INTRODUCTION
Le pied diabétique est une complication majeure du diabète, traduisant souvent un risque cardiovasculaire élevé. C’est pourtant probablement la moins bien étudiée, alors que 12 à 25 % des diabétiques présenteront une ulcération du pied au cours de leur vie, que 5 à 10 % seront un jour amputés du membre inférieur, qu’elle est la principale cause d’hospitalisation prolongée dans cette population (1, 2) et qu’elle représente un véritable fardeau économique (8,5 à 12 milliards d’euros par an en France) (3).
Un « état des lieux » sur le pied diabétique en France paru en 2020 rapporte un doublement des hospitalisations pour pied diabétique entre 2008 et 2014 (4). En 2014, sur plus de trois millions de personnes (couvertes par le régime général) traitées pour un diabète, on comptabilisait 22 347 hospitalisations pour pied diabétique (âge moyen 70 ans, 60 % d’hommes) et 8 342 hospitalisations pour amputation du membre inférieur, soit 1 137 de plus qu’en 2008 (âge moyen 71 ans et 73 % d’hommes).
On entend par « pied diabétique » l’ensemble des manifestations pathologiques avec ulcération cutanée touchant le pied en région sous-malléolaire et directement liées aux complications du diabète.
Le pied diabétique est plutôt un problème masculin. Son incidence augmente avec l’âge, et surtout dans les territoires français les plus défavorisés. Le retard au diagnostic perdure : en 2018, l’étude Educare (5) l’évaluait à 14 jours en France et, élément péjoratif en termes de pronostic de cicatrisation, les plaies nécrotiques n’étaient adressées de façon systématique en milieu hospitalier que dans 48 % des cas, dans 23 % pour les plaies avec retard de cicatrisation et dans 6 % pour les plaies profondes non infectées. Vu l’abondance de la récente littérature sur ce sujet, l’actualisation des recommandations 2019 du Groupe international de travail sur le pied diabétique (6) est attendue pour 2023-2024.
FACTEUR DE RISQUE MAJEUR
Le pronostic de l’atteinte podologique est dominé par le risque d’amputation. Une étude prospective conduite à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris, AP-HP) parue en 2021 (49 jours de durée d’ulcère en moyenne) a relevé 70 % d’ischémie, 55 % d’infections de la plaie et 47 % d’ostéomyélite (7). À un an, 67 % des ulcères avaient cicatrisé, 10 % des patients avaient subi une amputation majeure, 19 % une amputation mineure et 9 % étaient décédés. L’atteinte vasculaire périphérique est un déterminant pronostic majeur. À noter que les principaux facteurs de risque d’amputation sont liés à l’HbA1c, la pression artérielle et au débit de filtration glomérulaire (8).
Un patient avec un pied diabétique n’est pas un patient diabétique comme les autres : en effet, cette complication reflète un état micro et macrovasculaire précaire et est corrélée à une forte mortalité d’origine cardiovasculaire et non cardiovasculaire. Une étude française de 2020 confirme que l’atteinte des membres inférieurs reflète effectivement une maladie cardiovasculaire sévère (données non publiées des hôpitaux Bichat à Paris et Haut-Lévêque à Pessac) (2). Le fait de compter un antécédent de complication podologique à 10 ans augmente de 35 % le risque de décès toutes causes, de 45 % la survenue d’évènements cardiovasculaires, de 75 % le risque de décès cardiovasculaire et de 58 % celui d’infarctus du myocarde (9).
Enfin, la mortalité à 5 ans chez les patients avec pied diabétique est de 35 à 52 %, soit deux fois plus élevée par rapport aux patients diabétiques sans complication podologique (10).
SUIVI
À chaque consultation, le patient diabétique doit bénéficier d’un examen attentif des pieds, d’une palpation des pouls pédieux et tibiaux postérieurs, de la recherche d’une neuropathie par neurofilament et de la prescription de soins podologiques à un rythme guidé par la gradation du risque podologique individuel.
ÉVALUER LA PERTE DE LA SENSIBILITÉ SUPERFICIELLE
Il est recommandé de rechercher une perte de sensibilité qui est définie par une mauvaise perception du monofilament de 10 g (Semmes-Weinstein 5,07), l’instrument de dépistage le plus simple et le plus performant. La sensibilité est testée sur trois sites plantaires du pied (têtes des premier et cinquième métatarsiens, pulpe de l’hallux), en évitant les zones hyperkératosiques ou ulcérées. En cas d’anomalie de ce test, le risque d’ulcération est multiplié par 10 et le risque d’amputation par 17.
La Haute Autorité de santé (HAS) a publié en novembre 2020 une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) « Évaluations du pied d’un patient diabétique » (11) et recommande :
• un bilan diagnostique annuel préventif en pédicurie-podologie chez tous les patients diabétiques âgés de plus de 60 ans dès le grade 0,
• d’en référer au médecin traitant, du fait d’une possible neuropathie et artériopathie.
