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LES DOULEURS NEUROPATHIQUES

Publié le 26/02/2021
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Les douleurs neuropathiques, provoquées par une lésion ou une pathologie du système nerveux somato-sensoriel, ont longtemps été négligées. Pourtant, des thérapeutiques spécifiques et variées existent. Pour la première fois, elles ont été réunies dans des recommandations françaises édictées en 2020 par plusieurs sociétés savantes.

Crédit photo : GARO/PHANIE

INTRODUCTION

Les douleurs neuropathiques représentent environ un quart des douleurs chroniques (1). Contrairement aux douleurs inflammatoires ou nociceptives, dues à des lésions des tissus périphériques provoquant un excès d’influx douloureux transmis par un système nerveux intact, les douleurs neuropathiques relèvent d’altérations directement liées à une lésion nerveuse, celle-ci conduisant à une hyperexcitabilité (sensibilisation) des processus nociceptifs périphériques et centraux.
Parmi les douleurs neuropathiques périphériques ou centrales, on peut citer les douleurs post-zostériennes, les douleurs des polyneuropathies (diabétiques et non diabétiques), les douleurs des lésions nerveuses post-chirurgicales ou post-traumatiques, les douleurs des amputés (douleurs fantômes, douleurs de névrome), les douleurs radiculaires (hernie discale, discopathies), les douleurs liées à des lésions médullaires, les douleurs de la sclérose en plaques ou encore après un AVC. Les douleurs radiculaires d’origine lombaire et la chirurgie en sont les premières causes en population générale.
Le vieillissement de la population est la raison principale de l’augmentation de la prévalence des douleurs inflammatoires et neuropathiques dans la population, le pic de la prévalence des secondes se situant autour de 65-75 ans. Il s’agit le plus souvent de douleurs spontanées continues (brûlures, sensations de serrement...) ou paroxystiques (décharges électriques...), souvent associées à d’autres douleurs provoquées par des stimulations mécaniques (frottement, pression légère) ou thermiques (surtout froides) de faible intensité. L’impact sur la qualité de vie peut être considérable, et la prise en charge précoce est fondamentale, avant que la douleur ne se chronicise.

Du retard dans la prise en charge Même si des progrès ont été réalisés depuis quinze ans, avec l’usage de plus en plus répandu de questionnaires routiniers de dépistage de ce type de douleur (cf. tableau 1), le délai entre l’apparition de la douleur et l’établissement du diagnostic reste considérable, témoignant de l’importance de l’errance diagnostique actuelle. En France, dans une étude récente portant sur environ 400 patients, les personnes souffrant de douleurs neuropathiques attendent en moyenne quatre ans entre l’apparition de leurs douleurs et leur prise en charge au sein d’une structure de traitement de la douleur ; et deux ans une fois le diagnostic posé. Les délais sont moindres pour les femmes, qui ont davantage tendance à consulter que les hommes (2). Hors douleurs post-chirurgicales ou associées au cancer souvent, il est encore rare de penser aux douleurs neuropathiques. Dans cette même étude, du fait notamment de l’absence de diagnostic, 60 % des personnes souffrant de douleurs neuropathiques prenaient des antalgiques usuels (paracétamol, paracétamol codéine, anti-inflammatoires…), non recommandés et peu ou pas efficaces dans les douleurs neuropathiques.

Chez les enfants Les douleurs neuropathiques existent aussi chez l’enfant, mais sont beaucoup plus rares que chez l’adulte. En effet, chez l’enfant, ce type de douleur témoigne souvent d’une lésion tumorale. Les sources de douleurs neuropathiques infantiles sont multiples, qu’elles soient traumatiques (chirurgie, douleur du membre fantôme, lésion du plexus brachial ou médullaire), causées par des pathologies neuronales et neuromusculaires (Guillain-Barré) ou des infections chroniques (HIV, névralgie post-herpétique) et certains cancers (neurofibromatoses, compression nerveuse exercée par la tumeur, etc.). Des présentations sont parfois spécifiques à l’enfant comme dans la maladie de Fabry ou l’érythromélalgie.

EN RÉSUMÉ

Globalement, la prise en charge des douleurs neuropathiques (DN) souffre d’un délai trop long entre l’apparition de la douleur et l’établissement du diagnostic .
Le diagnostic et l’évaluation d’une douleur neuropathique se fait en analysant son intensité mais surtout la qualité de cette douleur, par un test composé de 4 questions : le DN4.
Adresser le patient dans une structure de lutte contre la douleur est surtout indiqué lorsque la douleur neuropathique n’est pas améliorée malgré un
traitement de première ou de seconde intention bien conduit, prescrit par le médecin traitant.
Les recommandations françaises 2020 endossées par plusieurs sociétés savantes individualisent les traitements pour les douleurs focales et mettent en avant l’intérêt des thérapeutiques non médicamenteuses.
Ces recommandations 2020 tiennent compte des alertes sur le mésusage (opioïdes, gabapentinoïdes).
Ces recommandations sont fondées sur des preuves d’efficacité, mais pas obligatoirement sur le remboursement, ni sur les AMM.

