Rhumatologie

LE TASSEMENT VERTÉBRAL NON TRAUMATIQUE

Publié le 09/10/2020
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Les tassements vertébraux sont majoritairement liés à l’ostéoporose, mais tout tassement vertébral n’est pas obligatoirement d’origine ostéoporotique, et toute ostéoporose n’est pas toujours primitive. D’où la nécessité d’un bilan étiologique à conduire rapidement.

Radiographie de la colonne vertébrale d'une patiente atteinte d'ostéoporose.

Radiographie de la colonne vertébrale d'une patiente atteinte d'ostéoporose.
Crédit photo : ZEPHYR/SPL/PHANIE

INTRODUCTION

Les fractures-tassements vertébraux (FTV) par fragilité osseuse surviennent spontanément ou par un mécanisme de faible énergie, le plus souvent lors d’un effort de soulèvement, et provoquent un affaissement du centre de la vertèbre. On estime à 70 000 le nombre de fractures vertébrales par an en France, un chiffre sous-estimé car deux sur trois passeraient inaperçues. La prise en charge est urgente, du fait de possibles étiologies malignes et du risque de nouvelle fracture en cas d’ostéoporose.

LES CIRCONSTANCES DE DIAGNOSTIC

La FTV doit être évoquée devant une rachialgie chez toute personne de plus de 50 ans. Une douleur dorso-lombaire brutale qui oblige un patient âgé à s’aliter ne doit pas être systématiquement attribuée à l’arthrose et doit amener à un bilan d’imagerie.

Mais le plus souvent, la douleur modérée cède rapidement et les patients ne consultent pas. La FTV peut être diagnostiquée sur une imagerie demandée pour un autre motif. L’examen attentif des clichés standards de radiologie, de TDM ou d’IRM abdomino-thoraciques permettent aisément de la mettre en évidence et de pas se limiter à parler d’arthrose.

La FTV doit être recherchée au cours d’une ostéodensitométrie (par Dual-energy X-ray absorptiometry, DXA) grâce à l’évaluation morphologique vertébrale (Vertebral Fracture Assessment, VFA) pratiquée chez une personne à risque d’ostéoporose (la VFA permet de réaliser une image du rachis avec l’appareil de densitométrie osseuse).

La perte de taille d’au moins 3 cm doit classiquement attirer l’attention et correspond bien souvent à une FTV passée inaperçue, ce qui devrait faire mesurer systématiquement la taille une fois par an chez toute personne de plus de 60 ans.

Les deux tiers des fractures passant inaperçues, il faut aller « au-devant » du diagnostic et toujours se poser la question devant un terrain à risque : femme ménopausée surtout mais pas seulement, en cas aussi d’IMC faible, de diabète, de notion de tabagisme et/ou d’alcoolisme, de traitements connus pour leur action déminéralisante, et a fortiori en cas d’antécédents de fractures à faible énergie.

LE BILAN ÉTIOLOGIQUE

Le diagnostic étiologique d’une fracture vertébrale est basé sur un faisceau d’arguments cliniques, biologiques et radiologiques. Ce bilan étiologique doit rechercher en particulier une cause tumorale ou une ostéoporose secondaire. L’ostéoporose est l’étiologie la plus fréquente chez le sujet âgé mais reste toutefois un diagnostic d’élimination (1).

Une FTV peut être liée à des métastases osseuses (sein, thyroïde, rein, poumon, prostate) ou un myélome, vis-à-vis desquels on dispose maintenant de traitements plus efficaces, voire à un angiome vertébral. L’existence de troubles neurologiques est très suspecte d’une origine maligne.

Lorsque l’on a écarté une cause tumorale, il faut distinguer ostéoporose primitive et secondaire et rechercher des signes d'hyperthyroïdie, d’hyperparathyroïdie, d'hypercorticisme, de malabsorption, de mastocytose (urticaire pigmentée), d'hypercalciurie avec lithiases rénales récidivantes, d'hypogonadisme chez l'homme. La FTV est une des trois localisations fracturaires ostéoporotiques les plus fréquentes (avec le col fémoral et le poignet).

Les examens biologiques Ils sont indispensables pour écarter un myélome et une ostéoporose secondaire. On demande NFS, CRP, VS, 25-OHD, PTH, calcium, phosphore, bilan de la fonction rénale, l’électrophorèse des protéines et en fonction du contexte, un dosage du TSH, cortisol, PSA, voire de la testostérone chez un homme jeune.

