Stricto sensu, la période palliative débute au moment où est posé le diagnostic d'évolution locale incurable ou de première métastase (1), et les soins donnés à ce moment-là coexistent parallèlement aux soins curatifs spécifiques à la pathologie. Le terme de soins palliatifs ne signifie donc pas nécessairement que le patient soit en phase terminale d'une maladie incurable.
Outre la douleur, de nombreux symptômes peuvent être observés en soins palliatifs, isolés ou intriqués chez un même patient : fatigue (encadré 1), anorexie, nausées et vomissements, constipation, syndrome occlusif, hoquet (encadré 2), sécheresse de la bouche et ulcérations buccales, troubles neuropsychiques, dyspnée, escarres et plaies, déshydratation, dénutrition, problèmes urinaires… Ce texte aborde plus précisément la prise en charge des troubles digestifs et nutritionnels.
L'Anaes, dans ses recommandations de 2002 (2), indique que le traitement étiologique est justifié chaque fois que possible à condition qu'il soit simple, efficace et acceptable pour le patient. Un traitement symptomatique peut lui être associé ou s’y substituer quand la prise en charge étiologique n’est pas possible. Un traitement symptomatique adapté permet en effet très souvent de soulager les patients.
"Pour 2 malades sur 5, le médecin généraliste a une place tout à fait légitime pour prendre en charge et accompagner ses patients en phase palliative, précise le Dr Gomas, sans avoir nécessairement besoin de faire intervenir un réseau de soins palliatifs. Pour un patient sur cinq, l'intervention ponctuelle d'un réseau ou d'une unité de soins palliatifs est nécessaire, et pour 2 sur 5, l'assistance d'une équipe pluridisciplinaire spécialisée en soins palliatifs est requise".
ANOREXIE ET NUTRITION
-› La prise en charge de la perte de l'appétit repose en premier lieu sur "l'alimentation plaisir". Basée le plus possible sur les souhaits du malade, elle doit être variée tant en goûts qu'en couleurs et en modes de présentation. Il est souvent utile de fractionner les repas. "Les plats ne doivent pas être trop odorants, les patients devenant souvent plus sensibles sur le plan psychologique à des stimulations considérées auparavant comme banales : odeurs, bruits, lumière… Ainsi, "l'attention aux détails" est essentielle en situation palliative". Le bénéfice réel des prescriptions diététiques antérieures (régime hypocholestérolémiant…) doit être réévalué. Selon les Standards, Options et Recommandations (SOR) sur la nutrition en situation palliative (4), de nombreuses restrictions diététiques peuvent ainsi être assouplies.
Les orexigènes classiques (fénugrec, houblon…) peuvent être essayés, mais on préfère généralement les corticoïdes en cure courte (effet orexigène transitoire). Les progestatifs (acétate de megestrol, acétate de medroxyprogestérone) ont été proposés, mais ils sont aujourd'hui moins utilisés. Si l’anorexie est associée à des symptômes évoquant une gastroparésie (sensation de satiété rapide et/ou nausées chroniques), les médicaments prokinétiques (métoclopramide, dompéridone) peuvent se justifier (2).
-› Les compléments nutritionnels oraux (CNO), hypercaloriques et hyperprotidiques, sont utilisés pour encourager les ingesta et améliorer les symptômes associés à la soif, la faim ou la déshydratation (4). "On dispose aujourd'hui d'un vaste éventail de goûts, de textures, de couleurs, et les CNO doivent être largement proposés aux malades. Ceux qui sont enrichis en fibres sont par ailleurs intéressants dans la prise en charge de la constipation".
Certains sont pris en charge par l'Assurance-maladie. La place des CNO enrichis en acides gras oméga-3 (immunonutriments) est à l'étude en situation palliative en l'absence d'obstacle mécanique (5). Les SOR indiquent qu'ils pourraient améliorer l'état nutritionnel des patients atteints de cachexie secondaire à un cancer pancréatique (4).
Selon la FNCLCC (Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer), l'alimentation artificielle, entérale ou parentérale, n'est pas recommandée lorsque l’espérance de vie est inférieure à 3 mois et l’indice de Karnofsky inférieur à 50 (indice utilisé en cancérologie évaluant les capacités physiques du patient), les inconvénients étant alors supérieurs aux bénéfices escomptés (6 ; 4).
n toute fin de vie, il faut accepter d'arrêter l'alimentation, pour ne conserver que l'alimentation plaisir. Il faut rassurer la famille en expliquant que le malade ne ressent pas la sensation de faim comme s'il était bien portant. En amont de la phase terminale, si l'on envisage de recourir à la nutrition artificielle, l'indication doit être soigneusement pesée au regard de l'état du patient, de la pathologie en cause, du bénéfice escompté et des complications potentielles.
