Antibiotiques pour traiter les infections respiratoires basses des enfants en médecine générale en Angleterre (ARTIC PC) : un essai randomisé en double insu versus placebo
Antibiotics for lower respiratory tract infection in children presenting in primary care in England (ARTIC PC) : a double-blind, randomised, placebo-controlled trial
Little P, Francis NA, Stuart B & al.
Lancet 2021 ; 398 : 1417-26.
CONTEXTE
Les infections respiratoires aiguës communes de l’enfant sont un motif de consultation très fréquent en médecine générale (1), avec son cortège de prescriptions d’antibiotiques plus ou moins médicalement justifiées. De leur côté, les autorités sanitaires des pays développés sont légitimement préoccupées par l’augmentation croissante des résistances bactériennes populationnelles ou individuelles à ces médicaments. Cette évolution délétère est principalement corrélée aux pratiques des médecins généralistes, qui comptent pour 80 % de l’ensemble des prescriptions (2, 3). Bien que les antibiotiques soient prescrits chez 40 % des enfants qui consultent en médecine générale pour une infection respiratoire basse non compliquée (4), la pertinence médicale de cette décision n’est pas bien établie (5), en particulier sur certains symptômes (6).
OBJECTIFS
Évaluer si l’amoxicilline est susceptible de réduire la durée et l’intensité des symptômes cardinaux modérés à sévères des enfants atteints d’une infection respiratoire basse non compliquée.
MÉTHODE
Essai randomisé en double insu versus placebo chez des enfants consultant pour une bronchite aiguë banale (1) dans 56 cabinets de médecine générale anglais. Pour être inclus, les enfants devaient être âgés de 6 mois à 12 ans, et avoir des symptômes datant de moins de 21 jours compatibles avec une infection respiratoire basse non compliquée (toux, gêne respiratoire, expectoration, douleur) selon le diagnostic clinique de l’investigateur. Ceux suspects de pneumopathie aiguë, asthmatiques ou immunodéprimés n’ont pas été inclus. Les enfants sélectionnés ont été randomisés pour recevoir de l’amoxicilline à une posologie adaptée à leur poids (50 mg/kg) ou un placebo pendant 7 jours.
Le critère de jugement principal était la durée de cinq symptômes : signes pulmonaires, fièvre, état général, expectorations ou râles pulmonaires et gêne respiratoire (mesurés quotidiennement à l’aide d’une échelle validée) considérés comme modérés à sévères à l’inclusion. Pour l’analyse principale, les données manquantes ont bénéficié d’une imputation multiple. La durée d’observation était au maximum de 28 jours ou plus courte en cas de disparition des symptômes. L’analyse statistique a été faite en intention de traiter à l’aide d’un modèle de régression de Cox. Une différence absolue de trois jours entre les groupes était considérée comme cliniquement pertinente. Cinq sous-groupes symptomatiques ont été préspécifiés selon l’un des cinq symptômes à l’inclusion précités, avec une analyse tenant compte de l’inflation du risque alpha.
RÉSULTATS
Entre novembre 2016 et mars 2020, 432 enfants (sur 1 460 recrutés) ont été randomisés : 221 dans le groupe amoxicilline et 211 dans le groupe placebo. Leurs caractéristiques cliniques et démographiques étaient similaires à l’inclusion : âge médian = 3,2 ans, garçons = 54 %, comorbidités = 13 %, parents fumeurs = 21 %, histoire familiale d’asthme = 64 % (!), ancienneté des symptômes à l’inclusion = 3 jours, température = 37,3 °C, automédication = 91,5 % (dont antibiotiques 43 %). Il en était de même pour l’observance déclarée, la fréquence, la nature et l’intensité des symptômes.