Le dosage de la vitamine D recherche une ostéomalacie (terme à noter sur l’ordonnance pour justifier le remboursement du dosage) et servira de référence pour guider une éventuelle supplémentation.
Le dosage du CTX sérique permettra de suivre l’observance thérapeutique.

L’imagerie Les radiographies standards de face et de profil sont centrées sur la colonne thoracique, sur la charnière thoraco-lombaire et sur la colonne lombaire. Le diagnostic de FTV repose sur la diminution de hauteur de la partie moyenne ou antérieure de la vertèbre de plus de 20 % par rapport au mur postérieur, avec un aspect concave ou biconcave, un aspect en coin ou en galette. Les fractures malignes s’associent à un recul du mur postérieur d’allure différente des autres types de fracture ainsi qu’à des zones ostéolytiques. On vérifie que la FTV mise en évidence à la radiographie correspond à la topographie de la douleur rachidienne.

En cas de doute clinique (antécédents de cancer, signes de compression neurologique) ou de radiographies peu concluantes, il ne faut pas hésiter à demander une IRM. Ces deux examens vérifient l’existence d’éventuelles autres FTV asymptomatiques qui vont modifier la prise en charge.

Si l’imagerie est en faveur d’une origine « non tumorale », on demande une ostéodensitométrie afin de quantifier la masse osseuse qui va servir de référence pour le suivi thérapeutique et une VFA pour vérifier le nombre de fractures.
L’ostéoporose de la femme ménopausée constitue la majorité des causes de FTV, mais il faut aussi y penser chez un homme et chez la femme non ménopausée, même si la situation est rare, et dans ce cas on recherchera encore plus attentivement une ostéoporose secondaire. Il peut s’agir d’une ostéoporose secondaire liée à la prise d’anti-aromatases ou d’une déprivation androgénique. Cependant, le plus souvent, on ne retrouve pas de cause secondaire, ce qui amène parfois à demander un génotypage à la recherche d’anomalies génétiques responsables d’une ostéoporose dite juvénile ou d’une ostéogenèse imparfaite.

LA CASCADE FRACTURAIRE

La fracture vertébrale non traumatique constitue en elle-même un facteur de risque majeur de récidive fracturaire, maximal dans les deux premières années ; 20 % feront une nouvelle fracture dans l’année qui suit. Ce qui a amené à la notion de cascade de fractures vertébrales (CFV), encore mal définie dans la littérature, que ce soit en termes de nombre de fractures ou de délai de survenue.
Certaines polémiques ont rapporté ces CFV à l’arrêt du dénosumab. L’arrêt d’une molécule à effet non rémanent provoque à l’évidence une augmentation du risque fracturaire, et on ne saurait trop recommander de respecter les conditions de l’AMM et du remboursement pour sa prescription et de savoir prendre le relais par les biphosphonates en cas d’arrêt (6).
Dans la pratique, comme l’a montré l’étude CASVOS (7) (CAScade de fractures Vertébrales OStéoporotiques) réalisée sous la direction du GRIO et de la SFR (8), ces CFV sont dans près de la moitié des cas associées à une ostéoporose secondaire, d’origine iatrogène, ou liée à une hémopathie, un alcoolisme chronique, des pathologies endocriniennes, etc. 11,8 % des cas de CFV sont survenues dans les suites d’une vertébroplastie, et sur les 116 CFV, cinq sont survenues après l’arrêt du dénosumab et une après celui de l’odanacatib (dont le développement est aujourd’hui arrêté).

LE RISQUE ÉVOLUTIF DU TASSEMENT VERTÉBRAL

La fracture ostéoporotique n’entraîne généralement pas de compression neurologique à court terme. À long terme, les FTV peuvent provoquer des déformations de la colonne vertébrale avec une cyphose, potentiellement douloureuse et invalidante et responsable d’une réduction de la capacité respiratoire par la diminution du volume thoracique.
Le tassement vertébral est un facteur majeur de perte d’autonomie et associé à un excès de mortalité indiscutable, pratiquement aussi important que la fracture du col du fémur même si les causes en sont moins nettes, liées probablement en partie à des infections respiratoires, ou à des évènements cardio-vasculaires.

