Les antiagrégants plaquettaires (AAP) occupent un rôle pivot dans la stratégie de prise en charge du risque cardiovasculaire global, notamment en prévention secondaire.
L’application des preuves cliniques demeure perfectible et l’émergence de nouvelles technologies, telles que l’apparition des stents « actifs », c'est-à-dire des stents recouverts d’une substance antimitotique (paclitaxel, sirolimus, everolimus), qui retardent la prolifération endothéliale au niveau du stent donc diminuent le risque de resténose intra-stent, mais exposent au risque de thrombose tardive par cette même action et l’activation du facteur tissulaire (pro-thrombotique), ont complexifié la gestion des AAP.
De plus, les nouvelles études cliniques et la meilleure compréhension des mécanismes de l’athérothrombose devraient conduire à des modifications des stratégies thérapeutiques, puisqu’elles nous fournissent de précieux renseignements pour préciser la stratégie thérapeutique optimale.
AAP AU DÉCOURS D’UN SYNDROME CORONARIEN AIGU
Syndrome coronarien sans sous-décalage du segment ST (SCA ST-)
Les recommandations européennes et américaines, récemment mises à jour recommandent l’emploi d’une bithérapie anti-agrégante plaquettaire associant aspirine à la dose de 75 mg par jour et le clopidogrel à la posologie quotidienne de 75 mg pendant une durée d’un an, que les patients soient revascularisés ou non, qu’ils aient bénéficié de la mise en place d’un stent ou non.
Ces recommandations d’un haut niveau de preuve reposent sur les données de l’étude CURE (Clopidogrel in Unstable Angina to prevent Recurrence of Events) qui a comparé, chez 12 502 patients avec syndrome coronarien aigu sans sus-décalage de ST, une stratégie basée sur l’association clopidogrel et aspirine pendant 12 mois versus une monothérapie par aspirine (1,2).
La bithérapie aspirine-clopidogrel a permis d’obtenir une réduction significative de 20 % des événements cardiovasculaires majeurs (décès vasculaires, infarctus du myocarde, AVC) qui constituaient le critère primaire (décès vasculaire, infarctus, AVC) avec un bénéfice majoré (réduction du critère primaire de 31 %) chez les patients ayant bénéficié d’une revascularisation.
Cette réduction des événements ischémiques majeurs sous bithérapie antiagrégante plaquettaire ne s’est pas accompagnée d’un surcroît d’hémorragies mortelles. Lorsque la posologie d’aspirine était inférieure à 100 mg, le risque d’hémorragies graves était similaire entre la bithérapie aspirine-clopidogrel versus l’aspirine en monothérapie, alors qu’il était majoré en cas de bithérapie utilisant une dose d’aspirine supérieure à 100 mg.
Les bénéfices de la bithérapie antiagrégante plaquettaire ont été concordants dans le sous-groupe des 2 840 patients diabétiques, conduisant à des recommandations uniformes dans le cadre des SCA ST-, que les patients soient diabétiques ou non.
Syndrome coronarien avec sous-décalage du segment ST (SCA ST+)
Deux récentes études - CLARITY (3) et COMMIT (4) - ont évalué l’impact du traitement par clopidogrel en phase aiguë d’infarctus.
- CLARITY a été consacrée à l’étude de l’addition de clopidogrel (en plus de l’aspirine) avant thrombolyse pour SCA ST+. Le prétraitement par clopidogrel (300 mg à dose de charge puis 75 mg/j) a permis une réduction significative des décès et des récidives d’infarctus sans surcroît d’hémorragie(30).
- L’étude COMMIT (Clopidogrel an Métoprolol in Myocardial Infarction Trial) a inclus plus de 45 000 sujets et a évalué l’addition de 75 mg de clopidogrel à l’aspirine en cours d’hospitalisation pour SCA ST+. Le taux de mortalité et d’évènements cardiaques majeurs était réduit par le clopidogrel.
Dans CLARITY comme dans COMMIT le bénéfice était observé dans tous les sous-groupes de patients, notamment chez les patients coronariens diabétiques.
Les groupes de recommandations européens et américains recommandent l’utilisation de la bithérapie aspirine-clopidogrel pendant un an. Cette durée recommandée de 12 mois de la bithérapie antiagrégante ne doit pas être confondue avec la durée minimale résultant des accords de bon usage de soins (ACBUS).
Les réalités cliniques de la prise en charge.
Plusieurs registres majeurs - GRACE (5), Euroheart survey (6), REACH (7) - ont également souligné le fait que les antiagrégants plaquettaires sont sous-utilisés, ce qui doit inciter à optimiser les prescriptions de ces médicaments, en respectant les nouvelles recommandations européennes. En effet, plusieurs études - ST témoin (8), CONNECT (9) - objectivent que la sous-utilisation des AAP ne relèvent pas de la présence de contre-indications à leur emploi, mais semblerait plutôt liée à une connaissance imparfaite des recommandations et des études randomisées sur lesquelles elles reposent.
