Addictologie

LE SKIN POPPING

Publié le 28/02/2020
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Le skin popping consiste à effectuer des injections sous-cutanées répétées de drogues. Cette pratique expose le patient à des risques infectieux et d’amylose rénale. Il est donc nécessaire d’insister sur la prévention (matériel à usage unique) et l’importance du traitement substitutif aux opiacés.
SKIN POPPING

SKIN POPPING
Crédit photo : Dr Frances

Pour la première fois, nous recevons en consultation Marc, 42 ans. Il est ouvrier agricole et vient travailler aux vendanges. Ce patient mobile (il travaille dans toute la France) vient renouveler son traitement substitutif aux opiacés. Il paraît très anxieux, a des difficultés à se concentrer. À l’examen clinique, nous remarquons sur ses bras et avant-bras des lésions maculaires déprimées et hypopigmentées (cliché 1). D'abord très évasif, il comprend que le médecin n’est pas un homme de loi et confie que ces lésions sont secondaires à des injections répétées d’héroïne, déclarant qu’il n’est pas pleinement satisfait de son traitement substitutif. Ce patient souffrant de craving, en plus de son traitement substitutif, s’injecte donc au niveau des bras de l’héroïne par skin popping.

Le skin popping (skin = peau et popping = éclatement) est une technique utilisée par les toxicomanes pour s’injecter différentes drogues au niveau cutané (sous-cutané ou intradermique). Parmi ces drogues : la cocaïne, l’héroïne (aux États-Unis, l’« héroïne de goudron » en provenance du Mexique est très prisée), les stéroïdes anabolisants, les barbituriques.

Plusieurs raisons conduisent cette pratique chez les toxicomanes :

• la volonté de changer de mode d’injection car le système veineux a été trop sollicité, et de ce fait il n’y a plus de veines accessibles.

• le souhait d’avoir un site d’injection facile à utiliser.

De plus, cette manière d’injecter évite les effets rapides d’une injection intraveineuse et ses conséquences rapides lorsque les effets s’estompent. Le skin popping permet un effet plus continu et tardif.

CARACTÉRISTIQUES CLINIQUES

Les sites les plus fréquemment choisis par les toxicomanes pour le skin popping sont : la région sus-claviculaire, le thorax, les membres supérieurs, les jambes, les cuisses et le cou.

L’injection est à l’origine de la formation d’une cicatrice qui est souvent hyperpigmentée, avec parfois des granulomes (en raison de la présence de talc qui « coupe » souvent la drogue injectée).

On peut aussi, comme dans la situation de Marc, observer des macules hypopigmentées.

Des chéloïdes peuvent également apparaître au décours de ces injections.

Des nécroses digitales surviennent parfois. Elles sont secondaires à l’effet vasoconstricteur de l’héroïne qui est libérée (de manière accidentelle) au niveau des artérioles périphériques.

RISQUES ET CONSÉQUENCES

Les conséquences sont nombreuses, certaines étant superposables (surtout les risques infectieux) à celles rencontrées lors d’une injection intraveineuse :

• Il peut s’agir d’une transmission virale (VIH, VHB, VHC) en raison de l’utilisation d’un matériel usagé.

• Il peut s’agir d’infections bactériennes à type d’abcès cutanés ou de dermohypodermites liées souvent au staphylocoque aureus, mais aussi dans certains cas à des bactéries anaérobies (de manière isolée ou en association avec les staphylocoques aureus). Il faut savoir que le skin popping majore par cinq le risque infectieux chez le patient toxicomane par rapport à une injection intraveineuse. Des cas de transmission de tétanos sont également décrits, mais aussi de botulisme (surtout lors de l’utilisation de l’« héroïne de goudron »).

Parfois, ces injections peuvent induire des endocardites. Dans des cas plus sévères, le problème infectieux peut devenir plus important au niveau cutané, et on observe alors des fasciites nécrosantes.

• On peut mettre en évidence également des infections fongiques. Il s’agit le plus souvent de folliculites à Candida.

• Des cas d’amylose rénale induits par ce type d’injection sont classiquement décrits. Ils sont dus à une réaction immunitaire antigénique dépendante. Ils sont également favorisés par les réactions inflammatoires engendrées par le skin popping (surtout s’il est très répétitif).

CONCLUSION

Notre cas clinique doit nous inciter à avoir une discussion adaptée avec ce patient, qui a la franchise de nous expliquer sa situation vis-à-vis du mésusage de drogues concomitamment à la prise d’un traitement substitutif. Dans ce contexte, il est important :

• de changer les doses inadaptées de son traitement substitutif, et de lui conseiller de ne pas associer traitement substitutif et skin popping,

• de revoir ce patient pour reparler de sa situation psychique par rapport à ces modifications que nous lui recommandons,

• en parallèle, pour que notre message soit plus porteur, d'insister sur les risques (infectieux et généraux) qu'il prend avec le skin popping ; risques majorés si le matériel utilisé n’est pas à usage unique,

• de proposer au patient d’être orienté vers une consultation spécialisée d’addictologie pour optimiser sa prise en charge.

Bibliographie

1 - Cooper C, Bilbao JE, Said S. Serum amyloid A renal amyloidosis in a chronic subcutaneous (« skin popping ») heroin user. Journal of Nephropathology 2013 ; 2 (3) : 196-200.

2 - Chabanel D, Carron PN, Kuntzer T. Les difficultés diagnostiques du botulisme par skin popping de l’héroïnomane. Revue neurologique 2007 ; 63 (supp 4) : 91.

3 - Lopez Pineiro M, Saporito RC, Silapunt S. Skin popping scars : A chronic complication of illicit drug use. Journal of the American Academy of Dermatology 2017 ; 76 (6) supp 1 : A3237.

4 - Leclerc G, Weber M, Contet-Audenneau N, et al. Candida folliculitis in heroïn addicts. Internal Journal of Medicine1986 ; 25 : 100-102.

5 - Johnston C, Keogan MT. Imaging features of soft-tissue infection and other complications in drug user after direct subcutaneous injection (skin popping). American Journal of Roentgenology 2004 ; 182 (5) : 1195-1202.

Dr Pierre Frances (médecin généraliste à Banyuls-sur-Mer), Justine Chevrier (interne en médecine générale à Montpellier), Julien Arbib (interne en médecine générale à Paris), Léa Nguefack (externe à Montpellier).

Source : Le Généraliste: 2901