La HAS met en avant la pluridisciplinarité de la prise en charge selon le grade podologique : perception du monofilament, présence d’une artériopathie, déformation du pied, antécédents d’amputation ou de plaie du pied ayant duré plus de quatre semaines.
Le grade podologique conditionne les modalités d’examen des pieds (fréquence et professionnels impliqués dont le médecin généraliste, le diabétologue, l’infirmier, etc., ainsi que la nécessité de suivi par un centre de référence) :
Les patients de grade podologique 0 (absence de neuropathie sensitive) doivent bénéficier d’un dépistage du risque podologique au moins une fois par an.
Les patients de grade podologique 1 (ceux présentant une neuropathie sensitive isolée, non-perception au monofilament) doivent accéder à une prise en charge podologique tous les six mois, et plus sur avis médical.
Les patients de grade podologique 2 (neuropathie sensitive + artériopathie et/ou déformation du pied) accèdent en plus à des soins orthétiques tous les six mois si besoin, avec des soins instrumentaux tous les trois mois. Ce délai est abaissé à deux mois pour les patients de grade podologique 3 (antécédent d’ulcération du pied évoluant depuis plus de quatre semaines et/ou d’amputation des membres inférieurs, voire une partie d’un orteil).
Restaurer le signal d’alerte et diminuer le risque d’artérite
Il est recommandé, pour dépister des signes d’ischémie et donc une artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI), de s’appuyer sur la recherche des pouls pédieux et tibiaux postérieurs ainsi que sur des examens complémentaires comme le calcul de l’indice de pression systolique (IPS) (11). Le médecin, le pédicure-podologue peuvent utiliser un appareil à effet Doppler (de poche) ainsi qu’un tensiomètre pour calculer l’IPS. Un résultat inférieur à 0,90 confirme l’artériopathie. Une valeur normale de l’indice de pression systolique ne permet pas d’exclure le diagnostic d’artériopathie. Le test de perception des pouls et de l’index de la pression systolique peut être faussé, voire incalculable, le rendant non fiable en présence fréquente d’une médiacalcose chez les patients diabétiques.
Sur le versant thérapeutique, il existe deux enjeux majeurs : prévenir la survenue de plaie chez les patients à risque podologique (en restaurant le signal d’alerte et/ou en diminuant le risque d’artérite des membres inférieurs) mais aussi raccourcir le délai de cicatrisation. Ainsi, certains dispositifs peuvent être utilisés pour « restaurer » le signal d’alerte chez ces patients qui, du fait de leur neuropathie, ne ressentent pas l’inflammation, les plaies, la douleur…
Concernant la prévention des évènements podologiques, en restaurant le signal d’alerte, de nouvelles approches sont développées, dont des technologies digitales (12). Certaines sont déjà diffusées aux États-Unis par exemple, agréées par la FDA (Food and Drug Administration) et en France prises en charge par certaines mutuelles. Il s’agit de semelles capables de signaler les zones d’hyperpression via une montre connectée, ou encore de tapis en mesure de repérer un écart de température entre les deux pieds. Un écart thermique de 2 °C a été retenu comme biomarqueur de risque de survenue de plaie dans les 40 jours avec l’un des dispositifs parmi les plus avancés, avec une réduction de 50 % de la survenue de plaies, ainsi qu’une diminution du risque d’hospitalisation et d’amputation (13). Mais l’outil n’est efficace que s’il s’accompagne de mesures de prévention (chaussage, réduction de la marche, pédicure…).
Du côté des médicaments, des extensions d’indication de molécules déjà commercialisées sont à l’étude dans l’artérite des membres inférieurs. Par exemple, l’anti-PCSK9 évolocumab réduit de 42 % les évènements majeurs au niveau des membres inférieurs (amputations/ischémie critique, revascularisation) (14). Les nouveaux anticoagulants oraux, en particulier le rivaroxaban couplé à l’aspirine, réduisent de 46 % les évènements majeurs aux membres inférieurs et de 70 % les amputations majeures (15).
ACCÉLÉRER LA CICATRISATION
Des progrès ont été réalisés dans la prise en charge des plaies au moyen de traitements locaux innovants. En effet, la décharge, la détersion de la plaie sans produit agressif, le débridement large du tissu nécrosé et de la kératose attenante puis la pose d’un pansement neutre ne suffisent souvent pas à la cicatrisation, ni à son accélération.
En 2020, le Groupe international de travail sur le pied diabétique a revu sa position en intégrant le pansement au sucrose octasulfate TLC-NOSF (technologie lipocolloïde, nano-oligosaccharide factor), disponible en France et remboursé dans la cicatrisation des plaies du pied neuro-ischémique. Une cicatrisation complète a été observée à 20 semaines chez 48 % des patients du groupe « pansement nano-oligosaccharide factor » versus 30 % dans le groupe pansement « neutre », soit +60 % de cicatrisation complète (16).
