Médecine interne

LE BILAN D'ADÉNOPATHIES

Publié le 03/10/2022
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La découverte d’adénopathie(s) est une situation classique en médecine générale. L’éventail de pathologies alors suspectées peut être large et impliquer différents champs de la médecine tels que l’infectiologie, l’hématologie, l’oncologie ou encore la médecine interne. Ainsi, la démarche diagnostique doit être systématisée afin de ne pas multiplier les explorations complémentaires et surtout de distinguer le caractère bénin ou malin de l’adénopathie.

Crédit photo : DR P. MARAZZI/SPL/PHANIE

INTRODUCTION

Le terme adénopathie correspond à l’augmentation pathologique de volume d’un ganglion. Classiquement, on retient la taille d’un centimètre pour définir le caractère pathologique d’un ganglion (à l’exception de la région inguinale, au sein de laquelle les ganglions peuvent être physiologiquement plus volumineux). L’ensemble des aires ganglionnaires doit être minutieusement examiné afin de déterminer leur caractère unique ou multiple. Les caractéristiques démographiques et l’histoire médicale du patient sont des éléments anamnestiques indispensables sur lesquels nous reviendrons.

Le médecin généraliste est souvent le premier médecin consulté devant l’apparition d’une ou de plusieurs adénopathies et doit alors être en capacité de faire la distinction entre une maladie nécessitant une prise en charge spécifique et une pathologie bénigne et spontanément résolutive.

L’objectif de cet article est de préciser la démarche diagnostique à suivre pour les médecins de premier recours dans cette situation afin, d’une part, de ne pas méconnaître une pathologie potentiellement grave, et, d’autre part, orienter correctement le patient afin que les explorations complémentaires adaptées puissent être réalisées.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

Il conviendra dans un premier temps de s’assurer qu’il s’agit d’une adénopathie. Cela commence par la zone atteinte, qui doit donc correspondre à un site de drainage lymphatique.

Parmi les pièges classiques, citons les glandes salivaires, la hernie inguinale ou encore le lipome. Le tableau 1 regroupe les diagnostics différentiels selon les sites concernés.


HISTOIRE CLINIQUE

Il est indispensable de faire préciser au patient la présence de symptômes associés. On recherche spécifiquement des signes B, à savoir une fièvre inexpliquée récidivante (souvent vespérale), une asthénie et un amaigrissement (avec ou sans anorexie). On évoque facilement les pathologies lymphomateuses devant ces symptômes mais ils peuvent aussi être retrouvés au cours des maladies infectieuses subaiguës ou chroniques, notamment la tuberculose.

On interroge le patient sur un éventuel contact avec les animaux, particulièrement un contexte de morsure et/ou griffure.

Outre le terrain du patient, on s’attache à détecter des signes présents ou passés évocateurs de maladie auto-immune ou inflammatoire (arthrite, uvéite, lésions dermatologiques et photosensibilité, syndrome sec, etc.).

EXAMEN CLINIQUE

L’examen clinique permet de préciser avant tout s’il s’agit d’une adénopathie unique ou multiple. L’ensemble des aires ganglionnaires doit donc être minutieusement palpé.

Il convient de caractériser le ganglion pathologique avec, dans un premier temps, une estimation de sa taille. On rappelle le caractère pathologique d’un ganglion supra-centimétrique, alors que des ganglions de taille inférieure peuvent être physiologiques.

La consistance et l’aspect inflammatoire ou non peuvent aider à orienter les hypothèses diagnostiques. Une adénopathie chaude, douloureuse pourrait faire suggérer une étiologie infectieuse, alors qu’une adénopathie indurée ferait évoquer une pathologie maligne solide (les adénopathies liées au cancer hématologique sont plus volontiers mobiles et volumineuses).

Bien entendu, l’examen attentif de la zone drainée sera systématique, à la recherche d’une éventuelle porte d’entrée infectieuse (plaies/griffures, abcès dentaire/lésion gingivale, angine, etc.).

Adénopathie(s) localisée(s)

Lorsque l’adénopathie est localisée au niveau d’une seule aire ganglionnaire, une première orientation diagnostique peut être proposée.

Ainsi, les ganglions cervicaux sont fréquemment en rapport avec une infection ORL, souvent virale. D’autres hypothèses infectieuses seront émises devant des adénopathies persistantes (toxoplasmose, bartonellose, mycobactéries). Rappelons que, devant une lésion persistante chez le patient alcoolo-tabagique, il faudra systématiquement suspecter une néoplasie de la sphère ORL et adresser le patient pour un examen spécialisé (nasofibroscopie).

On rapporte classiquement les adénopathies sus-claviculaires à une étiologie néoplasique, notamment digestive lorsque celle-ci est localisée à gauche (ganglion de Troisier). Une étude menée par Ellison et al. a montré que sur 309 biopsies d’adénopathies sus-claviculaires, 55 % des causes étaient d’origine maligne (47 % métastase, 8 % lymphome). Ce chiffre s’élève à 68 % chez les plus de 40 ans (1).

