Allergologie

L’ANAPHYLAXIE CHEZ L’ENFANT

Publié le 06/11/2020
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L’anaphylaxie requiert une action thérapeutique urgente et le médecin doit savoir en repérer le risque, prescrire l’adrénaline, éduquer le patient et l’orienter vers l’allergologue. En situation d’urgence, l’adrénaline est le seul traitement de première intention.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

INTRODUCTION

L’anaphylactie se manifeste chez l’enfant souvent à l’extérieur de la famille : dans le temps scolaire, au restaurant. Ces dernières années, la conduite à tenir en cas d’anaphylaxie a fait l’objet d’une recherche de consensus entre les allergologues et les urgentistes afin d’harmoniser les recommandations.
Les causes principales, ainsi que les facteurs aggravant le risque, doivent être connus et repérés.
Le diagnostic positif fait devant les manifestations générales, cutanées, respiratoires et digestives conduit à l’administration d’adrénaline immédiate et sans délai. La prescription d’un stylo auto-injecteur d’adrénaline pour un enfant s’accompagne d’une éducation thérapeutique et de la remise d’un plan d’action d’urgence.
L’enfant disposera d’une trousse d’urgence. Les indications de prescription de l’adrénaline dans la trousse d’urgence sont à discuter avec l’allergologue.
définition

L’anaphylaxie se définit comme toute réaction sévère généralisée ou systémique avec atteinte de plusieurs organes-cibles mettant potentiellement en jeu le pronostic vital (1). C’est une réaction d’hypersensibilité immédiate, la forme la plus grave d’allergie IgE dépendante (2).
L’incidence des réactions d’anaphylaxie est en augmentation au cours des dix dernières années, notamment chez l’enfant (2), avec davantage d’hospitalisations en unité de soins intensifs (USI), alors que la mortalité tous âges confondus reste stable. Cette mortalité est liée aux causes médicamenteuses et aux hyménoptères chez l’adulte, et chez l’enfant aux allergènes alimentaires : cacahuète, fruits à coque et lait (vache, chèvre, brebis) (3).

SYMPTOMATOLOGIE ET DIAGNOSTIC

L’anaphylactie se caractérise par un début aigu des symptômes, en quelques minutes (au maximum deux à trois heures), après la survenue du facteur déclenchant d’un tableau menaçant le pronostic vital. L’évocation du diagnostic chez le jeune enfant est compliquée car 30 à 60 % des épisodes sont inauguraux.

Atteinte de la peau et de la muqueuse : érythème, urticaire généralisée, œdème des lèvres, de la langue et de la luette. Le prurit des paumes, de la plante des pieds et du cuir chevelu est caractéristique de la réaction allergénique, il précède souvent l’érythème et l’urticaire et peut être annonciateur du choc.
Cette atteinte cutanéo-muqueuse est associée à au moins l’une des manifestations suivantes :
atteinte respiratoire : changement de voix, difficultés d’élocution, apparition d’une toux, d’une gêne respiratoire sifflante,
diminution de la pression artérielle (PA), hypotonie, syncope, collapsus, l’enfant « change de couleur », est soudain très fatigué, il veut s’endormir,
signes digestifs nets : violentes douleurs abdominales, nausées/vomissements, diarrhée.

Le diagnostic est retenu également devant l’association de deux des symptomatologies ci-dessous : atteinte de la peau, atteinte respiratoire, digestive et/ou hypotension, parfois en l’absence de signes cutanés.

Une brusque diminution de la pression artérielle systolique (PAS) après exposition à un allergène connu : PAS inférieure à 70 mmHg avant 1 an ; inférieure à 70 mmHg + 2 mmHg par année d’âge entre 1 et 10 ans ; inférieure à 90 mmHg après 10 ans. Cette baisse de la PAS, parfois isolée, doit être reconnue et prise en compte.
En présence de cette symptomatologie, l’adrénaline doit être injectée sans attendre.
Les diagnostics différentiels sont nombreux et dépendent du contexte : crise d’asthme grave, urticaire sans anaphylaxie, malaise, crise d’angoisse, corps étranger respiratoire, etc.
Prendre garde à la forme bi-phasique avec une récidive secondaire de probabilité plus faible pour les aliments que pour les médicaments. Attention aussi à la rechute des symptômes lors de la mobilisation du jeune patient après mise en position allongée sur le dos, qu’il est donc prudent de maintenir jusqu’à l’arrivée des secours.