Arbre décisionnel

LE TRAITEMENT

La prise en charge est urgente en cas de fracture sur tumeur maligne ou de compression neurologique, et rapide en cas d’ostéoporose pour éviter la récidive. Dans cette mise au point, nous aborderons surtout le traitement des FTV d’origine ostéoporotique, les autres étiologies, comme les tumeurs, relevant d’une prise en charge spécifique.

Le traitement symptomatique
Devant une FTV récente, les recommandations européennes de 2017 (2) préconisent la prescription d’antalgiques, le repos jusqu’à disparition des douleurs et une immobilisation par corset avec appui sternal associés à une kinésithérapie visant à éviter la fonte musculaire liée au décubitus et l’installation d’une cyphose qui peut être assez rapide. La contention externe sera conservée trois mois en moyenne.

Le traitement du tassement vertébral d’origine ostéoporotique

Les antiostéoporotiques sont indiqués dès lors qu’il existe une fracture sévère comme un tassement vertébral, et ce quelle que soit la valeur de la densité minérale osseuse (DMO). Une DMO abaissée n’est qu’un des facteurs de fragilité osseuse et de nombreuses fractures surviennent pour une densité minérale osseuse subnormale. Sous prétexte d’une DMO pas assez basse, à tort beaucoup de patientes ne sont pas traitées après une FTV.
La séquence thérapeutique en cas de FTV vise maintenant en premier non plus la stabilisation de la DMO mais un gain densitométrique. Il faut commencer par un traitement anabolique avant de prendre le relais par un agent anti-résorption. Des essais thérapeutiques menés vs un comparateur actif comme risédronate ont montré que le tériparatide (analogue de la PTH) réduit nettement le risque d’une nouvelle fracture vertébrale. Mais il n’est toujours remboursé qu’après la 2e fracture vertébrale, alors que la prescription de biphosphonates en première ligne dans cette situation constitue une réelle perte de chance. Le tériparatide est remboursé pendant 18 mois en France et 24 mois dans certains autres pays. Après quoi, on prend le relais par des biphosphonates.
Un autre analogue de la PTH, l’abaloparatide, dont l’effet est similaire ou un peu supérieur au tériparatide, est commercialisé aux USA mais n’aura probablement jamais l’AMM européenne.
On devrait bientôt disposer du romosozumab, un anticorps monoclonal antisclérostine qui a l’AMM européenne et devrait être recommandé en première ligne après fracture ostéoporotique sévère comme la FV ou la fracture de hanche. Il réduit le taux de nouvelles fractures et en particulier de fractures vertébrales de 50 % par rapport à l’alendronate (3).

Le traitement de substitution par vitamine D est incontournable en prévention primaire et secondaire. Son dosage est remboursé dans certaines indications, incluant l’ostéoporose sévère. Il permet d’établir un protocole de supplémentation adapté au statut vitaminique, en préférant des doses plus faibles mais moins espacées (4).

Peu de place pour la chirurgie dans la fracture ostéoporotique. L’arthrodèse rachidienne donne des résultats médiocres à long terme, la greffe osseuse et le matériel prenant mal sur un os de mauvaise qualité. La cimentoplastie vertébrale, ou vertébroplastie, consiste à injecter en percutané un ciment dans le corps vertébral sous contrôle radiologique. Elle reste très pratiquée alors que différentes sociétés savantes ne se prononcent pas en sa faveur et que la plupart des essais randomisés n’ont pas montré d’efficacité. Même chose pour la kyphoplastie (un ballon est au préalable inséré dans le corps vertébral pour regagner de la hauteur), peu pratiquée en France où elle n’est pas remboursée.

LA PRÉVENTION PRIMAIRE

La prévention primaire des fractures par fragilité osseuse repose sur le dépistage et le traitement de l’ostéoporose, chez les femmes après une ménopause précoce ou ménopausées n’ayant pas reçu le traitement hormonal substitutif (THS), mais aussi les hommes et les femmes traités par déprivation hormonale pour cancer de la prostate ou du sein, ou par corticothérapie au long cours, les personnes à risque du fait d’un IMC faible, d’un tabagisme ou de la consommation d’alcool.

LES MESSAGES CLÉS

L’ostéoporose est la cause la plus fréquente d’une fracture-tassement vertébrale, mais une étiologie tumorale ou une ostéoporose secondaire doivent toujours être recherchées. L’IRM est indispensable en cas de doute sur une cause maligne.
Les ostéoporoses secondaires ne sont pas rares et nécessitent une prise en charge spécifique.
La perte de taille n'est pas uniquement liée au vieillissement et les douleurs dorso-lombaires pas toujours liées à l’arthrose. Le tassement vertébral peut avoir des conséquences majeures sur la perte d’autonomie et des séquelles esthétiques non négligeables.
Le dépistage et la prise en charge de l’ostéoporose sont essentiels pour la prévention primaire et secondaire des FTV d’origine ostéoporotique.
La supplémentation en vitamine D doit être adaptée au statut vitaminique.