- Dans le registre GRACE incluant des patients ayant présenté un syndrome coronarien aigu (SCA), l’aspirine était utilisée chez plus de 90 % des patients, alors que les thiénopyridines n’étaient prescrites que pour 39 % des patients américains et 24 % des patients en Europe. Les données de REACH monde, concernant des patients stables, montrent que 21.4 % des patients présentant une maladie thrombo-embolique établie ne reçoivent aucun antiagrégant plaquettaire.
- Les données récentes de la European Heart Survey sur les SCA sont encourageantes concernant la prescription des AAP, puisque la prescription des thiénopyridines est passée de 27.6 % à 67.4 % pour les patients avec un SCA sans surélévation du segment ST (SCA-ST -)entre les périodes 2000 et 2004, avec pour corollaire une réduction de la mortalité hospitalière et à J30 respectivement de 42 % et 34 %.
- Malgré les efforts éducatifs pour améliorer les prescriptions des traitements validés, le registre CRUSADE (Can Rapid risk stratification of Unstable angina patients Supress Adverse outcomes with Early implementation of the ACC/AHA guidelines) (10) a montré que les prescriptions des AAP restaient perfectibles, avec une grande variabilité entre les centres participant à ce programme éducatif, puisque l’on constate que l’aspirine est prescrite à la sortie de l’hôpital chez 94 % des patients dans les centres référents et chez 80 % des patients dans les hôpitaux secondaires, alors que les thiénopyridines sont prescrites chez 62 % des patients dans les centres référents et 38 % des patients dans les hôpitaux secondaires.
AU DECOURS D’UN ACCIDENT VASCULAIRE CEREBRAL
Le traitement antiagrégant plaquettaire ne s’adresse bien évidemment qu’aux accidents vasculaires cérébraux ischémiques d’origine athérothrombotique, puisque les traitements anti-agrégants plaquettaires sont contre-indiqués dans le cadre des AVC hémorragiques, et que le traitement préférentiel dans le cadre des AVC secondaires à une fibrillation auriculaire repose préférentiellement sur le traitement antivitaminique K (études menées avec la warfarine, pourtant peu prescrite en France). Les recommandations françaises préconisent l’aspirine, le clopidogrel, ou l’association aspirine-persantine en traitement de première intention.
Les indications de l’aspirine et du clopidogrel reposent sur les données des métaanalyses et de l’étude CAPRIE (11); le bénéfice du clopidogrel étant plus marqué en cas d’atteinte polyartérielle présente chez plus d’un tiers des patients du registre mondial REACH(7).
Ainsi, l’association aspirine-persatine qui n’est pas validée chez les patients coronariens et/ou artériopathes, n’a pas réussi à se montrer l’égale du clopidogrel dans l’étude PROFESS (12) publiée en septembre 2008 donc postérieurement à l’élaboration des recommandations sur les AVC. Cette étude a recruté 20 332 patients en post-AVC suivis en moyenne sur 2,5 ans. Ainsi, l’association aspirine-persantine n’a pas réussi à démontrer qu’elle n’était pas non-inférieure au traitement par clopidogrel, et doit donc être considérée comme inférieure sur le plan méthodologique. L’association aspirine et clopidogrel est à proscrire en prévention secondaire des AVC ischémiques athérothrombotiques, puisque l’étude MATCH (13) a objectivé un surcroît d’événements hémorragiques, sans bénéfice additionnel sur les événements ischémiques majeurs.
AU DECOURS DE L’AOMI
Les patients artériopathes sont ceux qui parmi les patients en prévention secondaire ont le pronostic cardiovasculaire le plus sombre, ainsi que l’ont illustré le registre REACH (7) et l’étude de Welten (14). Deux explications physiopathologiques complémentaires peuvent expliquer ce constat : les patients avec AOMI symptomatique ont une atteinte plus diffuse du lit artériel, comme le traduit la fréquence plus élevée de l’atteinte polyartérielle, symptomatique ou non.
Or, ce sont justement ces patients qui bénéficient le moins des traitements validés, à savoir la triade « anti-agrégant plaquettaire, statines, inhibiteurs de l’enzyme de conversion » (avec un niveau de preuves moindre pour les IEC), associée aux règles hygiéno-diététiques (sevrage complet du tabac, équilibration d’un éventuel diabète, réadaptation vasculaire, éducation thérapeutique).
Les recommandations françaises sur la prise en charge des patients porteurs d’une AOMI symptomatique sont l’objet de discussions animées sur le choix préférentiel de l’anti-agrégant plaquettaire, puisque le clopidogrel et l’aspirine sont recommandés en première intention, choix dicté par le moindre coût de l’aspirine, alors que seul le clopidogrel dispose d’une AMM concernant l’AOMI.