La région axillaire est la zone de drainage, entre autres, du membre supérieur. Ainsi, il est classique de retrouver des adénopathies en rapport avec une plaie du membre supérieur. Il faut penser à la bartonellose (Bartonella henselae, maladie des griffes du chat) chez les propriétaires d’un chat (y compris chat « d’appartement », le chaton se contaminant dans l’enfance) ainsi que la tularémie (Francisella tularensis, à évoquer chez les chasseurs qui dépècent leur gibier). Les adénopathies de cette région peuvent correspondre à des localisations métastatiques de néoplasies, notamment en cas d’adénocarcinome mammaire.

Les ganglions épitrochléens sont considérés comme pathologiques. Outre les causes traumatiques de la zone de drainage (main et avant-bras), on évoquera la sarcoïdose et la syphilis secondaire.

La région inguinale a la particularité de pouvoir contenir des adénopathies allant jusqu’à 2 cm sans qu’il y ait de caractère pathologique. Au-delà de 2 cm, on considérera le ganglion comme pathologique. Les adénopathies peuvent être alors en rapport avec une infection sexuellement transmissible (HSV, gonorrhée, syphilis, etc.). Les ganglions peuvent également être satellites d’un cancer ou d’une infection de la région génitale, anale ou périnéale.

Enfin, l’actualité épidémiologique actuelle nous amène à mentionner le Monkeypox (variole du singe). Le virus de la variole du singe se transmet par contact direct avec la peau infectée, notamment les vésicules (voir série d'images 1), des liquides organiques ou des gouttelettes respiratoires. Le virus se propage à partir d'échanges de fluides corporels. Il se réplique ensuite rapidement au site d'inoculation et se propage aux ganglions lymphatiques adjacents, pouvant donner des adénopathies inflammatoires douloureuses (2).

On rappelle que devant une adénopathie isolée suspecte de malignité, il faudra compléter le bilan avec une imagerie complète afin de rechercher, outre la lésion primitive, d’autre(s) adénopathie(s) profonde(s) ou localisation(s) secondaire(s).

Adénopathies généralisées

Il n’est évidemment pas aisé de mentionner l’ensemble des pathologies susceptibles de provoquer une polyadénopathie. Certaines pathologies, de par leur fréquence, leur gravité ou leur présentation typique, méritent d’être soulignées.

On évoque aisément le diagnostic de lymphome devant une polyadénopathie, surtout en présence de signes B (asthénie, anorexie, amaigrissement, sueurs nocturnes). En général, les ganglions, persistants dans le temps, sont indolores, fermes et mobiles (voir série d'images 2).

La tuberculose est une infection due à Mycobacterium tuberculosis pouvant être responsable d’atteinte ganglionnaire isolée ou associée à une atteinte d’autres organes. La présentation clinique générale peut se superposer au lymphome car les patients présentent souvent une altération de l’état général marquée avec anorexie, amaigrissement et sueurs nocturnes. Au cours d’une tuberculose ganglionnaire, la localisation peut être unique ou répartie sur plusieurs aires ganglionnaires (voir série d'images 3). Le bacille de Koch étant aérobie strict, il n’est pas rare que l’adénopathie fistulise. Dans tous les cas, il conviendra de rechercher une atteinte pulmonaire afin de déterminer si le patient doit être hospitalisé et isolé. D’autres mycobactéries peuvent être responsables d’adénopathies.

La primo-infection VIH se manifeste fréquemment par un syndrome pseudo-grippal accompagné d’une polyadénopathie. Les ganglions ne paraissent pas inflammatoires et sont indolores. Il est primordial de détecter les infections VIH le plus précocement possible afin de débuter un traitement. Les arguments en faveur d’un traitement précoce sont d’ordre clinique, virologique et de santé publique. Pour rappel, le délai de séroconversion après exposition à risque peut aller jusqu’à 3 mois (la charge virale nécessitant un délai de 6 semaines).

Certaines pathologies auto-immunes peuvent être responsables d’adénopathies généralisées, la plus classique étant le lupus érythémateux disséminé. Les ganglions sont particulièrement inflammatoires lors des poussées de lupus, et donc douloureux.

On estime entre 30 et 40 % la fréquence des adénopathies périphériques dans la sarcoïdose (3). On retrouve encore plus fréquemment (jusqu’à 90 % des cas) des adénopathies hilaires bilatérales. Il n’existe pas de marqueur spécifique de la maladie mais la biopsie ganglionnaire pourra orienter le diagnostic en présence d’un granulome épithélioïde et gigantocellulaire sans nécrose caséeuse (lire Le Généraliste n° 2794).

Enfin, il n’est pas inutile de préciser que les médicaments sont (encore une fois) une étiologie à ne pas négliger (4). L’apparition d’adénopathie dans ce contexte est liée à une réaction d’hypersensibilité retardée, survenant classiquement au cours de la deuxième semaine de traitement. Parmi les médicaments incriminés, on retient l’allopurinol et la carbamazépine.

