Cardiovasculaire

LES ANTICOAGULANTS ORAUX DIRECTS

Publié le 24/01/2022
Article réservé aux abonnés

Les anticoagulants oraux directs, apparus il y a une dizaine d’années, sont aujourd’hui largement prescrits. Des précautions d’emploi sont indispensables à connaître en raison des risques d’hémorragies, parfois très graves. Un suivi du patient, surtout de sa fonction rénale, est aussi nécessaire.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

INTRODUCTION

Depuis un peu plus d’une décennie, les anticoagulants oraux directs (AOD) sont utilisés en alternative aux anti-vitamines K (AVK) dans différentes pathologies thrombotiques. Les AOD sont maintenant plus prescrits en première intention que les AVK du fait de leur facilité de prescription et de suivi. Malgré ces avancées, cela reste un traitement anticoagulant qui comporte des risques d’hémorragies, parfois très graves, ce qui nécessite des précautions d’emploi et un suivi régulier du patient. On utilise actuellement en France trois AOD : un antithrombine – le dabigatran (Pradaxa) –, deux anti-Xa – l’apixaban (Eliquis) et le rivaroxaban (Xarelto). Ces traitements sont utilisés par voie orale, en une prise par jour pour le rivaroxaban et deux prises pour le dabigatran et l’apixaban. La demi-vie de ces produits est comprise entre 8 et 12 heures (plus courte que les AVK), ce qui facilite leur utilisation en pratique courante. Enfin, un avantage majeur de ces produits est l’absence de nécessité de suivi par des tests d’hémostase dans le cadre du traitement courant.

Les études de phase III qui ont validé l’utilisation de ces produits ont montré une efficacité identique voire supérieure aux AVK dans la prévention thrombo-embolique (1-3) ou le traitement curatif de la maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV) (4-7) avec une réduction des hémorragies graves, notamment cérébrales (réduction d’environ 50 % du risque d’hémorragie intracrânienne par rapport aux AVK) (8).

INDICATIONS

Ces traitements peuvent être utilisés en prévention thrombo-embolique :

• artérielle au cours de la fibrillation atriale (FA), ce qui représente la majeure partie des prescriptions actuelles,
• veineuse dans le post-opératoire de chirurgie à haut risque de thrombose veineuse (notamment orthopédique) ou de manière curative pour traiter la MTEV : phlébite des membres inférieurs et/ou embolie pulmonaire.
Les schémas thérapeutiques dans ces différentes indications doivent être connus ainsi que les adaptations des doses recommandées en fonction des résumés des caractéristiques du produit (RCP).

Pour la FA, l’indication d’un traitement anticoagulant au long cours est guidée par le calcul du score CHA2DS2VASc, qui représente le risque thrombo-embolique du patient (cf. tableau 1). Si ce score est de 0, il n’y a pas d’indication à un traitement anticoagulant au long cours. S’il est à 1 pour un homme ou à 2 pour une femme, le traitement anticoagulant est plutôt recommandé. Enfin, si ce score est au-dessus de 2 pour un homme et de 3 pour une femme, un AOD est formellement indiqué au long cours (9).

Ce type de traitement au long cours expose le patient à un surrisque hémorragique qui, lui, peut être quantifié en calculant le score de HAS-BLED (cf. tableau 2). On estime qu’un score de HAS-BLED ≥ 3 augmente significativement le risque hémorragique du patient. Cependant, ce score ne permet pas de contre-indiquer un traitement anticoagulant au long cours, mais il est recommandé de traiter les facteurs de risque hémorragique modifiables (comme une HTA non contrôlée par exemple) et de suivre de manière rapprochée le patient pour détecter une éventuelle hémorragie. La seule indication restant aux AVK dans un contexte de FA est un patient porteur d’une prothèse cardiaque mécanique ou d’une sténose mitrale rhumatismale (9).

Par ailleurs, chez un patient déjà traité par AVK avec des INR stables, il est conseillé de poursuivre le traitement par AVK.

Pour la prévention des thromboses veineuses, le traitement par AOD est indiqué pour entourer le geste chirurgical environ 1 mois après la chirurgie, notamment orthopédique, pour diminuer le risque de phlébite post-opératoire.

Dans le cadre du traitement curatif de la MTEV (excepté pour les embolies pulmonaires mal tolérées sur le plan hémodynamique ou chez un patient souffrant de syndrome des antiphospholipides), les schémas thérapeutiques de l’apixaban et du rivaroxaban sont décrits dans le tableau 3 (on commence directement le traitement par un de ces deux AOD). À noter que le dabigatran peut être aussi utilisé mais seulement après 5 jours de traitement anticoagulant parentéral (donc moins utilisé en pratique courante).