-› Concernant l'hydratation, "il ne faut jamais “s'acharner” à réhydrater un malade en fin de vie. Un certain degré de déshydratation joue même un rôle protecteur contre la sévérité de certains symptômes : réduction du volume urinaire, des vomissements, de l'encombrement bronchique, de l'œdème pulmonaire et périphérique, de l'ascite, également de la douleur sous l'effet de la cétose. À ce stade, la qualité des soins de bouche est fondamentale, car de l'état de la bouche dépend largement la sensation de faim et de soif.
À cachexie et déshydratation égales, un patient dont la bouche est propre et bien humidifiée a moins soif et moins faim que lorsque les soins de bouche sont délaissés. Ainsi, comme pour l'alimentation, le médecin doit décider du bon moment pour lever le pied sur les apports hydriques, au risque, s'il ne le fait pas, de majorer ou de provoquer un encombrement bronchique. Le malade se noie alors dans ses sécrétions". Si le patient n'est pas au stade terminal et qu'une réhydratation est nécessaire, outre la voie orale, la voie intraveineuse est privilégiée, et à défaut, on recourt à la voie sous cutanée.
En cas de troubles de la déglutition, l'eau gélifiée constitue une bonne solution pour la prévention des fausses routes. "Rappelons qu'une toux survenant après la prise d'aliments ou de boissons liquides témoigne d'une fausse route. Cette observation doit rendre prudent lors des repas suivants. L'eau gélifiée prend alors toute sa place, d'autant qu'il est possible de gélifier un grand nombre d'ingrédients". (voir aussi la fiche "troubles de la déglutition" sur le site de la SFAP, réf 7)
LES NAUSÉES ET VOMISSEMENTS
-› Souvent d'origine plurifactorielle, leur traitement doit être adapté à la cause chaque fois que possible : correction d'un trouble métabolique (hypercalcémie), d'une hypertension intracrânienne, d'une constipation sévère ou d'un fécalome, éventuelle adaptation thérapeutique en cas de prise de médicaments favorisant les vomissements (opioïdes, chimiothérapie…), atténuation de l'anxiété par une benzodiazépine. L'installation du malade, le fractionnement des repas, la suppression des stimuli susceptibles de provoquer les vomissements (odeurs), sont de petits moyens qui prennent toute leur importance dans ce contexte.
-› Sur le plan symptomatique, le traitement est souvent probabiliste. Les prokinétiques (métoclopramide, dompéridone, métopimazine) sont largement prescrits.
Si les vomissements persistent, des neuroleptiques tels que la chlorpromazine (hors AMM, attention au risque de surmortalité ; 5 mg 1 à 3 fois/jour per os ou SC) ou l'halopéridol (5 mg per os ou SC ; AMM pour les vomissements lors de traitements antimitotiques post-radiothérapiques) peuvent être utilisés.
La scopolamine est un antisécrétoire anticholinergique utilisé soit par voie injectable, soit par voie transdermique en cas d'occlusion intestinale (voir infra). L'octréotide, dérivé de la somatostatine, est administré dans la même indication, mais seulement en lien avec une équipe spécialisée.
Les antagonistes des récepteurs 5HT3 (sétrons) sont réservés à la prise en charge des nausées et vomissements induits par la chimiothérapie. Ils ont donc une place réduite en soins palliatifs proprement dits. Ils sont soumis à la procédure des médicaments d'exception. Les antagonistes des récepteurs de la neurokinine 1 substance P (aprépitant, fosaprépitant) récemment mis sur le marché, sont aussi des médicaments d'exception, prescrits en cas de chimiothérapie anticancéreuse dans le strict cadre d'un schéma thérapeutique comportant un corticostéroïde et un antagoniste 5-HT3 (Vidal 2010).
LES TROUBLES DU TRANSIT
La constipation
-› Extrêmement fréquente, elle peut être en rapport avec une hydratation insuffisante, la prise d'opioïdes ou de médicaments anticholinergiques, l'immobilité. La présence d'un fécalome doit toujours être recherchée. "La mise sous opioïdes doit s'accompagner dès le premier jour de la prescription d'un laxatif, de type osmotique par exemple (sorbitol, lactulose, lactitol, macrogol, osmotiques salins).