ÉVALUER UNE DOULEUR NEUROPATHIQUE

Plus que l’intensité, c’est la qualité de la douleur neuropathique qui est déterminante pour la prise en charge. Même si l’intensité doit toujours être évaluée – au moyen de l’échelle visuelle analogique (EVA) allant de « pas de douleur » à « douleur maximale imaginable » ou d’une échelle numérique de 0 à 10 –, ce n’est pas ce critère qui doit orienter la prise en charge des patients, mais plutôt le fait qu’il s’agit d’une douleur neuropathique plutôt que d’un autre type de douleur. Le médecin doit donc évaluer la qualité de la douleur et, pour cela, se servir des informations les plus utiles au diagnostic : les mots utilisés par le patient. À ce titre, le questionnaire DN4 validé (cf. tableau 1) représente la référence internationale pour dépister une douleur neuropathique.

LE CANNABIS THÉRAPEUTIQUE TESTÉ DANS LES DOULEURS NEUROPATHIQUES

Les données scientifiques actuelles sur les cannabinoïdes sont très nombreuses, mais encore discordantes. En France, l’expérimentation et la mise à disposition de plusieurs cannabinoïdes, supervisée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), débute au premier trimestre 2021. Cette expérimentation, distincte d’un protocole de recherche, consiste à tenir à jour un registre de 700 patients souffrant de douleurs neuro­pathiques réfractaires suivies dans des structures de lutte contre la douleur pendant 6 mois et à évaluer la faisabilité de la dispensation du cannabis, sous plusieurs conditionnements (vaporisation, solution buvable…) et sous plusieurs dosages, en médecine et en pharmacie de ville.

PRISE EN CHARGE

Tab 1Parues en mai 2020, les recommandations françaises pour la prise en charge des douleurs neuropathiques, soutenues par trois sociétés savantes (Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), Société française de neurologie (SFN), Collège national des enseignants en thérapeutique (CENT)) (4), déclinent trois niveaux de traitement (cf. tableau 2) :

En première ligne de traitement sont recommandés les antidépresseurs IRSNa (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine-noradrénaline), en particulier la duloxétine (60-120 mg/j) et la venlafaxine (150-225 mg/j), mais aussi des antidépresseurs tricycliques (amitriptyline 10-150 mg/j, clomipramine (10-150 mg/j), imipramine (10-150 mg/j), à utiliser avec précaution du fait de leurs nombreux effets indésirables (monitorage aux doses ≥ 75 mg par jour et chez le sujet de plus de 75 ans pour hypotension orthostatique et troubles cardiaques). L’anti-épileptique gabapentine (1200-3600 mg/j) est également recommandé, son efficacité étant indépendante de son effet sur l’épilepsie. Les emplâtres de lidocaïne (1 à 3 patchs, 12 heures/jour) et la neurostimulation électrique transcutanée (TENS, au moins 30 minutes/jour) sont réservés aux douleurs périphériques localisées.
Contrairement aux traitements ci-dessus, les antalgiques conventionnels (paracétamol, paracétamol codéine, anti-inflammatoires non stéroïdiens, aspirine) ne sont pas recommandés, car très peu efficaces sur ces douleurs.

En seconde ligne, l’anti-épileptique prégabaline (150-600 mg/j), analogue à la gabapentine, est désormais recommandé comme alternative à la gabapentine. En effet, alors que ce traitement largement utilisé dans le monde a fait l’objet de nombreuses études, son efficacité est inconstante dans les études plus récentes. De nombreuses études pointent également de plus en plus souvent un risque élevé d’abus et de détournements d’utilisation, et, surtout, un risque d’addiction à ce produit qui semble plus important que pour la gabapentine. C’est pourquoi les sociétés savantes françaises proposent désormais de ne plus l’utiliser en première intention. A noter que l'Agence du médicament (ANSM) vient d'indiquer qu'à partir du 24 mai 2021, la prégabaline devra être obligatoirement prescrite sur une ordonnance sécurisée, et ne pourra pas être renouvelée plus de 5 fois sur mention du prescripteur (permettant une délivrance de traitement de 6 mois maximum). L’opiacé tramadol (100-400 mg/j) est également recommandé en seconde intention, avec la nécessité d’une surveillance stricte et une durée d’utilisation limitée en raison du risque, là encore, d’abus médicamenteux.
Dans les douleurs neuropathiques périphériques locales, les patchs à haute concentration de capsaïcine (dérivé du piment ; 8 % – 1 à 4 patchs selon l’étendue de la zone douloureuse tous les 3 mois) ou la toxine botulique A (50-300 unités/tous les 3 mois) sont également préconisés, mais restent des traitements de la réserve hospitalière. Des combinaisons antidépresseurs-gabapentinoïdes peuvent être tentées.