EFFETS SECONDAIRES

L’hémorragie mineure et surtout majeure est le risque le plus important avec ce type de traitement. Des effets secondaires plus rares ont été décrits : allergie, hépatite ou alopécie.

CONTRE-INDICATIONS

Ces traitements sont contre-indiqués chez des patients présentant une hémorragie non maîtrisée, une allergie déjà connue à ce type de produit ou une insuffisance hépatique sévère. Des interactions médicamenteuses significatives ont été décrites avec les inhibiteurs de la glycoprotéine-P (Pgp) : antiprotéases, antifungiques ; ou avec des inducteurs de la Pgp : rifampicine, carbamazepine ou phénytoïne. Une interaction médicamenteuse spécifique mérite d’être signalée : il s’agit de celle entre le vérapamil et le dabigatran ; cette association médicamenteuse doit conduire à une réduction de dose du dabigatran à 110 mg x 2/j quelle que soit la fonction rénale.

POSOLOGIE

Les doses concernant le traitement curatif de la MTEV sont notifiées dans le tableau 3 et, pour le traitement anti-thrombotique au cours de la FA, dans le tableau 4. Il est important de bien connaître les modifications de dosage, notamment en rapport avec une anomalie de la fonction rénale. Cette dernière doit donc être surveillée régulièrement chez les patients sous AOD : 1 à 2 fois par an en général ou plus fréquemment si le patient est insuffisant rénal connu. La règle est de calculer la clairance de créatinine selon la formule de Cockcroft et Gault puis de la diviser par 10 pour obtenir l’espacement en mois entre deux dosages de fonction rénale (Exemple : un patient a une clairance de la créatinine à 60 ml/min. Si on divise par 10, cela fait 6, donc une surveillance tous les 6 mois). Cette surveillance de la fonction rénale doit être également accentuée en cas de situation médicale aiguë (infection, diarrhée, hospitalisation…).



CAS PARTICULIERS

La gestion d’un saignement sous AOD

La gestion d’un saignement de patient sous anti­coagulant est une situation délicate, compte tenu du risque thrombo-embolique potentiel lié à l’arrêt de ce traitement versus le risque d’hémorragie grave. La conduite à tenir va dépendre de la gravité de l’hémorragie.

• Pour les hémorragies mineures, il est possible soit de garder le traitement anticoagulant et de proposer un traitement hémostatique local (compression, électrocoagulation), soit d’interrompre 24-48 heures le traitement par AOD en plus du traitement local.
• Pour les hémorragies sévères, il est recommandé d’arrêter le traitement anticoagulant jusqu’à la stabilisation de l’état clinique du patient et de proposer un traitement spécifique de la cause de l’hémorragie. Une hospitalisation est généralement nécessaire.
• Pour les hémorragies très sévères, il est possible d’avoir recours en plus à l’injection de facteurs hémostatiques procoagulants (Prothrombine Proconvertine Stuart B (PPSB), Concentré de complexe prothrombinique (CCP), Feiba) pour l’apixaban ou le rivaroxaban, ou à l’idarucizumab (Praxbind) qui est l’antidote spécifique disponible du dabigatran.

Dans les cas d’hémorragie sévère, un dosage sanguin spécifique de l’AOD doit être effectué pour évaluer le niveau d’anticoagulation du patient. Ce dosage est aussi recommandé en cas de thrombose sous AOD (AVC sous AOD par exemple) ou en cas d’intervention chirurgicale urgente.

La gestion pré-opératoire d’un patient sous AOD

Concernant les chirurgies programmées (10), on distingue le risque hémorragique en fonction du niveau de risque hémorragique opératoire (faible, modéré ou élevé) (cf. tableau 5A). La stratégie à adopter par rapport aux AOD est indiquée dans le tableau 5B. Il faut aussi noter que les stratégies de relais avec de l’héparine ne sont quasiment plus utilisées en pratique courante du fait de l’augmentation importante du risque hémorragique, sans réel bénéfice sur le risque thrombotique.

