gille (externe à Montpell

Source : lequotidiendumedecin.fr