La durée médiane des symptômes (critère principal) a été comparable entre les groupes : 5 jours (mini-maxi = 4-11) sous amoxicilline et 6 jours (mini-maxi = 4-15) dans le groupe placebo : Hazard Ratio (HR) = 1,13 ; IC95 % = 0,91-1,42. Il en était de même pour l’évolution de l’intensité des symptômes vers un score ≤ 1 : 7 jours versus 8 jours ; HR = 1,09 ; IC95 % = 0,86-1,38, les consultations ou admissions à l’hôpital : risque absolu = 2 % dans les deux groupes, HR = 1,24 ; IC95 % = 0,32-4,78 et l’évolution de chacun des cinq symptômes préspécifiés avec retour à l’état de santé antérieur. Le taux de consultations non programmées pour nouveaux symptômes ou aggravation était également comparable entre les groupes : risque relatif = 0,80 ; IC95 % = 0,58-1,05. Par ailleurs, il n’y a eu aucune différence sur l’incidence cumulée des effets indésirables et sur chacun d’entre eux : diarrhées, nausées, rashs cutanés.
Au total, devant une infection respiratoire basse non compliquée de l’enfant habituellement en bonne santé, il n’y a aucun bénéfice à prescrire de l’amoxicilline.
COMMENTAIRES
L’équipe anglaise du chercheur universitaire en médecine générale Paul Little est une grande spécialiste des pratiques en soins primaires : 434 citations dans PubMed (7). Une fois encore, elle soulève une question pertinente en termes de santé individuelle et populationnelle, et méthodologiquement parlant, la réponse est solide et détaillée. Les infections respiratoires basses communes des enfants en bonne santé ne justifient pas de prescription d’antibiotiques (en l’occurrence ici uniquement l’amoxicilline). Les résultats de cet essai confirment ceux publiés antérieurement (5, 6), mais avec un effectif plus important et une méthode plus solide qui valident définitivement l’inutilité clinique de ce médicament sur la durée et la sévérité des symptômes chez les enfants en bonne santé.
L’hyperexploration clinique et l’excès thérapeutique (8) sont bien connus chez les enfants, considérés comme plus fragiles que les adultes et susceptibles d’aggravation rapide de leur état clinique, ce qui explique partiellement (avec l’impact de l’industrie pharmaceutique et l’anxiété des parents) les pratiques de certains médecins généralistes. C’est en ce sens qu’un essai comme ARTIC PC apporte des arguments pour discuter avec (et éclairer) certains parents demandeurs d’antibiotiques à tort ou à raison. Si les antibiotiques sont individuellement inutiles dans cette indication et cette population tout en favorisant la résistance bactérienne collective, il n’y a pas lieu d’en prescrire. Cette situation est une bonne opportunité d’éducation thérapeutique des parents.
Dr Santa Félibre (généraliste-enseignant, Paris)
BIBLIOGRAPHIE
1. Bergmann M, Haasenritter J, Beidatsch D, & al. Coughing children in family practice and primary care : a systematic review of prevalence, aetiologia and prognosis. BMC Pediatr 2021 ; 21 : 260.
2. Goossens H, Ferech M, Vander Stichele R, & al. Outpatient antibiotic use in Europe and association with resistance : a cross national database study. Lancet 2005 ; 365 : 579-87.
3. Costelloe C, Metcalfe C, Lovering A, & al. Effect of antibiotic prescribing in primary care on antimicrobial resistance in individual patients : systematic review and meta-analysis. BMJ 2010 ; 340 : c2096.
4. Redmond NM, Turnbull S, Stuart B, & al. Impact of antibiotics for children presenting to general practice with cough on adverse outcomes : secondary analysis from a multicenter prospective cohort study. Br J Gen Pract 2018 ; 68 : e682-93.
5. Smith SM, Fahey T, Smucny J, & al. Antibiotics for acute bronchitis. Cochrane Database Syst Rev 2017 ; 6 : CD000245.
6. Moore M, Stuart B, Coenen S, & al. Amoxicillin for acute lower respiratory tract infection in primary care : subgroup analysis of potential high-risk groups. Br J Gen Pract 2014 ; 64 : e75-80.
7. National Library of Medicine. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/?term=Paul+Little
8. van Houten CB, Cohen A, Engelhard D,
& al. Antibiotic misuse in respiratory tract infections in children and adults :
a prospective, multicentre study (TAILORED Treatment). Eur J Clin Microbiol Infect Dis 2019;38:505-14.
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