En cas de constipation avérée, un second laxatif, de type stimulant (bisacodyl, laxatif anthracénique, docusate sodique, picosulfate de sodium) est associé. Les laxatifs de lest (mucilages, son), qui nécessitent souvent de prendre de grandes quantités de granulés ou de poudre, sont très inconfortables pour le patient. Les laxatifs lubrifiants quant à eux manquent d'efficacité dans ce contexte".
-› D'autres médicaments sont disponibles, et le schéma suivant peut être proposé (8 ; 9). La bithérapie laxative (1 osmotique + 1 stimulant) constitue toujours la 1re ligne de traitement en cas de constipation avérée. Si ce traitement est suffisant, il est maintenu, en association aux règles hygiéno-diététiques.
Dans le cas contraire, on passe à la 2e ligne de traitement : suppositoires et lavement, associés en cas de constipation sous opioïde à la méthylnatrexone (AMM spécifique en soins palliatifs). Cet antagoniste morphinique périphérique bloque l'action intestinale de la morphine sans réduire son action antalgique. Il est administré par voie sous cutanée un jour sur deux.
En cas d'échec, la 3e ligne de traitement consiste à administrer un péristaltogène intestinal (pyridostigmine en comprimés [AMM dans l'atonie intestinale], néostigmine en injectable [hors AMM]) ou une préparation pour investigation colique (hors AMM), en association éventuellement à un grand lavement.
-› L'arrivée prochaine d'une association fixe comprenant un opioïde (oxycodone) et un antagoniste morphinique (naloxone) devrait faciliter la prévention de la constipation sous opioïde.
L'occlusion intestinale
-› Là encore, les causes sont nombreuses en situation palliative : carcinose péritonéale, occlusion sur bride, colite radique, troubles de la motricité intestinale en rapport avec une anomalie métabolique (hypercalcémie, hypokaliémie, insuffisance rénale), ou une prise médicamenteuse (opioïdes, psychotropes). Parfois, un traitement étiologique est possible, par exemple la prise en charge chirurgicale d'une occlusion sur bride ou d'une lésion localisée.
"La décision d'hospitaliser ou non n'est pas facile à prendre et doit toujours prendre en compte le souhait du patient, mais il vaut mieux ne pas garder à domicile un malade présentant des vomissements incoercibles, ou bien lorsqu'on a un doute sur le niveau de l'occlusion. À noter que la présence ou l'absence de bruits hydroaériques n'a aucune valeur informative, les signes cliniques cardinaux de l'occlusion étant la douleur abdominale, les nausées et vomissements et l'arrêt du transit".
-› En l'absence de prise en charge étiologique, on a recours à un traitement symptomatique médicamenteux (9). La mise en place d'une sonde gastrique n'est pas systématique. Les corticoïdes injectables – rôle anti-inflammatoire, anti-émétique, stimulant - sont administrés en 1re intention (méthylprednisolone à raison de 1 à 4 mg/kg/j), associés à une réhydratation parentérale et à un antiémétique de type neuroleptique.
Pour lutter contre la douleur, l'Anaes (2) préconise l’association opioïdes-antispasmodiques. Comme antispasmodique, la scopolamine, qui permet de diminuer les sécrétions digestives, est un outil primordial pour le généraliste. La scopolamine butylbromure (voie IV ou SC) a une AMM spécifique pour cette indication ; à défaut la scopolamine bromhydrate (AMM dans le traitement en soins palliatifs des râles agoniques liés à l'encombrement des voies aériennes supérieures par excès de sécrétions salivaires) peut être utilisée. Les patchs de scopolamine, qui eux aussi ont l'AMM dans les râles agoniques, ne sont pas assez dosés dans cette indication et il est préférable de s'en tenir à la forme injectable.
Enfin, l'octréotide, dérivé de la somatostatine, est efficace sur la diminution des sécrétions et sur la réduction du péristaltisme. Sa prescription dans ce cadre est hors AMM, mais recommandée par l'Afssaps (3), par voie SC ou IV. Son utilisation nécessite d'être aguerri dans le domaine des soins palliatifs et de se rapprocher d’une équipe spécialisée.
La diarrhée
La prise en charge repose sur l'association d'un régime sans résidu et d'antidiarrhéiques (y compris des doses d’opioïdes), sans oublier la réhydratation et les soins d'hygiène avec changes répétés. Attention cependant aux fausses diarrhées par vidange du segment d'aval en cas de syndrome occlusif.
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
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Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique
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