1. Une fréquence en hausse
Si le tabac est de loin la première cause de cancer du poumon, ce dernier touche aussi de plus en plus d’individus « non fumeurs » (soit, par définition, des sujets ayant fumé moins de 100 cigarettes au cours de leur vie). Selon les données des études KBP (1) , 12,6 % des cancers bronchiques primitifs semblaient être d'origine non tabagique en 2020 contre 7,2 % en 2000.
2. Quels facteurs de risque ?
> La pollution
Parmi les facteurs étiologiques incriminés dans la survenue de cancers bronchopulmonaires non liés au tabagisme, la pollution atmosphérique joue un rôle important, démontré par des études épidémiologiques et expérimentales récentes.
En induisant un micro-environnement inflammatoire au niveau du parenchyme pulmonaire, l'inhalation de particules fines (PM2,5) favoriserait le cancer bronchopulmonaire en stimulant l’expression de mutations pré-existantes dans le poumon sain, comme les mutations spontanées du gène EGFR (retrouvées dans 50 % des tumeurs bronchopulmonaires chez les non-fumeurs, et moins de 10 % chez les fumeurs).
Les non-fumeurs développant un cancer du poumon présentent donc fréquemment des altérations oncogéniques tumorales spécifiques, dans des gènes précis qui suffisent à transformer une cellule normale en cellule cancéreuse. Au-delà de l'EGFR, il existe une quinzaine d'autres altérations, comme ALK, présent chez environ 20 % des patients, et ROS1, chez environ 15 %.
Cette relation vient d’être confirmée et quantifiée par des données issues de la cohorte française KBP-2020 (2), ayant inclus environ 9 000 patients pris en charge dans les centres hospitaliers généraux. À chaque ville de résidence des patients a été associé un niveau d’exposition à différents polluants tels que PM2,5, PM10, ozone, dioxyde d’azote, les radiations ionisantes (radon). Outre l’EGFR, d’autres mutations, comme les réarrangements ALK et ROS, les altérations KRAS et HER2, ont été prises en compte pour étudier l’association entre l’exposition aux polluants et le profil des cancers du poumon. Les résultats montrent qu’il existe bien un lien entre l’exposition aux particules fines PM2,5 avec un risque augmenté de 50 % (soit l’équivalent du surrisque associé au tabagisme passif et 15 fois moins que le tabagisme actif). La présence de mutations EGFR a été associée non seulement aux PM2,5, mais aussi aux PM10 et au dioxyde d’azote.
> Radon et amiante
Le radon, présent dans l'environnement extérieur, est également un facteur de risque potentiel, puisqu’on estime qu’il serait à l’origine de 3 % à 14 % des cas de cancer pulmonaire, selon l’Organisation mondiale de la santé.
Concernant l'amiante, même pour des expositions minimes, le risque de développer un cancer du poumon (hors mésothéliome) est multiplié par cinq en l'absence de consommation de tabac.
Dans ces deux cas, l’association avec les mutations n’est pas encore claire et il semble en fait que les cancers bronchopulmonaires liés à ces agents extérieurs s’apparentent davantage à ceux des fumeurs, avec moins de mutations oncogéniques.
D'autres facteurs, comme l'exposition à l'arsenic chez les travailleurs de la vigne, sont souvent associés au tabagisme, compliquant l'attribution directe des mutations à ces expositions.
> Le cannabis
La consommation de cannabis s’associe également volontiers au tabagisme, rendant difficile l'évaluation de son rôle direct dans la cancérogenèse.
D’après l’étude KPB 2020, le fait de fumer du cannabis n’impacte pas la mortalité par comparaison au tabac seul (y compris après ajustement sur l’histologie), mais avance l’âge de survenue du cancer bronchopulmonaire : chez les fumeurs de cannabis, l’âge médian de survenue du cancer est de 53 ans, contre 65 ans chez les fumeurs de tabac exclusifs.
3. Quelles spécificités physiopathologiques ?
Les cancers bronchopulmonaires du non-fumeur sont essentiellement des cancers bronchopulmonaires non à petites cellules (CBNPC), avec mutation driver du gène EGFR (ou autres mutations, citées plus haut). Il s’agit le plus souvent (8 cas sur 10), d’adénocarcinomes (touchant préférentiellement les alvéoles) plutôt que de carcinomes épidermoïdes (plutôt localisés au niveau des bronches).
