Nutrition

LES CONSEILS DIÉTÉTIQUES LIÉS À CERTAINS EFFETS INDÉSIRABLES DE LA CHIMIOTHÉRAPIE

Publié le 12/09/2022
Article réservé aux abonnés

Parmi les effets indésirables de la chimiothérapie, il peut survenir des troubles olfactifs et gustatifs ainsi que digestifs exposant à une perte d’appétit, facteur de risque de dénutrition. Le conseil diététique vise à proposer une alimen­tation adaptée et à garantir la réponse aux besoins nutritionnels et une qualité de vie satisfaisante.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

INTRODUCTION

Le traitement du cancer par chimiothérapie (perfusion ou voie orale) engendre fréquemment des effets indésirables, comme des troubles olfactifs et gustatifs, ainsi que des troubles digestifs (1). Ces effets peuvent être à l’origine de ruptures du traitement.

La perte d’appétit associée peut induire des carences nutritionnelles, à repérer pour prévenir ou limiter le risque de dénutrition (2).

Le patient doit pouvoir bénéficier d’un conseil diététique à tout moment de la maladie cancéreuse, particulièrement lors de ces effets secondaires (3). La prise en charge diététique et nutritionnelle fait partie du socle de base des soins de support. Elle s’intègre dans le parcours de soins ; elle n’est ni secondaire, ni optionnelle.

PRINCIPAUX IMPACTS DIGESTIFS DE LA CHIMIOTHÉRAPIE

Altération du goût

Elle est différente d’une personne à l’autre, et peut même varier avec le temps pour une même personne. La perte de goût due à une chimio­thérapie disparaît généralement après quelques jours à quelques semaines (parfois entre les séances et/ou à la fin d’un cycle).

Les aliments peuvent avoir un goût fade ou, au contraire, trop prononcé. Des aliments appréciés ne le sont plus et inversement. Un mauvais goût permanent peut persister en bouche. Les aliments n’ont pas le goût qu’ils devraient avoir (exemple : goût métallique, acide, amer, sucré, etc.) (4).

Mycose buccale, mucite ou aphtes

Inflammation voire ulcération de la bouche. Cet effet secondaire est généralement très douloureux et handicapant pour la prise alimentaire. Le risque de sa survenue dépend de la chimiothérapie proposée, des doses administrées mais aussi de la durée du traitement.

Troubles digestifs

La chimiothérapie peut perturber le transit intestinal et provoquer nausées, vomissements, diarrhées ou constipation. Ils impactent considérablement la qualité de vie du patient avec des conséquences plus ou moins importantes sur son état de santé général, avec un risque de dénutrition.

CONSEILS DIÉTÉTIQUES

Privilégier certains aliments en cas d’altération du goût

Si les plats semblent trop fades, privilégier les assaisonnements : herbes fraîches (persil, ciboulette, coriandre, estragon, basilic, etc.), poivre, épices, sel, moutarde, coulis de tomate. Prioriser également les aliments ayant une saveur plus prononcée : fromages fermentés, charcuteries.

S’il existe un dégoût pour la viande, préférer la viande blanche (dinde, poulet, jambon blanc) les œufs, le poisson ou équivalent (surimi, poisson fumé, crevette), puis compenser par la consommation de fromages, laitages et desserts lactés sucrés (riz ou semoule au lait, flan) et préparations lactées (crêpes, quiche).

Si les aliments semblent trop salés ou trop sucrés, cuisiner sans sel ou sans sucre. Éviter les aliments très salés (charcuteries, fromages, gâteaux apéritifs, etc.). Choisir des desserts sans sucre ou peu sucrés : laitages nature, compotes sans sucre.

Si les aliments ont un goût métallique (fréquent pour la viande et les légumes), remplacer la viande rouge par de la volaille, du poisson, des œufs, des laitages. Privilégier les féculents (pâtes, riz, pomme de terre, etc.) aux légumes verts ou consommer les légumes verts avec une sauce béchamel.

En cas de sécheresse buccale, boire régulièrement, s’humidifier fréquemment les lèvres avec un brumisateur ou mâcher du chewing-gum. Privilégier les boissons qui laissent une saveur agréable dans la bouche : eau aromatisée, thé, jus de fruits, limonades, boissons gazeuses citronnées.