POUR EN SAVOIR PLUS

• Briot K, Roux C, Thomas T, Blain H, Buchon D, Chapurlat R, Debiais F, Feron JM, Gauvain JB, Guggenbuhl P, Legrand E, Lehr-Drylewicz AM, Lespessailles E,
Tremollieres F, Weryha G, Cortet B. Actualisation 2018 des recommandations françaises du traitement de l’ostéoporose post-ménopausique, Revuedu rhumatisme (2018), https://doi.org/10.1016/j.rhum.2018.02.005.
• Mazières B, Laroche M, Constantin A, Cantagrel A. Rhumatologie pour le praticien, Elsevier Masson, 11/2018.

Bibliographie

1 - M.Sloumaa, E.Cheourb, I.Gharsallaha, La fracture vertébrale non traumatique : quelle démarche diagnostique ? Journal d'imagerie diagnostique et interventionnelle, Volume 3, Issue 4, September 2020, Pages 259-272, https://doi.org/10.1016/j.jidi.2020.03.010.
2 - Lems WF et al. EULAR/EFORT recommendations for management of patients older than 50 years with a fragility fracture and prevention of subsequent fractures, Ann Rheum Dis. 2017 May;76(5):802-10, https://ard.bmj.com/content/76/5/802.
3 - Kenneth G. Saag, M.D., Jeffrey Petersen, M.D., Maria Luisa Brandi, M.D., Andrew C. Karaplis, M.D., Ph.D., Mattias Lorentzon, M.D., Ph.D., Thierry Thomas, M.D., Ph.D., Judy Maddox, D.O., Michelle Fan, Ph.D., Paul D. Meisner, Pharm.D., Andreas Grauer, Romosozumab or Alendronate for Fracture Prevention in Women with Osteoporosis, N Engl J Med 2017; 377:1417-1427, DOI: 10.1056/NEJMoa1708322.
4 - La supplémentation en vitamine D en France chez les patients ostéoporotiques ou à risque d’ostéoporose : données récentes et nouvelles pratiques Jean-Claude Souberbiellea, Catherine Cormier http://www.grio.org/documents/page/la-supplementation-en-vitamine-d-gri… https://doi.org/10.1016/j.jbspin.2019.04.004,
Joint Bone Spine, https://doi.org/10.1016/j.rhum.2019.02.0141169-8330
5 - Roland Chapurlat, Effects and management of denosumab discontinuation, Joint Bone Spine. 2018 Oct;85(5):515-517. doi: 10.1016/j.jbspin.2017.12.013.
6 - Olivier Lamy , Elena Gonzalez Rodriguez , Delphine Stoll , Bérengère Aubry-Rozier , Françoise Livio, Multiple Vertebral Fractures after Denosumab Discontinuation: How to Avoid Them, Praxis (Bern 1994). 2018 Jun;107(12):649-654. doi: 10.1024/1661-8157/a002997.
7 - H. Che, V. Breuil,B. Cortet, J. Paccou,T. Thomas, L. Chapuis,F. Debiais,N. Mehsen-Cetre,R.M. Javier,S. Loiseau Peres, C. Roux, K. Briot, Vertebral fractures cascade: potential causes and risk factors, Osteoporosis International https://doi.org/10.1007/s00198-018-4793-1.
8 - Groupe de recherche et d’information sur les ostéoporoses (GRIO), la Société française de rhumatologie (SFR).

Liens d'intérêts

Le Dr Maia Bovard-Gouffrant ne déclare aucun lien d'intérêts relatif à cet article. Pour des raisons indépendantes de notre volonté, le Pr Roland Chapurlat n'a pu communiquer ses liens d'intérêts relatifs à cet article. Nous invitons nos lecteurs à se référer à transparence.sante.gouv.fr

Dr Maia Bovard-Gouffrant (rédactrice médicale), Pr Roland Chapurlat (rhumatologue, service de rhumatologie, hôpital Édouard-Herriot, Lyon)

Source : lequotidiendumedecin.fr