Cette distribution peut être expliquée par le fait que les particules fines présentes dans l’air ambiant sont, du fait de leur petite taille (≤ 2,5 μm, PM2,5), capables d’atteindre le parenchyme pulmonaire profond.
4. Quand évoquer le diagnostic ?
Le repérage actuel du cancer bronchopulmonaire se concentre sur les gros fumeurs, excluant les cas observés chez des patients non fumeurs. Le défi réside dans la rareté des cas et la difficulté d'adopter une démarche de repérage systématique en soins primaires, sachant que le cancer du poumon (tous types confondus) représente moins d’un patient par an au sein de la patientèle d’un médecin généraliste.
> Les populations à risque
Les individus originaires d’Asie du Sud-Est sont davantage touchés avec 50 % de non-fumeurs, selon Swanton et al (2), de même que les femmes, qui représentent 80 % des cas de cancers du poumon du non-fumeur en France sans que l’on sache aujourd’hui exactement pourquoi. Des facteurs hormonaux pourraient jouer un rôle, bien que ce ne soit pas clairement défini.
Par rapport au cancer du fumeur, ces cancers sont observés chez des patients plus jeunes (vers l’âge de 45 ans en moyenne contre 65 ans classiquement).
> Des symptômes peu spécifiques
En l’absence de sémiologie spécifique, la vigilance est recommandée devant une pneumonie inexpliquée et persistante, une toux chronique chez un non-fumeur, et des signes généraux (amaigrissements, fatigue, etc.), a fortiori survenant chez des patients plutôt jeunes.
5. Une approche thérapeutique différente
> Les thérapies ciblées sont le traitement de choix de ces cancers, dont le profilage moléculaire est désormais systématique dans une approche thérapeutique personnalisée. L'Institut national du cancer a en effet mis à jour, en 2023, ses recommandations concernant la recherche d’altération moléculaire en cas de CBNPC (3), soulignant la nécessité de rechercher de façon systématique (chez le fumeur comme le non-fumeur) une cinquantaine de mutations (gènes EGFR, ALK, ROS1, G12C de KRAS, c-MET, HER2, KRAS, G12C, BRAF, NTRK1/2/3 et RET) à l'aide de panels de séquençage de nouvelle génération.
Si une mutation est repérée, le traitement ciblé s’impose en première ligne (inhibiteurs de tyrosine kinase efficaces ; ou traitements de 2e et 3e générations contre des mutations de résistance aux thérapies ciblées). Si aucune mutation n’est identifiée, le choix se porte sur l’immunothérapie, dont l’efficacité est plus incertaine dans ces types de cancer.
> Le pronostic est globalement meilleur que chez le fumeur en raison des moindres comorbidités des patients, et des multiples possibilités de traitement dans les formes mutées. La tolérance aux traitements, même agressifs, est souvent meilleure. Cependant, le diagnostic est souvent posé à un stade métastatique, du fait d’une détection précoce difficile.
Question d’hérédité ?
Les patients non fumeurs atteints d’un cancer bronchopulmonaire posent souvent la question du caractère héréditaire de leur pathologie, s’inquiétant notamment pour leurs enfants. Les données actuelles permettent de les rassurer. Si ces cancers du non-fumeur sont volontiers en lien avec des altérations génétiques tumorales, celles-ci ne sont pas héréditaires et l’identification de gènes de prédisposition au cancer du poumon est exceptionnelle, même si certaines maladies génétiques peuvent y prédisposer, au même titre que pour d’autres cancers.
Références :
(1) Debieuvre D et al. Study Group KBP-2020-CPHG; KBP-2020-CPHG. Lung cancer trends and tumor characteristic changes over 20 years (2000-2020): Results of three French consecutive nationwide prospective cohorts' studies. Lancet Reg Health Eur. 2022 Aug 29;22:100492.
(2) Swanton C et al. Lung adenocarcinoma promotion by air pollutants. Nature. 2023 Apr;616(7955):159-167
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