Adapter l’alimentation en cas de mycose buccale, mucite ou aphtes

Consommer les aliments à température ambiante, éviter les aliments trop chauds ou trop froids.

Privilégier les aliments onctueux (plat en sauce, ajout de beurre et de crème, lait, yaourt, fromage blanc, petits suisses) pour faciliter la déglutition.

Éviter les aliments irritants (épices, citron, moutarde, vinaigre, agrumes et leur jus) ou qui peuvent irriter (croûte de pain, fruit dur, etc.).

Fractionner les repas avec des collations.

En cas de difficultés majeures, privilégier les petits morceaux tendres. Ils ne nécessitent pas d’être croqués. L’aliment peut être mangé à la fourchette ou à la cuillère, écrasables sans couteau. Il doit être tendre et lubrifié dans sa totalité, mais sans liquide séparé. Si trop douloureux, privilégier les plats hachés ou mixés (hachis parmentier, brandade de morue, lasagnes, semoule au lait).

Boire avec une paille.

Choisir les aliments en cas de troubles digestifs

En cas de nausées, préférer les aliments froids ou frais (viandes froides, laitages, fruits, compotes, salades de fruits, fromages, glaces). Éviter les aliments qui ont une odeur forte (poisson, choux, friture, fromage). Boire régulièrement de petites quantités, en dehors des repas. Éviter les aliments et les préparations grasses (fritures, sauces, charcuteries). Favoriser les aliments lisses et épais (purées, potages épais). Préférer des boissons gazéifiées (eaux pétillantes, sodas). Fractionner les repas : consommer des repas légers, plus souvent et prendre le temps de bien mastiquer.

En cas de diarrhées, boire régulièrement (bouillon de légumes, tisanes, eau). Préférer le riz, les pâtes, la compote de coing ou pomme-coing, la banane. Limiter les fruits et légumes. Éviter les aliments irritants : épices fortes (poivre, piment), condiments (ail, échalote, oignons, moutarde, cornichon). Introduire progressivement les autres aliments, de façon isolée pour identifier une intolérance spécifique.

En cas de constipation, boire régulièrement de l’eau (au moins 1,5 litre), si possible une eau riche en magnésium (Hépar®), de la tisane, du potage, du jus de fruits. Prendre à jeun un verre de jus de fruits (pruneaux, pomme, raisin). Consommer des fruits, des légumes, des pains complets et céréales complètes. Consommer un laitage à chaque repas (yaourt, fromage blanc, petits suisses). Il existe par ailleurs une fibre unique qui est un mélange de galactomannanes (fibres de guar partiellement hydrolysées), bien tolérée même à long terme, sous forme de poudre à dissoudre dans des boissons ou des aliments.

DÉNUTRITION

La dénutrition est un état pathologique se caractérisant par un déséquilibre de la balance énergétique, à savoir une insuffisance des apports par rapport aux besoins nutritionnels.

Au cours du vieillissement, la dénutrition aggrave le processus de sarcopénie, associée à une altération des grandes fonctions vitales, fragilité, augmentation du risque infectieux, retard de cicatrisation, perte de qualité de vie, entrée dans la dépendance et augmentation du risque de mortalité à court terme.

Le cancer est un critère étiologique de dénutrition. Ce critère étiologique doit être associé à un critère phénotypique pour diagnostiquer la dénutrition (6, 7).

Chez l’adulte de moins de 70 ans :
– perte de poids ≥ 5 % en 1 mois ou ≥ 10 % en 6 mois ou ≥ 10 % par rapport au poids habituel avant le début de la maladie,
– ou IMC < 18,5 kg/m²,
– ou réduction quantifiée de la masse et/ou de la fonction musculaires.
Chez l’adulte de 70 ans ou plus :
– perte de poids ≥ 5 % en 1 mois, ou ≥ 10 % en 6 mois, ou ≥ 10 % par rapport au poids habituel avant le début de la maladie,
– ou IMC < 22 kg/m²,
– ou sarcopénie confirmée (réduction quantifiée de la masse et de la fonction musculaires) (lire dossier « La dénutrition de la personne âgée », Le Généraliste, FMC, n° 2984).
La dénutrition est sévère si :
– perte de poids ≥ 10 % en 1 mois, ou ≥ 15 % en 6 mois, ou ≥ 15 % par rapport au poids habituel avant le début de la maladie,
– IMC ≤ 17 kg/m² ou IMC < 20 kg/m² chez la personne âgée,
– albuminémie ≤ 30 g/L.

