Parmi les complications microvasculaires du diabète, la néphropathie diabétique (ND) n'atteint pas tous les diabétiques, se différenciant en cela de la rétinopathie non proliférante qui concerne 100 % des diabétiques en cas de contrôle glycémique notoirement insuffisant (1).
Selon des données publiées en 1987 et s'appliquant à des cohortes de patients dont le diabète de type 1 avait débuté entre 1939 et 1959 (donc en l'absence des possibilités thérapeutiques actuelles), la ND touche en moyenne un peu moins de 50 % des sujets de la cohorte la plus ancienne (1939), les chiffres décroissant pour les cohortes suivantes (1949 et 1959). La ND apparaît surtout dans les 25 premières années d'évolution du diabète (2), et la néphropathie débutante touche environ 30 % des diabétiques en France (3).
Actuellement, on ne dispose de données précises qu'au stade d'insuffisance rénale terminale : d'après le registre REIN, les diabétiques représentent 35 % des nouveaux cas d'insuffisance rénale chronique terminale, dont 84 % sont des diabétiques de type 2 (données 2006) (4). Le diabète est la 1ère cause de mise en dialyse en France.
HISTOIRE NATURELLE DE LA NEPHROPATHIE DIABETIQUE
Les propriétés de l'angiotensine II
Le système rénine angiotensine (SRA) joue un rôle essentiel dans l'installation de la néphropathie diabétique. Sous l'effet de plusieurs facteurs, notamment de l'hyperglycémie chronique, l'angiotensine II induit une vasoconstriction de l'artériole efférente glomérulaire, augmentant ainsi la pression hydrostatique intraglomérulaire, en même temps qu'elle altère la perméabilité capillaire (glomérulaire). Ceci explique l'élévation de l'albuminurie.
Aux stades tardifs, l'angiotensine II favorise le dépôt de collagène et la formation d'une fibrose. D'où l'importance des médicaments agissant sur le SRA : inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC) ou sartans. Chez le diabétique de type 2, volontiers obèse hypertendu et dyslipidémique, les lésions de micro-angiopathie coexistent fréquemment avec une glomérulopathie vasculaire non diabétique - hypertensive par exemple (l'HTA aggrave la ND) - et avec une macro-angiopathie d'origine athéroscléreuse.
La néphropathie diabétique en cinq stades
L'histoire naturelle de l'atteinte rénale au cours du diabète comprend cinq étapes (2), globalement communes aux diabètes de type 1 et 2 (voir aussi figure 1).
Rappelons que tout le monde ne semble pas prédisposé à développer une néphropathie diabétique.
• Les anomalies fonctionnelles, infracliniques, sont les premières à apparaître et peuvent durer plusieurs années.
Elles se manifestent par une hyperfiltration glomérulaire (augmentation du débit de filtration glomérulaire [DFG]).
• Le stade 2 correspond à la présence de lésions rénales histologiques débutantes infracliniques.
• Le stade 3, premier à être détectable en clinique, est celui de la néphropathie incipiens : la filtration glomérulaire est encore élevée, mais surtout on note l'apparition d'une microalbuminurie permanente et d'une élévation modérée de la pression artérielle de 3 à 4 mmHg par an.
• Au stade 4 de néphropathie patente, on retrouve une protéinurie croissante et une HTA ; le DFG commence à diminuer, et au plan histologique, il existe des dépôts mésangiaux et une hyalinose artériolaire.
• Le stade 5 est celui de l'insuffisance rénale chronique terminale.
Ce processus peut être ralenti voire stoppé sous réserve d'une prise en charge précoce.
Qui est à risque de ND ?
Le fait que la ND n'atteint pas tous les diabétiques amène à penser qu'il existe des facteurs de susceptibilité ou de protection. "Des gènes ayant un lien avec le système rénine angiotensine interviennent certainement, précise le Dr Simon. Mais les principaux facteurs de risque de néphropathie diabétique sont, à l'instar de la rétinopathie, l'intensité et la durée d'exposition à l'hyperglycémie et à l'HTA". L'hyperlipidémie et le tabagisme sont également incriminés.
DEPISTAGE ET DIAGNOSTIC DE LA ND
- Les seuils définissant la micro-albuminurie et la protéinurie sont indiqués dans le tableau 1.