L’étude CAPRIE (11) a démontré un bénéfice significatif du clopidogrel versus l’aspirine chez les patients présentant une AOMI, probablement en raison de la fréquence de l’atteinte polyartérielle, qui était présente et symptomatique chez plus de 60 % des patients du registre REACH (7). À noter que l’étude POPADAD (15) a montré que l’aspirine n’est pas supérieure au placébo ( !) chez les patients présentant une artériopathie des membres inférieurs, ce qui incite à modifier les recommandations actuelles et réaliser une évaluation plus pertinente sur le plan pharmacoéconomique.
Ce résultat chez les patients artériopathes pourrait s’expliquer par le fait que le turn-over plaquettaire est accéléré en cas d’atteinte diffuse de l’arbre artérielle, rendant partiellement inefficace l’action de l’aspirine en monoprise quotidienne, et expliquant le bénéfice supérieur des thiénopyridines. D’autres circonstances concourent à une accélération du turn over plaquettaire : les phénomènes inflammatoires à la phase aigue d’un événement athérothrombotique, la présence d’un diabète, d’une insuffisance rénale, l’atteinte artérielle diffuse (illustrée par l’atteinte polyartérielle).
PRISE EN CHARGE DES PATIENTS POLYARTERIELS
Les données récentes nous ont montré que l’atteinte polyartérielle est fréquente, puisqu’elle concerne environ ¼ des patients coronariens, 1/3 des patients cérébrovasculaires, et plus de la moitié des patients artéritiques, et que cette atteinte conditionne grandement le pronostic cardiovasculaire. Des données complémentaires issues des études randomisées et des registres internationaux montrent que ce risque est également majoré par la présence d’un diabète de type 2, et d’une insuffisance rénale, même modérée, indépendamment de l’atteinte polyartérielle.
- Le choix de la monothérapie anti-agrégante au long cours devra donc reposer sur l’ensemble des données épidémiologiques et des études randomisées pour optimiser le rapport coût-bénéfices.
- Historiquement, l’aspirine a été le premier antiagrégant à se montrer bénéfique versus placebo, avec notamment la publication d’une métaanalyse portant sur 142 essais comprenant plus de 73 000 patients, et qui observait une réduction du risque relatif de 27 % du critère combiné associant décès vasculaires, AVC ischémique et IDM. Trois études randomisées comparant la première thiénopyridine (ticlopidine) disponible à l’aspirine montrait une tendance favorable des thiénopyridines, avec une réduction additionnelle du risque d’événements athérothrombotiques de 10 % par rapport à l’aspirine.
- Ces bénéfices additionnels de l’emploi d’une thiénopyridine en monothérapie versus l’aspirine ont été confirmés par l’essai randomisé international CAPRIE. Cette étude en double aveugle avait randomisé 19 185 patients, répartis harmonieusement en trois sous-groupes de patients présentant une MAE qui s’était manifestée par un AVC ischémique récent, un IDM récent ou une AOMI symptomatique, pour comparer l’efficacité du clopidogrel à75 mg par jour versus l’aspirine à la posologie quotidienne de 325 mg sur la réduction des événements ischémiques majeurs (AVC ischémique, IDM, décès d’origine vasculaire). La durée moyenne de suivi a été de 1,9 an, avec une durée de traitement de 1,63 an. Les résultats montrent la supériorité du clopidogrel sur l’aspirine pour sur le critère principal d’efficacité (AVC ischémiques, infarctus du myocarde, décès d’origine vasculaire).
Le bénéfice était également particulièrement marqué chez le sous-groupe de patients polyartériels, définis par une AOMI ou un AVC, associé à un antécédent documenté d’infarctus du myocarde, où la réduction du critère principal était de 22,7 % en faveur du clopidogrel. Les autres sous-groupes qui ont particulièrement bénéficié de l’usage du clopidogrel en monothérapie sont les patients diabétiques – et ce d’autant que leur diabète est sévère -, et les patients insuffisants rénaux.
PERSPECTIVES
Concernant les patients en prévention secondaire, il semble indispensable d’affiner les stratégies thérapeutiques sur la base des données récentes, en étant attentif aux profils des patients (atteinte polyartérielle, présence d’un diabète ou d’une insuffisance rénale).
Les études de résistance aux antiagrégants plaquettaires doivent nous permettre de définir quel sera le test de référence en pratique clinique pour parler de résistance, de confirmer ou infirmer les données récentes sur la pharmacogénomique, et de définir une stratégie optimale, permettant de réduire les événements CV ischémiques sans majorer les hémorragies graves.
On se dirige donc vers « un menu à la carte » qui devrait permettre d’améliorer le pronostic des patients athérothrombotiques.
Pour la prévention primaire, des études chez les patients à risque CV élevé utilisant des thiénopyridines sont nécessaires compte tenu des résultats contrastés voire décevants obtenus avec l’aspirine.
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