EXAMENS COMPLÉMENTAIRES

Il n’est jamais évident de choisir les examens complémentaires à prescrire chez un patient présentant une ou plusieurs adénopathies. Le clinicien est partagé entre la volonté de limiter la prescription d’examens chronophages, coûteux et anxiogènes, et la peur de passer à côté du bon diagnostic. C’est là tout l’intérêt d’une réévaluation précoce et régulière des patients afin de pouvoir redresser le diagnostic en cas d’évolution atypique ou défavorable. Le médecin généraliste a l’avantage et l’inconvénient de pouvoir prendre en charge peu de temps après l’apparition des ganglions. L’avantage est de pouvoir débuter une prise en charge précoce et ne pas prendre de retard sur des diagnostics potentiellement graves. L’inconvénient est le peu de recul sur la durée des symptômes. Ainsi, lors d’une première consultation, le critère d’ancienneté peut manquer et rendre plus difficile l’orientation diagnostique.

Dans tous les cas, il conviendra de réaliser un bilan minimum devant une adénopathie persistant au-delà de trois semaines.

Bilan biologique

Le bilan biologique peut être très contributif. Ainsi, sa prescription ne doit pas être retardée car il s’agit d’un examen simple et facilement accessible pour les patients. Ce bilan peut permettre de poser, sinon d’orienter le diagnostic dans de nombreuses situations. L’objectif de l’analyse sanguine est de déterminer s’il existe un syndrome inflammatoire et d’en préciser l'importance (cependant, l’inflammation peut rester très modérée dans certaines pathologies même très évolutives telles que la tuberculose), de rechercher une hyperleucocytose et de la préciser (par exemple une élévation des polynucléaires neutrophiles dans le cadre d’une infection bactérienne) ou à l’inverse de rechercher une lymphopénie (infections virales telles que le VIH), de réaliser les sérologies virales et/ou bactériennes selon le terrain, de rechercher des arguments pour une hémopathie, une maladie auto-immune ou une sarcoïdose.

Imagerie

En cas de doute sur la nature du ganglion, une simple échographie permet de confirmer l’adénopathie. Le scanner permettra de rechercher des adénopathies profondes, non palpables cliniquement, ainsi que des lésions évolutives, qu’elles soient de nature infectieuse ou tumorale. Selon la topographie des adénopathies profondes, le diagnostic pourra être orienté : par exemple, devant des adénopathies hilaires bilatérales, on évoquera le diagnostic de sarcoïdose. La tomodensitométrie peut également fournir de nouvelles cibles pertinentes pour la réalisation de biopsie.

Le TEP scanner est un examen pertinent dans ce contexte, permettant de préciser les caractères morphologiques et métaboliques (SUV max) des ganglions. C’est ainsi qu’on pourra constater l’absence d’hypermétabolisme de certains ganglions, qui ne devront donc pas être biopsiés car non contributifs. La localisation et l’activité métabolique des adénopathies peuvent orienter le diagnostic et on préférera prélever une adénopathie à forte activité métabolique.

Ponction/biopsie ganglionnaire

En l’absence de diagnostic évident (histoire clinicobiologique typique), une ponction ou, au mieux, une biopsie ganglionnaire devra être proposée. On choisit le site le plus accessible (geste le moins invasif) tout en prenant en compte le caractère pathologique de l’adénopathie. Ainsi, l’aire ganglionnaire inguinale est généralement moins rentable que les autres sites et il sera préférable de privilégier les autres sites. Le prélèvement devra être systématiquement envoyé en anatomo­pathologie et microbiologie (bactériologie standard +/- culture mycobactérie).

CONCLUSION

La découverte d’adénopathie(s) est en médecine générale une situation classique, pour laquelle il est difficile de faire ressortir une prise en charge standardisée. Le terrain du patient, la localisation de l’adénopathie, le sens clinique et le bilan biologique doivent permettre de débuter une prise en charge rapide en vue d’établir un diagnostic. En l’absence de signe d’alerte, une surveillance rapprochée avec réévaluation sous trois semaines pourra être proposée.

Dr Olivier Voisin (service de médecine interne, hôpital Saint-Joseph, Paris)

BIBLIOGRAPHIE
1. Ellison E, LaPuerta P, Martin SE. Supraclavicular masses: results of a series of 309 cases biopsied by fine needle aspiration. Head Neck. mai 1999;21(3):239‑46.
2. Kumar N, Acharya A, Gendelman HE, Byrareddy SN. The 2022 outbreak and the pathobiology of the monkeypox virus. J Autoimmun. 24 juin 2022;102855.
3. Cerri S, Fontana M, Balduzzi S, Potenza L, Faverio P, Luppi M, et al. Clinical differences in sarcoidosis patients with and without lymphoma: a single-centre retrospective cohort analysis. Eur Respir J. nov 2019;54(5):1802470.
4. Gaddey HL, Riegel AM. Unexplained Lymphadenopathy: Evaluation and Differential Diagnosis. Am Fam Physician. 1 dec 2016;94(11):896‑903.


Source : lequotidiendumedecin.fr