Les patients sous AOD avec association à une anti-agrégation plaquettaire

Une situation fréquemment rencontrée en pratique clinique courante est la nécessité de co-prescription d’une anticoagulation et d’une anti-agrégation plaquettaire, notamment chez des patients porteurs d’une athérosclérose, souvent à type de coronaropathie. Dans ce cas, la tendance actuelle est de diminuer les temps d’association des traitements anti-thrombotiques du fait d’une augmentation du risque hémorragique par rapport à un gain anti-thrombotique très faible, voire nul.

Ainsi, la stratégie va dépendre de la date de la pose d’un stent dans une artère, notamment coronaire. En cas d’implantation d’un stent récent, une association AOD avec aspirine et clopidogrel est recommandée le temps de l’hospitalisation du patient. Par la suite, l’association AOD-clopidogrel doit être maintenue entre 6 et 12 mois après l’intervention, et ceci en fonction du risque thrombotique du patient. En général, après un an, si le patient est stable sur le plan de la maladie athérosclérotique, il est recommandé d’arrêter le traitement antiagrégant et de laisser le traitement par AOD seul. À noter qu’il n’est pas recommandé de prescrire le prasugrel ou le ticagrelor en trithérapie (AOD + aspirine + prasugrel ou AOD + aspirine + ticagrelor).

Pour la bithérapie, on préférera le clopidogrel (AOD + clopidogrel). Le ticagrelor et le prasugrel ne sont pas formellement contre-indiqués en bithérapie, même si le risque hémorragique avec ces deux produits semble un peu plus élevé.

CONCLUSION

Les AOD sont de plus en plus prescrits et remplacent progressivement les AVK dans la plupart des indications anti-thrombotiques, tant sur le plan artériel que veineux. Même si une surveillance par des tests d’hémostase n’est plus recommandée dans le suivi courant de ces patients, un suivi clinique rapproché doit être effectué pour dépister une hémorragie extériorisée ou occulte, qui est l’effet secondaire le plus redouté de ces traitements. Une surveillance de la fonction rénale doit être effectuée régulièrement et une adaptation de posologie doit être faite si besoin en fonction des RCP de chaque produit. La gestion d’une hémorragie sous AOD est bien codifiée en fonction du niveau de gravité de l’hémorragie.

Pr Nicolas Lellouche, Dr Ségolène Rouffiac (unité de rythmologie, service de cardiologie, CHU Henri-Mondor de Créteil, AP-HP)

BIBLIOGRAPHIE
1. Granger CB, Alexander JH, McMurray JJ, Lopes RD, Hylek EM, Hanna M, et al. Apixaban versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365:981-92.
2. Connolly SJ, Ezekowitz MD, Yusuf S, Eikelboom J, Oldgren J, Parekh A, et al. Dabigatran versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2009;361:1139-51.
3. Patel MR, Mahaffey KW, Garg J, Pan G, Singer DE, Hacke W, et al. Rivaroxaban versus warfarin in nonvalvular atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365:883-91.
4. Schulman S, Kearon C, Kakkar AK, Mismetti P, Schellong S, Eriksson H, et al. Dabigatran versus warfarin in the treatment of acute venous thromboembolism. N Engl J Med 2009;361:2342–52.
5. Bauersachs R, Berkowitz SD, Brenner B, Buller HR, Decousus H et al. Oral rivaroxaban for symptomatic venous thromboembolism. N Engl J Med 2010;363:2499–510.
6. Büller HR, Prins MH, Lensin AWA, Decousus H, Jacobson BF, et al. Oral rivaroxaban for the treatment of symptomatic pulmonary embolism. N Engl J Med 2012;366:1287–97.
7. Agnelli G, Buller HR, Cohen A, Curto M, Gallus AS, Johnson M, et al. Oral apixaban for the treatment of acute venous thromboembolism. N Engl J Med 2013;369:799–808.
8. Ruff CT, Giugliano RP, Braunwald E, Hoffman EB, Deenadayalu N, Ezekowitz MD, et al. Comparison of the efficacy and safety of new oral anticoagulants with warfarin in patients with atrial fibrillation: a meta-analysis of randomised trials. Lancet 2014;383:955-62.
9. Hindricks G, Potpara T, Dagres N, Arbelo E, Bax JJ, Blomström-Lundqvist C et al. ESC Scientific Document Group. 2020 ESC Guidelines for the diagnosis and management of atrial fibrillation developed in collaboration with the European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS): The Task Force for the diagnosis and management of atrial fibrillation of the European Society of Cardiology (ESC) Developed with the special contribution of the European Heart Rhythm Association (EHRA) of the ESC.


Source : Le Généraliste