Tableau 2En troisième ligne, dans les douleurs neuropathiques périphériques ou centrales, sont proposés les opioïdes forts (morphine, oxycodone, fentanyl patchs…), seuls ou en association, avec des précautions d’emploi (moins de 150 équivalents morphine/jour), une évaluation du risque d’abus et une surveillance stricte. Le fentanyl transmuqueux et la buprénorphine ne sont en revanche pas recommandés, en particulier pour le fentanyl transmuqueux du fait d’un risque élevé de tolérance voire d’addiction chez les patients présentant une douleur chronique non cancéreuse.
Sont également recommandées des techniques de neurostimulation, notamment la stimulation magnétique transcrânienne répétitive à haute fréquence (hors AMM en analgésie ; HF-rTMS de M1 à plus de 500 Hz et plus de 1200 impulsions par session) et la stimulation médullaire (préférentiellement dans les radiculopathies douloureuses postchirurgicales et la neuropathie diabétique).
La stimulation médullaire est une alternative aux antalgiques anti-neuropathiques.
Ce traitement consiste à activer de manière permanente les voies nerveuses de la sensibilité non douloureuse au niveau médullaire, afin de bloquer en continu les voies de la sensibilité douloureuse. Une électrode percutanée diffuse un champ électrique autour de la moelle épinière ; la douleur étant remplacée par des paresthésies. De nouvelles formes d’ondes très peu perceptibles, dites « bursts » (salves rapides) et « haute fréquence », ont été récemment développées.
Ces dernières années, la stimulation électrique médullaire s’est encore perfectionnée pour devenir une technique de pointe, miniaturisée et micro-invasive. Dans des mains expertes, et après une procédure de sélection des candidats rigoureuse et multidisciplinaire, elle peut soulager 50 à 80 % des personnes douloureuses chroniques réfractaires à tout traitement. On peut parler d’efficacité lorsque le patient ressent une diminution d’au moins 50 % de sa douleur lors de la phase de test conduite sur une semaine préalablement à l’implantation du stimulateur. Environ 80 % des patients optent au final pour l’implantation. Sont concernés par la technique notamment les douleurs consécutives à un syndrome douloureux radiculaire persistant post-opératoire et les neuropathies douloureuses du diabète, mais également le syndrome régional douloureux complexe (algodystrophie). Les études sont prometteuses concernant la lombalgie, en particulier avec les nouvelles formes d’ondes burst et haute fréquence.

Les psychothérapies, TCC et thérapies complémentaires. Les psychothérapies sont toujours utiles dans la prise en charge des douleurs chroniques et ne sont pas, loin s’en faut, réservées aux personnes dépressives. Une des finalités des psychothérapies dans le cadre de la prise en charge des douleurs chroniques, neuropathiques ou non, est que le patient s’engage dans une démarche active par rapport à sa douleur. Elles sont validées et recommandées dans plusieurs types de douleurs chroniques. Par exemple, certains douloureux chroniques présentant une lombosciatique n’osent plus bouger par peur de la douleur. Une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) peut les aider à se remobiliser et à ne plus craindre la douleur, en les y exposant de manière progressive.
Les approches thérapeutiques complémentaires (hypnose, acupuncture, etc.) peuvent être utiles dans la douleur neuropathique. Sans être aussi bien validées que les médicaments dans le traitement de ces douleurs, utilisées à bon escient dans un contexte de prise en charge globale, elles peuvent rendre des services appréciables, à condition d’être délivrées par des professionnels formés. Les études qui les valident existent, de même que les protocoles rationnels de leur utilisation (4). 

* Le Pr Nadine Attal est co-rédactrice des recommandations 2020 (4).

Bibliographie

1 - Prévalence de la douleur chronique avec ou sans caractéristiques neuropathiques en France. OFMA/Septembre 2018 http://www.ofma.fr/publi/prevalence-de-la-douleur-chronique-avec-ou-san….
2 - Perrot S, Pickering G, Lantéri-Minet M et Attal N, Real-life management pathways for chronic peripheral neuropathic pain at tertiary pain clinics in France. Pain Medicine 2020, in press.
3 - Bouhassira D et al. Pain 2004 ; 108 (3) : 248‐57 / https://www.sfetd-douleur.org/wp-content/uploads/2019/08/dn4ok.pdf.
4 - Moisset X. et al. “Pharmacological and non-pharmacological treatments for neuropathic pain: Systematic review and French recommendations”, Rev Neurol, vol. 176, n° 5, p. 325-352, mai 2020.
5 - Attal N. et al, Safety and efficacy of repeated injections of botulinum toxin A in peripheral neuropathic pain (BOTNEP): a randomised, double-blind, placebo-controlled trial Lancet Neurol 2016 May;15(6):555-65.

Liens d'intérêts

Le Pr Nadine Attal déclare avoir reçu des honoraires de la part de Sanofi MSD, MSD vaccins, Lilly, Pfizer, Grunenthal, Ipsen, Novartis, Air Liquide en dehors du travail soumis depuis 3 ans, et est membre du European Dolorisk consortium.

Hélène Joubert (rédactrice) avec le Pr Nadine Attal* (responsable du Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, hôpital Ambroise-Paré, Paris)

Source : Le Généraliste