Un homme de 59 ans est hospitalisé en rhumatologie via les urgences pour impotence douloureuse du genou droit avec fièvre (photo 1). Dans ses antécédents, on retient un éthylisme chronique et un diabète non insulino-requérant. On apprend à l’interrogatoire qu’il s’était présenté deux jours plus tôt dans une clinique proche de son domicile pour un gonflement douloureux de ce même genou. Une poussée d’arthrose a été diagnostiquée et une ponction évacuatrice de liquide articulaire a été réalisée, suivie d’une infiltration de corticoïdes retard. Après une phase d’amélioration relative, le genou a de nouveau gonflé, la peau est devenue inflammatoire au contact et une fièvre oscillante avec frissons s’est installée. Le bilan biologique des urgences apportait les résultats suivants : globules blancs : 23 000/mm3 dont 90 % de polynucléaires neutrophiles, créatinine : 139 micromoles/l, transaminases TGO : 84 UI/l, TGP : 114 UI/l, gamma GT : 235 UI/l, protéine C-Réactive : 185 mg/l.
EN QUOI EST-CE URGENT ?
Le tableau décrit correspond à une probable arthrite septique à pyogènes du genou. L’infection pourrait être liée à une inoculation directe lors de la ponction articulaire précédente favorisée par un possible manque d’asepsie lors du geste, le terrain du patient et la corticothérapie locale (1). C’est une urgence médicale absolue car il y a un risque de décompensation brutale de l’état infectieux (choc septique), de greffe infectieuse à distance (autres articulations, endocardite) et surtout de dégradation irréversible de l’articulation. Il faut réaliser une ponction articulaire, adresser le liquide en bactériologie et débuter immédiatement une antibiothérapie probabiliste par voie parentérale.
RAPPEL CLINICOBIOLOGIQUE
L’arthrite septique à pyogènes a une incidence annuelle de cinq cas pour 100 000 (2). L’infection est liée soit à un foyer infectieux à distance (cutané, urinaire, digestif, dentaire), responsable d’une bactériémie, soit à une inoculation directe comme dans notre cas.
→ Les agents infectieux le plus souvent en cause sont les staphylocoques, dorés ou à coagulase négative (Staphylococcus epidermidis notamment) en cas d’inoculation directe. Plus rarement, l’infection peut être causée par un streptocoque (dont le pneumocoque), une entérobactérie ou un gonocoque. Les brucelloses sont devenues exceptionnelles en France mais peuvent être observées chez des sujets originaires de pays à ressources limitées.
→ Les radiographies standard ont peu d’intérêt diagnostique car le pincement articulaire est retardé par rapport à la clinique. L’hyperleucocytose et l’augmentation importante de la CRP sont des éléments d’orientation, mais seule l’analyse du liquide articulaire permet d’affirmer le diagnostic.
→ C’est une urgence générale, mais aussi locale car la dégradation du cartilage est très rapide et peut conduire à un handicap articulaire conséquent.
→ L’hospitalisation en milieu spécialisé est impérative. Le pronostic général et articulaire est lié à la rapidité de la prise en charge et à une antibiothérapie adaptée.
PRINCIPES DU TRAITEMENT D'URGENCE
→ Le repos strict au lit avec interdiction d’appui est indispensable au début pour éviter la destruction du cartilage articulaire fragilisé par l’infection.
L’immobilisation est en revanche contre-indiquée car elle est génératrice d’enraidissement. Mobilisations articulaires douces et tonification musculaires isométriques pluri-quotidiennes sont conseillées.
→ L’antibiothérapie intraveineuse doit être mise en place de manière urgente mais jamais avant ponction du liquide articulaire. Une arthrite septique « décapitée », sans germe identifié, conduirait à un retard dans le contrôle de l’infection et serait préjudiciable à une restitution ad integrum de l’articulation.
En probabiliste, une bi-antibiothérapie est souhaitable avec une pénicilline M et un aminoside. La pénicilline M est remplacée par la vancomycine en cas d’isolement de staphylocoque méthi-R. La gentamycine ne doit pas être poursuivie plus de 48 heures du fait du risque toxique.
L’antibiothérapie intraveineuse doit être maintenue sept à dix jours et le traitement de relais oral environ cinq semaines. L’association rifampicine et quinolone est le traitement de relais le plus souvent utilisé.
→ Des ponctions articulaires itératives doivent être réalisées pour soulager le patient et débarrasser l’articulation des débris articulaires nécrotiques et fibrineux pouvant entretenir l’infection. Les ponctions articulaires ont tendance actuellement à être remplacées par le lavage articulaire arthroscopique, mais aucune technique n'a démontré sa supériorité sur l'autre, sauf dans les formes d’évolution défavorable où l’arthroscopie est nécessaire (3).
BILAN APRÈS L'URGENCE
• La surveillance doit porter sur l’évolution du syndrome infectieux local et général, ainsi que la tolérance à l'antibiotique.
• Les NFS et les dosages itératifs de CRP permettent de s’assurer de la décroissance du syndrome inflammatoire.
• L’analyse des liquides de ponctions articulaires permettent de vérifier l’amélioration de l’aspect macroscopique, la diminution de la cellularité et que les cultures bactériologiques deviennent négatives.
• Dans les cas favorables car traités précocement par antibiothérapie adaptée, les radiographies peuvent rester normales (en dehors d’une arthropathie préexistante). L’apparition d’un pincement articulaire important est de mauvais pronostic pour la fonction articulaire (raideur).
• L’appui n’est autorisé qu’à la fin du premier mois.
• La kinésithérapie doit être maintenue tant que la récupération articulaire et musculaire n’est pas obtenue.
Bibliographie
1- Jasvinder A et Coll. PloS One 2017 ;12 :e0182577
2- Geirsson AJ et Coll. Ann Rheum Dis 2008 ;67 :638-43
3- Manadan AM et Coll. Am J Ther 2004 ;11 :412-15.
Liens d'intérêts
Le Dr Éric Thomas déclare n'avoir aucun lien d’intérêts lié à cet article.
Remerciements. Au Pr Vincent Le Moing, département maladies infectieuses et tropicales, CHU Gui de Chauliac, Montpellier pour la relecture critique du manuscrit.
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