L’enrichissement de l’alimentation est dans ce cas indispensable à l’aide des aliments traditionnels si l’état du patient lui permet de cuisiner (ou aide d’un proche) ou à partir d’une complémentation nutritionnelle orale.

La surveillance pondérale est indispensable à chaque consultation.

Enrichir les repas et les préparations alimentaires

Potages : vermicelles, pâtes alphabet, crème fraîche entière, beurre, huile, lait concentré non sucré, poudre de lait entier, parmesan râpé, crème de gruyère, fromage fondu, jambon mixé, œufs, croûtons.

Plats protidiques : préparations des repas en sauce crème, en farces (chair à saucisse ou viande hachée + pain de mie trempé dans l’œuf + gruyère râpé + riz), en quiche, en soufflé (terrine de foie de volaille).

Légumes : farcis en sauce béchamel (gratins enrichis avec du lait en poudre, du gruyère, de la crème, du beurre, de l’huile, des œufs), ajout de dés de jambon, de volaille, lardons, flans de légumes, tartes, tourtes, salades composées (salade, tomates, œufs durs, dés de fromage, thon, crevettes, chair de crabe, morceau de poulet, dés de jambon, lardons, maïs, pâtes, riz, pomme de terre, lentilles, quinoa, croûtons), purées avec ajout de jaunes d’œuf, gruyère, lait en poudre, fromage fondu, jambon mixé, sauce béchamel, préparations type hachis parmentier.

Féculents : ajout de jaunes d’œufs, fromage râpé, beurre, huile, crème fraîche entière, miettes de poisson, lardons, jambon, viande hachée, sauce (bolognaise, carbonara, gratin dauphinois).

Idées de variantes (sucrées ou salées) du petit déjeuner traditionnel :
– pain perdu, pain d’épices beurré, crêpes, gaufres, pancakes,
– ajouter de la poudre de lait, du lait concentré ou du lait dans le thé ou le café,
– fromage, charcuterie (jambon, bacon), œuf.
Idées de collations sucrées ou salées :
– un fromage blanc ou une crème aux œufs + une barre de céréales,
- un milk-shake ou un verre de lait de poule,
– un yaourt + une tranche de pain d’épices (beurrée),
– un riz au lait + un verre de jus de fruits ou de sodas,
– un chocolat chaud + biscuits secs,
– un verre de lait + une tranche de brioche ou une tranche de pain (beurre, confiture, miel),
– une part de gâteau ou clafoutis,
– une tranche de pain avec du beurre, du jambon, de la charcuterie et/ou fromage.

Enrichir l’alimentation à l’aide de compléments nutritionnels oraux

Il est préconisé d’avoir recours de 1 à 3 compléments nutritionnels oraux (CNO) par jour en fonction des consommations alimentaires spontanées, si possible atteindre par exemple un apport supplémentaire de 400 kcal et/ou de 30 g de protéines chez la personne âgée.

Les CNO sont remboursés par l’Assurance maladie uniquement en cas de dénutrition avérée*.

La première prescription est effectuée pour un mois maximum.

La première délivrance est limitée à 10 jours de traitement. À l’issue de cette période, le pharmacien, après avoir évalué l’observance par le patient, adapte si nécessaire, dans les limites des apports prévus par la prescription, le complément prescrit pour la suite de la délivrance.

Les renouvellements de prescription sont effectués par le médecin pour 3 mois maximum après une réévaluation de l’état nutritionnel, de l’évolution de la pathologie ; du niveau des consommations alimentaires, ainsi que de la tolérance et de l’observance de la complémentation.