D’autres solutions se profilent, dont les patchs multicouches riches en leucocytes/plaquettes/fibrine autologue (centrifugation au lit du patient produisant des culots multicouches positionnés ensuite sur la plaie) et l’oxygénothérapie pressurisée topique (sorte de sac enfilé sur le pied malade). Des matrices acellulaires et des facteurs de croissance libérés à partir de plasma autologue sont également en phase de recherche.
INFECTION DES PLAIES
Le diagnostic est avant tout clinique. L’infection de l’ulcère de pied entraîne un risque de résistance bactérienne du fait de l’usage d’antibiotiques, mais aussi de décompensation de comorbidités, d’amputation et de décès. Selon une étude parue en 2018 chez près de 300 sujets avec plaie du pied cliniquement infectée à 12 mois, il y a eu 46 % de guérison (dont 10 % avec récidive), 17 % d’amputations et 15 % de décès (17). Les plaies à risque d’infection sont des plaies profondes, anciennes et traumatiques. La présence de comorbidités, dont l’insuffisance rénale chronique et probablement le déséquilibre glycémique, jouent aussi.
Une infection se manifeste par des signes locaux comme l’œdème (gonflement local ou induration), la rougeur (érythème > 0,5 cm2), la chaleur, la douleur, la présence d’un écoulement purulent, avec éventuellement des signes systémiques comme une fièvre, une tachycardie (> 90 battements/min), une fréquence respiratoire au-delà de 20 cycles/min et une hyperleucocytose.
Concernant les tissus mous, la clinique doit parler, pour diagnostiquer l’infection et évaluer sa sévérité. L’antibiothérapie ne doit jamais être systématique. Pour une antibiothérapie adaptée, le prélèvement doit être réalisé en cas de signe d’infection, par biopsie ou curetage, mais surtout pas par écouvillonnage.
OSTÉITE
En ce qui concerne le diagnostic de l’ostéite du pied diabétique, celui-ci est relativement aisé dans sa forme typique, avec trois signes principaux : l’orteil « en saucisse » avec une petite plaie distale, le contact osseux positif avec stylet et la radiographie standard. Si le diagnostic d’ostéomyélite reste douteux, il faut alors prescrire une IRM (examen ayant la sensibilité et la spécificité les plus importantes), une tomographie par émission de positons/tomodensitométrie (TEP-TDM) au 18F-FDG ou une scintigraphie aux leucocytes marqués (avec ou sans TDM). Cependant, ces examens ne sont pas disponibles partout et requièrent une expertise radiologique.
Reste à identifier le germe en cause afin de le traiter de manière pertinente. Il n’est pas possible de traiter une ostéite à l’aveugle, du fait notamment de la durée du traitement – au moins six semaines. L’examen de référence pour poser le diagnostic et l’identification du germe est la biopsie osseuse. Le développement de la biopsie osseuse au lit (BOL) du patient est une option à l’étude (aux hôpitaux Bichat et Lariboisière à Paris). Il reste malgré tout 25 à 50 % de biopsies osseuses négatives malgré une suspicion clinique d’ostéite forte (18). De plus, le taux de cicatrisation des ostéites, en dépit d’une antibiothérapie bien conduite, se situe entre 65 % et 80 % selon les études. Pour tenter d’y remédier, les nouvelles approches microbiologiques (séquençage haut débit/techniques de métagénomique à large spectre), développées au départ dans l’analyse du microbiote intestinal, sont utilisées de manière croissante pour analyser le microbiote osseux, afin d’affiner l’identification des germes, leur virulence ainsi que leur sensibilité à l’antibiothérapie.
Hélène Joubert (rédactrice) avec le Dr Louis Potier (endocrinologie et métabolisme, CHU Hôpital-Bichat-Claude-Bernard, AP-HP Paris)
BIBLIOGRAPHIE
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2 - Intervention du Pr Kamel Mohammedi, 23 mars 2022 au congrès annuel de la Société francophone du diabète (SFD, Nice, 2 au 25 mars 2022).
3 - Charbonnel B, Simon D, Dallongeville J. Coût du diabète de type 2 en France : une analyse des données de l’EGB. MMM. Vol 11 - N° S2 P. IIS24-IIS27 - September 2017.
4 - Amadou C, Denis P, Cosker K, Fagot-Campagna A. Less amputations for diabetic foot ulcer from 2008 to 2014, hospital management improved but substantial progress is still possible: A French nationwide study. PLoS One. 2020 Nov 30;15(11):e0242524.
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10 - Amadou C et al. Five-year mortality in patients with diabetic foot ulcer during 2009–2010 was lower than expected. Diabetes Metab. 2019. DOI: 10.1016/j.diabet.2019.04.010
11 - RCP HAS. 26 novembre 2020. Évaluations du pied d’un patient diabétique (avec le Collège national de pédicurie-podologie).
12. Najafi B., Mishra R. Harnessing Digital Health Technologies to Remotely Manage Diabetic Foot Syndrome: A Narrative Review. Medicina 2021, 57, 377.
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