L'excrétion urinaire de l'albumine variant physiologiquement de façon importante, un résultat anormal doit être confirmé sur au moins un des deux dosages supplémentaires qu'il convient de réaliser : il faut donc au moins deux résultats anormaux sur 3 dosages effectués durant une période de 3 à 6 mois.
Par ailleurs, une infection urinaire (faire un ECBU si besoin), une hématurie, une fièvre, une activité physique intense, une crise hypertensive ou hyperglycémique peuvent gêner l'interprétation du résultat en augmentant l'excrétion urinaire d'albumine (5).
Les bandelettes donnent un résultat semi quantitatif qui demande à être confirmé par un dosage. Les recommandations françaises préconisent un dosage annuel de la microalbuminurie (6). Or, selon les données de l'étude Entred, seulement 24 % des personnes interrogées ont bénéficié d'un tel dosage en 2001 (7). "Ces résultats sont très insuffisants. La découverte d'une microalbuminurie chez un patient diabétique doit en effet conduire à augmenter la pression thérapeutique afin d'améliorer l'équilibre glycémique et tensionnel. Des progrès certains ont cependant été notés avec Entred 2007, avec 28% de remboursements d’albuminurie ou de protéinurie sur 1 an et 44% sur 2 ans".
- Le dosage de la créatininémie et le calcul du DFG par la formule de Cockroft, témoins de la fonction rénale, doivent aussi être effectués chaque année (6). Chez le sujet âgé, la formule de Cockroft sous estime le DFG, et beaucoup préconisent de recourir à la formule MDRD (Modification of Diet in Renal Diseases), en utilisant pour cela des calculatrices spécifiques ou des sites Internet (ex : site nephrohus). La décroissance du DFG au stade de néphropathie patente varie d'un malade à l'autre, mais reste constante chez un sujet donné (en l'absence de traitement) (2).
- Rappelons que la présence d'une microalbuminurie ou d'une protéinurie n'est pas spécifique de la ND, notamment chez le diabétique hypertendu.L'AFSSAPS et la HAS préconisent "une évaluation néphrologique des patients avec protéinurie, du fait de la fréquence élevée de néphropathie glomérulaire non diabétique dans cette population, et également pour identifier les patients avec artériopathie rénale (prédominante) où les IEC et les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II [ARA II] sont contre-indiqués" (3). "En pratique cependant, et compte tenu du nombre limité de néphrologues, l'évaluation néphrologique n'est pas systématique. En revanche, lorsque le DFG diminue ou si la kaliémie s'élève de façon anormale chez un patient sous IEC ou sartan, l'échodoppler s'impose, à la recherche d'une sténose de l'artère rénale", souligne le Dr Simon.
PREVENTION ET TRAITEMENT DE LA ND
Risque cardiovasculaire accru : viser le strict contrôle glycémique et tensionnel
- L'existence d'une ND élève considérablement le risque cardiovasculaire ; par exemple, la présence d'une microalbuminurie chez un diabétique de type 2 multiplie par 3 le risque de mortalité coronarienne dans les 10 ans (2). La prise en charge passe donc à tous les stades par le strict contrôle glycémique et tensionnel (grade A).
L’abaissement de la protéinurie, quelle que soit son abondance, est également un objectif thérapeutique (3).
Idéalement, l'objectif thérapeutique pour l'hémoglobine glyquée (HbA1c) est inférieur à 6,5 % sans hypoglycémie chez un sujet ayant une longue espérance de vie. "Cependant, les données d’ACCORD et du VADT (Veterans Affairs Diabetes Trial) incitent à ne pas être trop exigeant et à situer plutôt l’objectif d’HbA1c à 7% chez les diabétiques de type 2".
Le bon contrôle glycémique précoce est néanmoins fondamental, comme en témoigne le suivi de l'étude UKPDS (8), où dix ans après la fin de l'essai, le moindre risque de complications microangiopathiques persiste dans le groupe ayant été traité de façon intensive, bien que les courbes d'HbA1c des deux groupes se soient rejointes. Attention à prendre en compte l'état de la fonction rénale lors de la prescription des antidiabétiques oraux (encadré 1).