Le choix des produits de complémentation doit être réalisé avec le patient et la prescription, personnalisée. Ils se présentent sous différentes textures : crème, boisson lactée, boisson fruitée, laitage, potage, biscuit, compote, poudre à ajouter dans des préparations. Leurs parfums variés peuvent être traditionnels (vanille, café, chocolat, praliné) ou fruités (fraise, tropical, pêche, mangue) ou neutres.

Conseils d’utilisation

– Boisson lactée neutre : à la place du lait dans le café ou le thé ou dans une recette salée ou sucrée.
– Boisson lactée au café ou au chocolat : chaud ou froid, à ajouter dans un café ou dans un chocolat.
– Boisson lactée à la vanille ou à d’autres parfums : à ajouter dans une recette sucrée, milk-shake.
– Jus de fruits enrichi : à la place du jus de fruits ou mélanger avec de la limonade ou de l’eau gazeuse.
– Poudre de protéines : à ajouter dans un laitage, un potage, une compote.
– Crème enrichie : à la place du dessert, à glacer au congélateur ou au freezer.
La gamme Fortimel Protein Sensation® est spécialement conçue pour les altérations du goût. Contenant des dérivés du menthol, elle permet une sensation de fraîcheur, ou de la capsaïcine pour une sensation chaude. En cas d’hypersensibilité, choisir des goûts neutres.
La prescription de trois Oral Impact® (riche en arginine) par jour est préconisée durant 7 jours en cas de chirurgie carcinologique digestive en préopératoire (ainsi qu’en postopératoire en cas de dénutrition), si bien acceptée par le patient.

Précautions

Il n’y a pas de preuve d’un effet protecteur du jeûne et des régimes restrictifs. Ces pratiques présentent un risque d’aggravation de la dénutrition et de la sarcopénie (8) .
Les plantes médicinales peuvent être utilisées pour aromatiser les plats ou pour leurs vertus apaisantes, mais sans excès, car leur toxicité à dose importante altère l’efficacité de la chimiothérapie.

En cas de dénutrition sévère, avec une prise alimentaire insuffisante, le recours à une nutrition artificielle doit être discuté au cas par cas.

*Arrêté du 7 mai 2019 portant modification de la procédure d’inscription et des conditions de prise en charge des produits pour complémentation nutritionnelle orale destinés aux adultes inscrits sur la liste des produits et prestations remboursables prévue à l’article L. 165-1 du Code de la Sécurité sociale.

Nathalie Masseboeuf (diététicienne, cadre de santé, CHI Fréjus-Saint-Raphaël, 240, avenue Saint-Lambert, 83600 Fréjus, tél. : 04 94 55 87 44, email : nathalie.masseboeuf@chi-fsr.fr)

BIBLIOGRAPHIE
1. Bernhardson BM et al. Reframing eating during chemotherapy in cancer patients with chemosensory alterations, European Journal of Oncology Nursing 16 (2012) 483-490.
2. Dufour P et al. Nutrition et cancer. Chapitre 33, in Nutrition clinique pratique 3e édition, 2018 : 323-330.
3. Meuric J, Besnard I, le groupe de travail. Nutrition chez le patient adulte atteint de cancer : quand doit-on proposer un conseil diététique personnalisé ? Nutrition clinique et métabolisme 26 (2012) 197-218.
4. Buiret G, Riffard G. Causes et traitements de la dénutrition et des altérations sensorielles chez les patients atteints d’un cancer des voies aérodigestives supérieures. Cahiers de nutrition et de diététique 56 (2021) 249-259.
5. Farnier E. Intérêts et évaluation de la mise en place d’ateliers saveur au sein d’une unité d’oncologie ambulatoire. Nutrition clinique et métabolisme 27 (2013) S57–S175 / Cahiers de nutrition et de diététique 48 (2013) S57–S175.
6. HAS, FFN. Recommandations. Diagnostic de la dénutrition chez la personne de 70 ans et plus, 2021.
7. HAS, FFN. Recommandations. Diagnostic de la dénutrition de l’enfant et de l’adulte, 2019.
8. NACRE. Rapport. Jeûne, régimes restrictifs et cancer, 2017.


Source : lequotidiendumedecin.fr