ÉTIOLOGIE

Les aliments sont la principale cause d’anaphylaxie chez l’enfant (66 %), contre 20 % pour les venins d’hyménoptères et 5 % pour les médicaments. Chez l’adulte, il existe une large prédominance d’anaphylaxie iatrogène, c’est-à-dire due à des médicaments. Sont également en cause les venins d’hyménoptères, principalement chez l’homme de plus de 50 ans, et l’allergie alimentaire chez les adultes jeunes et les adolescents. On observe une diminution du nombre d’anaphylaxies mortelles iatrogènes (4).
La voie de déclenchement est le plus souvent orale et cela peut être par l’intermédiaire du lait maternel, ou par voie inhalée. Les aliments principalement en cause sont l’arachide et les fruits à coque (noix de cajou, pistache), le lait de vache, le lait de chèvre/brebis. Il existe des facteurs déclenchants, comme l’exercice physique, et des facteurs aggravants, comme l’asthme, en particulier chez l’adolescent. Les antécédents d’anaphylaxie personnelle ou familiale sont un facteur de risque.
Le retard à l’utilisation de l’adrénaline est colligé dans les facteurs de risque.

TRAITEMENT

La prise en charge de l’anaphylaxie chez l’enfant se fait aujourd’hui selon un protocole bien précis :
1. Reconnaître et traiter précocement par l’adrénaline injectable, puis appeler les secours. L’adrénaline par voie intramusculaire dans la face antéro-externe de la cuisse, à l’aide d’un dispositif auto-injectable, est le seul traitement de première intention de l’anaphylaxie et doit être administrée avant même l’intervention médicale. Les anti-H1 et les corticoïdes sont des médicaments de seconde intention.
2. Il existe principalement deux dosages pour les stylos auto-injecteurs d’adrénaline (ou épinéphrine), 150 μg et 300 μg, et 4 marques sont disponibles : Anapen®, Jext®, Epipen®, Emerade®. La posologie est de 150 μg de 7,5 à 25 kg, et de 300 μg au-delà. Pour les plus de 60 kg (et adultes), un dosage Emerade® à 500 μg est disponible. Les stylos sont vendus par boîte de deux, ce qui permet d’effectuer une deuxième injection si les symptômes persistent, ou bien pour les chocs en deux temps, c’est-à-dire lorsqu’on observe une rechute de la symptomatologie au cours du transfert aux urgences.
3. Il n’existe aucune contre-indication à l’administration d’adrénaline.
4. Allonger l’enfant avec les jambes surélevées. En cas de signes respiratoires, le laisser assis et administrer un bronchodilatateur en aérosol doseur avec chambre d’inhalation : 10 bouffées, que l’on peut renouveler.
5. L’injection d'adrénaline précède ou est concomitante à l’appel au SAMU (15) qui va permettre une admission aux urgences pour surveillance et évaluation de la cause ayant déclenché l’anaphylaxie, et la prise de contact pour une consultation d’allergologie.
6. Les antihistaminiques sont un traitement de deuxième ligne et ne doivent pas faire retarder l’injection d’adrénaline.
7. Les corticoïdes oraux n’ont pas d’utilité dans le traitement de première ligne de l’anaphylaxie. Ils pourront être prescrits en cas de crise d’asthme (surtout chez l'adolescent), associés aux bronchodilatateurs, afin de freiner l’apparition de la composante inflammatoire de l’asthme.
8. Un bilan spécialisé en allergologie devra être programmé à la suite de l’épisode afin de revoir ses causes et d’envisager la stratégie de prévention.

Figure 1

STRATÉGIE DE PRÉVENTION ET ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE

Il est impératif que l’enfant à risque soit en possession d’un plan d’action personnalisé (PAP) écrit et que ce document soit remis au sortir des urgences à celui dont l’épisode a été inaugural.
En 2020, un groupe de travail national de la Société française d’allergologie a publié un document de synthèse présentant un « plan d’action d’urgence en cas de réaction allergique chez l’enfant et l’adolescent » (Figure 1) (5). Ce plan, qui est clair, donne à l'adulte en charge de l'enfant la conduite à tenir en cas de réaction allergique simple.
Les QR-codes disponibles avec les préparations d’adrénaline auto-injectables permettent l’accès aux didacticiels d’utilisation des produits.
TrousseLa trousse d’urgence délivrée à l’enfant ou à sa famille doit donc contenir deux dispositifs d’adrénaline auto-injectable et il est recommandé de prescrire plusieurs trousses selon les lieux de vie de l'enfant : la maison, l’école, les loisirs… En cas d’asthme, la prescription d’un bêta-2-mimétique de courte durée d’action est nécessaire (salbutamol = Ventoline®AD par exemple avec chambre d’inhalation).
L’anti-H1 n’est actif que sur la composante cutanée et muqueuse des symptômes. Les corticostéroïdes oraux n’ont pas d’effet immédiat sur l’anaphylaxie, et ne préviennent pas le risque de réaction bi-phasique. Aussi, ils ne sont donc pas présents dans la trousse d’urgence (5).
L’éducation thérapeutique et l’avis de l’allergologue
La prescription du stylo auto-injecteur doit s’accompagner d’une démonstration à l’aide d’un « trainer » et d’illustrations par les didacticiels. Par ailleurs, la technique de prise de l’aérosol doseur dans la chambre d’inhalation doit également être comprise et contrôlée. Il faut penser à vérifier les dates de péremption des produits de la trousse d’urgence.
À la suite d’un épisode anaphylactique, la consultation de l’allergologue est indispensable. Il est important de s’assurer que tous les facteurs liés au déclenchement d’un épisode d’anaphylaxie soient analysés. Ainsi, en cas d’allergie connue, l’allergologue doit revoir l’enfant et sa famille : faut-il entreprendre un nouveau bilan allergologique ? La compréhension du PAP et de son exécution est-elle bonne, faut-il le reformuler ? Les précautions d’éviction alimentaires sont-elles suivies ?
En l’absence d’antécédent, l’allergologue doit rechercher l’étiologie probable par l’interrogatoire et les tests cutanés et sanguins. La conduite à tenir en conséquence est prescrite.
En collectivité et milieu scolaire
L’enfant, dès son plus jeune âge, passe beaucoup de temps en dehors de son milieu familial. Il est amené à fréquenter la restauration scolaire, les centres de loisirs, etc. Le projet d’accueil individualisé (PAI) a justement pour objectif de favoriser l’accueil des enfants ayant un problème de santé. Après l’asthme, l’allergie alimentaire est le second motif le plus fréquent d’établissement d’un PAI (6).
Ce document écrit fait la liaison entre la famille, le médecin, l’infirmière scolaire, les personnels et les enseignants. Il est rédigé sur les indications de l’allergologue du médecin traitant. Le PAI décrit les risques et se reporte au PAP pour établir les protocoles permettant l’accueil des enfants dans les meilleures conditions de sécurité. Il est indiqué dans tous les lieux de vie extra-familiaux et s’accompagne d’une trousse d’urgence.
Les situations dans lesquelles il existe une recommandation d’un PAI alimentaire avec stylo auto-injecteur d’adrénaline dans la trousse d’urgence sont les suivantes : antécédents d’anaphylaxie, allergie alimentaire à l’arachide et aux fruits à coque, réaction à des doses faibles d’autres allergènes chez l’adolescent. Les indications du stylo peuvent être plus larges en cas d’éloignement de l’établissement par rapport à une structure de soin.
Il est à noter qu’actuellement, la mise à disposition de stylos auto-injecteurs d’adrénaline dans les établissements du second degré est attendue et que les protocoles d’accueil (PAI) sont en cours d’harmonisation pour tous les établissements scolaires.

EN RÉSUMÉ

Les manifestations cliniques de l’anaphylaxie associent au moins deux des atteintes cutanées, respiratoires, digestives ou générales.
L’adrénaline est le traitement de l’anaphylaxie, elle doit être injectée rapidement, elle sauve la vie. Le mode d’emploi du stylo auto-injecteur est simple et sa prescription doit s’accompagner d’une démonstration (didacticiel). Il n’y a aucune contre-indication à son usage chez l’enfant.
L’appel au SAMU (15) est nécessaire pour une admission aux urgences, suivie d’une surveillance et d’une orientation vers la consultation d’un allergologue qui est indispensable.
La mortalité par anaphylaxie chez l’enfant est liée principalement à l’allergie à la cacahuète, aux fruits à coque et au lait (vache, chèvre, brebis) ; ce risque est accentué chez l’adolescent.
L’enfant à risque ou ayant des antécédents doit être en possession d’un plan d’action personnalisé (PAP) et bénéficier d’une éducation thérapeutique. Sa trousse d’urgence contient deux stylos auto-injecteurs d’adrénaline. La mise en place d’un projet d’accueil individualisé (PAI) permet de réagir aux situations d’urgence en milieu scolaire et dans les activités périscolaires.

Bibliographie

1 - Dutau G Actualité de l’anaphylaxie chez l’enfant et l’adolescent. Réalités pédiatriques septembre 2018 n°223 pp 19-26.
2 - Pouessel G, Deschildre A Anaphylaxie de l’enfant (Revue générale) Rev Fr Allergol ; 2017 ; 57 : 558-566.
3 - Pouessel G, Lejeune S. Deschildre A La mortalité de l’anaphylaxie. Rev Fr Allergol ; 2019 ; 59 : 146-148.
4 - Pouessel G. et al Fatal anaphylaxis in France.Analysis of national anaphylaxis data 1979-2011. J.Allergy Clin Immunol 2017; 7 http://dx.doi.org/10.1016/j.jaci.2017.02.014.
5- Pouessel G. et al Actualisation de la conduite à tenir en cas d’urgence allergilogique chez l’enfant et l’adolescent. Position des groupes de travail « Allergie alimentaire en milieu scolaire », « Allergie alimentaire », sous l’égide de la Société Française d’Allergologie. Rev Fr Allergol, 2020 ; 60 : 83-89.
6 - Pouessel et al Actualité dans l’accueil en milieu scolaire des enfants avec une allergie alimentaires. Réalités Pédiatriques. N°235 Novembre 2019, pp 64-65.

Liens d'intérêts

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts relatif au contenu de cet article.

Dr Liliane Cret (allergologue et pédiatre, Bagnols-sur-Cèze)

Source : lequotidiendumedecin.fr