L'objectif tensionnel chez le diabétique est inférieur à 130/80 mmHg, voire même inférieur ou égal à 125/75 mmHg au stade de néphropathie patente.
IEC et sartans en vedette
- Le niveau de preuve concernant l'efficacité des médicaments inhibant le SRA est un peu différent selon qu'il s'agit des IEC ou des sartans (3). Les premiers ont été très étudiés dans le diabète de type 1 mais les données sont plus rares dans le diabète de type 2 : ainsi, les IEC agissent favorablement sur l'évolution de la microalbuminurie vers la protéinurie et sur l'altération de la fonction rénale, mais on manque de données sur leur capacité à freiner l'évolution vers l’insuffisance rénale terminale en cas de néphropathie du diabète de type 2 avec protéinurie.
Parmi les ARA II, l'irbésartan a fait la preuve de son efficacité pour freiner l'évolution vers la néphropathie patente chez les diabétiques de type 2 microalbuminuriques, cet effet de protection néphronique étant indépendant de l'effet antihypertenseur de la molécule (étude IRMA 2, N Engl J Med 2001). L'irbésartan ralentit également l'évolution vers l'insuffisance rénale terminale et la mortalité toutes causes en cas de néphropathie diabétique évoluée (étude IDNT, N Engl J Med 2001). Le losartan s'est lui aussi montré efficace sur ce dernier critère (essai RENAAL, N Engl J Med 2001).
En conséquence (3) :
• Chez l'hypertendu diabétique sans néphropathie diabétique, les cinq classes d'antihypertenseurs - diurétiques thiazidiques, inhibiteurs calciques, bêta-bloquants, IEC, ARA II – sont utilisables en première intention, mais il est souvent nécessaire assez rapidement de recourir à une association médicamenteuse ; dans ce cas, un diurétique thiazidique doit être inclus dans l'association.
• Au stade de microalbuminurie, un médicament bloquant le SRA (IEC ou sartan) doit être utilisé, associé ou non à d'autres antihypertenseurs, dont un diurétique thiazidique.
• Au stade de la protéinurie, il est recommandé de recourir à une polythérapie incluant un ARA II ayant l'AMM dans cette indication (en pratique : irbésartan ou losartan [source : Vidal 2009]) et un diurétique. A noter que le captopril a l'AMM dans la néphropathie diabétique macroprotéinurique du diabète insulinodépendant.
La créatininémie et la kaliémie doivent être régulièrement surveillées.
Statines et antiagrégants plaquettaires
Chez les diabétiques de type 2 en prévention cardiovasculaire secondaire (antécédents d’infarctus du myocarde ou d’accident vasculaire cérébral ou d’artérite des membres inférieurs) ou à haut risque cardiovasculaire, l'objectif de LDL-cholestérol est inférieur ou égal à 1 g/l (3).
Si le diabète évolue depuis moins de 10 ans et si la microalbuminurie est associée à un autre facteur de risque additionnel (âge, antécédents familiaux de maladie coronaire ou d'AVC précoces, tabagisme, HTA, HDL-cholestérol < 0,40 g/l), l'objectif est d'obtenir un LDL-cholestérol inférieur à 1,3 g/l.
S'il n'y a qu'un facteur de risque additionnel en dehors du diabète, l'objectif est inférieur à 1,6 g/l.
Pour atteindre ces objectifs, il est recommandé de prescrire une statine
Par ailleurs, l’administration de faibles doses d’aspirine (75 mg à 300 mg) est recommandée chez le diabétique à haut risque cardiovasculaire en association au traitement hypolipémiant (3) OK pour prévention cardiovasculaire secondaire mais niveau de preuve quasi nul et très discuté en prévention primaire !. Linda, pour ce point-là, il y a discordance entre les recos (qui parlent bien de prévention primaire, p 111 de l'argumentaire) et Simon. Comme je ne peux pas trancher, je propose que nous restions imprécis en ne parlant pas du niveau de prévention…
Autres mesures
- L'arrêt du tabac, néphrotoxique puissant, est important (3).
- Attention également aux infections urinaires et aux médicaments néphrotoxiques (AINS, aminosides, produit de contraste iodé…).
Cas clinique
Le prurigo nodulaire
Étude et pratique
HTA : quelle PA cible chez les patients à haut risque cardiovasculaire ?
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC