Infectiologie

LES INFECTIONS SEXUELLEMENT TRANSMISSIBLES

Publié le 22/05/2020
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La notion d’infections sexuellement transmissibles a évolué, tout comme leur prise en charge, pour certaines d’entre elles. À côté de leur dépistage, les traitements ont un rôle majeur pour éviter des complications et interrompre la chaîne de contamination.
Sérologie

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Crédit photo : VOISIN/PHANIE

INTRODUCTION

Les infections sexuellement transmissibles (IST), souvent cliniquement inapparentes, constituent un enjeu majeur de santé publique. L’intérêt de leur dépistage et de leur traitement est double :

éviter les complications qui se développent à bas bruit,

• interrompre la chaîne de contamination.

Cette stratégie permet à la fois de mettre en place une prévention secondaire par une prise en charge précoce d’une affection ; et une prévention primaire par une diminution de l’incidence de l’affection dans la population.

Précisons quelques termes. « Historiquement », les maladies vénériennes (ainsi appelées en référence à Vénus, déesse de l’amour) correspondent à deux affections cliniques : la syphilis (primaire et secondaire) et la blennorragie ou gonococcie. Ces infections sont quasi exclusivement transmises par voie sexuelle. Elles avaient fait l’objet d’un encadrement législatif. En effet, les modalités de dépistage et de traitement rendues obligatoires avaient été précisées par la loi du 31 décembre 1942 promulguée par le gouvernement de Vichy. Les maladies vénériennes comprennent alors non seulement la syphilis et la gonococcie, mais encore le chancre mou ou chancrelle, appelé aussi maladie de Ducrey due à Hæmophilus Ducreyi, et la lymphogranulomatose bénigne d’inoculation (LGV) ou maladie de Nicolas-Fabre due à un Chlamydia trachomatis de sérotype particulier L1 à L3.

Les maladies sexuellement transmissibles correspondent à une extension du cadre des maladies vénériennes à de nouvelles pathologies : l'ensemble des infections génitales par Chlamydia trachomatis (au-delà de la LGV) et des affections transmises par voie sexuelle de façon inconstante comme les végétations vénériennes ou l’herpès.

Le terme d’infection sexuellement transmissible (IST) met l’accent sur le caractère asymptomatique fréquent de ces affections et la nécessité d’un dépistage systématique. C’est le cas du VIH, de Chlamydia trachomatis ou de la syphilis latente.

Enfin, les infections génitales basses correspondent à des infections dont la transmission sexuelle est incertaine, c’est le cas en particulier de la vaginose bactérienne ou de la vulvovaginite candidosique.

ANALYSE CLINIQUE

La clinique garde-t-elle un intérêt dans ce contexte où le dépistage sans signe clinique est mis en exergue ?

Il existe des patients symptomatiques qui nécessitent une démarche classique de diagnostic. Dans les pays économiquement développés, les examens paracliniques biologiques sont mis en œuvre ; ailleurs la clinique seule peut permettre une probabilité de diagnostic suffisante permettant d’accéder directement au traitement. Ces deux approches ne sont d’ailleurs pas incompatibles, le traitement étant proposé dans l’attente des résultats des examens biologiques.

Quatre tableaux essentiels sont bien caractérisés :

→ Le syndrome de perte de substance accompagnée d'adénopathies satellites a une très forte valeur prédictive positive d’une syphilis primaire et doit donc justifier un traitement spécifique, sauf peut-être en cas de tableau d’herpès de primo-infection caractéristique avec des érosions multiples et douloureuses. Les autres diagnostics sont multiples, l’origine traumatique est fréquente et souvent facile à déterminer. En revanche, l’ulcère de Lipschutz de la très jeune fille, qui accompagne souvent une infection mononucléosique, est rare et de diagnostic beaucoup plus délicat.

→ L’urétrite se définit par la constatation médicale d’un écoulement associé à des symptômes urinaires (brûlures urinaires, dysurie, pollakiurie) et/ou la présence de polynucléaires neutrophiles dans le sédiment urinaire en l’absence d’une infection urinaire. Trois étiologies sont à évoquer successivement : une gonococcie ; une infection à Chlamydia souvent associée à la gonococcie ; et une infection non gonococcique non Chlamydia qui doit surtout évoquer une infection à Mycoplasma genitalium.

→ La vulvovaginite se manifeste par des leucorrhées, une dyspareunie, un prurit vulvaire. Elle peut être la conséquence d’une infection génitale basse (qui n’est pas une véritable IST) ou d’une cervicite qui peut être induite par un herpès, une infection à gonocoque ou un Chlamydia. L’éventualité d’une infection basse candidose ou d’une vaginose bactérienne est de loin la plus probable, sauf en cas de contexte particulier (prostitution) incitant à rechercher une cervicite.

→ Le syndrome anorectal survenant dans un contexte d’homosexualité masculine évoque une gonococcie, une infection à Chlamydia, soit une infection classique (Chlamydia de type A, B ou C), soit une lymphoréticulose bénigne d’inoculation (Chlamydia de type L), et une infection à HPV justifiant une anuscopie.

→ D’autres tableaux justifient souvent une expertise dermatologique, par exemple:

• une atteinte palmoplantaire pouvant s’observer dans la syphilis secondaire, la primo-infection par VIH, ou dans l’arthrite réactionnelle (autrefois appelée maladie de Fiessinger-Leroy),

• une verrucosité génitale évoquant avant tout une infection à HPV, le condylome acuminé (lésion végétante) a seul une bénignité assurée.

DÉPISTAGE

Dans les lignes qui suivent, nous tâcherons de répondre aux questions « dépister quoi, pourquoi, qui, et comment ? ». La politique de dépistage établit des priorités et des modalités qui se fondent sur l’épidémiologie, la gravité des complications, les possibilités de traitement et le rapport coût/efficacité. Il faut en particulier penser aux personnes les plus à risque (TAB. 1). Les données épidémiologiques françaises sont surtout établies sur la base de l’activité des Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) qui montrent en 2018 (chiffres arrondis) :

• environ 2 000 syphilis récentes dépistées,

• 8 900 gonococcies,

• 24 000 infections à Chlamydia trachomatis,

• près de 3 000 condylomes,

• 2 600 porteurs d’Ag HBs ; 1 500 sérologies hépatite C positives.

Les données restent parcellaires mais les tendances sont appréciables : il existe une stabilité de la syphilis et du VIH, une progression des infections à Chlamydia et des condylomes, et une très forte augmentation de la gonococcie.

■ Dépistage du VIH : il concerne à la fois :

• Toute la population au moins une fois dans sa vie, car en France près de 25 000 personnes ignorent leur séropositivité et découvrent leur infection à un stade tardif. Une grossesse, un viol, la découverte d’une IST… constituent des circonstances particulières de dépistage.

• Des individus à risque dépistés tous les 3 mois (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, HSH) ou tous les ans (utilisateurs de drogues intraveineuses, personnes originaires des Caraïbes ou de l’Afrique subsaharienne).

Ce dépistage s’effectue en laboratoire par un test Elisa de 4e génération (détection des anticorps et de l’antigène p24) avec confirmation éventuelle sur un deuxième sérum, ou encore en milieu associatif par le Test rapide d’orientation du diagnostic (TROD) qui recherche les seuls anticorps (la primo-infection n’est pas dépistée) avec résultat en 30 mn. Il existe aussi l’autotest non remboursé donnant un résultat en 15 mn.

■ Dépistage de la syphilis : il est systématique chez la femme enceinte (prévention de la syphilis congénitale), il est ciblé et répété dans les populations à risque. Actuellement, il repose sur un test tréponémique, en général Elisa, reproductible et automatisable, confirmé si positif par un test utilisant des antigènes non spécifiques (tests classiques de Kline ou VDRL) avec une appréciation quantitative. Ce test sert de base au suivi après traitement effectué à 3, 6 et 9 mois (surveillance prolongée si sujet à risque). La diminution du taux de positivité (au moins deux dilutions) affirmera la guérison. Il est à noter que l’examen direct sur fond noir pratiqué autrefois à partir des sérosités d’une ulcération est tombé en désuétude. Il existe donc une période pré-sérologique où le diagnostic biologique est impossible.

■ Dépistage du Chlamydia : il est systématique (opportuniste) chez la femme entre 15 et 25 ans, par auto-prélèvement génital et le cas échéant chez le partenaire sur le premier jet urinaire ; il est pratiqué tous les 3 à 6 mois au niveau des trois orifices chez des patients à risque. La PCR utilisée pour le test est en général multiplex (dépistage simultané du gonocoque).

■ Dépistage des hépatites : l’hépatite B est recherchée à l’aide des trois marqueurs Ac anti-HBs, Ac anti-HBc, Ag Hbs. Ceux-ci sont nécessaires pour connaître le statut vaccinal du patient (avant vaccination) et distinguer une hépatite guérie d’une hépatite active. L’hépatite C est dépistée par une recherche d’anticorps, confirmée le cas échéant par un nouveau prélèvement avec un nouveau test puis une recherche d’antigène viral.

Pour les deux hépatites B et C, un dépistage universel est recommandé par les experts. Un dépistage régulier ciblé est proposé aux sujets à risque, associé au dépistage du VIH (2).

■ Dépistage de l’HPV : il repose avant tout sur l’examen clinique. Chez la femme, des lésions externes justifient la recherche de lésions internes (associées dans 20 % des cas) grâce à une colposcopie.

Le dépistage du cancer du col repose sur trois frottis cervico-vaginaux entre 25 et 30 ans, la recherche d’HPV oncogène par PCR tous les 5 ans après 30 ans.

TAB. 1 - LES PERSONNES À RISQUE

La fréquence du dépistage est adaptée à chaque cas, minimum une fois par an en cas de risques réguliers :

• Hommes ayant des rapports avec des hommes (y compris rapport orogénital),

• Rapports non protégés (y compris orogénital),

• Travailleurs du sexe et leurs partenaires (y compris orogénital).

Ne pas oublier :

• Usagers de drogue par voie intraveineuse ou intranasale,

• Dépistages occasionnels,

• Migrants,

• Viol,

• Incarcération,

• Piercing, tatouage,

• Avortement spontané ou provoqué,

• Antécédents de transfusion sanguine (avant 1992), d’examens invasifs (avant 1997).

PRISE EN CHARGE

Certains traitements d'IST demeurent inchangés depuis de nombreuses années:

→ Le traitement de la syphilis repose sur l’extencilline 2,4 MUI en IM en une seule injection en cas de syphilis récente (moins d’un an d’évolution), et à raison de trois injections à une semaine d’intervalle en cas de syphilis tardive ou de durée indéterminée.

→ Le traitement de la chlamydiose repose sur la doxycycline 200 mg/jour pendant 7 jours pour une infection classique, et pendant 21 jours pour une infection de type L. Le traitement « minute » par l’azithromycine 1 g en prise unique est toujours actif sur le Chlamydia, mais la possibilité d’une co-infection associée à Mycoplasma genitalium résistant à l’azithromycine a conduit à modifier le traitement de référence et à préférer les cyclines.

Certains traitements sont remis en question par l’apparition de résistances:

→ Le gonocoque était traité classiquement par ceftriaxone 500 mg, mais l’apparition de résistances justifie une mise en culture pour effectuer un antibiogramme sur des prélèvements positifs. On prescrit un traitement par ceftriaxone 1 g en l’absence de résultat d’antibiogramme, ou un traitement par ciprofloxacine 500 mg si la souche est sensible.

→ Le Mycoplasma genitalium, qui est suspecté en cas d’urétrite non gonococcique non Chlamydia, devient résistant à l’azithromycine. Le traitement est complexe et justifie un avis spécialisé en cas de symptômes persistants après une cure de cyclines.

Dans ces deux cas précédents, le développement de résistances successives justifie une mise à jour régulière des recommandations.

PRÉVENTION

Comme moyen de prévention, il n’y a pas que le préservatif (qui peut être remboursé sur prescription). Il existe aussi la vaccination, la circoncision, l’intérêt des traitements préventifs et curatifs :

■ La vaccination Elle se heurte au lobby anti-vaccinal. La couverture vaccinale vis-à-vis de l’hépatite B est en diminution. Elle doit être proposée en cas de négativité des anti-Hbs lors d’un dépistage. La vaccination contre l’hépatite A peut être proposée aux HSH. Bien que les hépatites A fulminantes soient rares, l’évolution peut être grave chez des patients immunodéprimés. La vaccination contre le HPV concerne maintenant neuf types viraux à la fois responsables des condylomes acuminés et surtout de carcinomes. Les jeunes hommes comme les jeunes femmes sont maintenant éligibles.

■ La circoncision Elle est très débattue, avec une argumentation qui sort parfois du cadre médical. Pour certains, il s’agit d’une véritable vaccination chirurgicale qui prévient la transmission du VIH, de l’herpès et partiellement au moins celle de l’HPV et de la syphilis. Elle évite également le développement de balanites chroniques non spécifiques.

■ Les traitements:

Le traitement du VIH diminue le risque de contamination : en général, pas de transmission si la charge virale est nulle. À côté de la prise en charge d’une primo-infection par le VIH (TAB. 2), il existe les traitements préventifs post-exposition et les traitements pré-exposition :

• Les traitements préventifs post-exposition (TPE) concernent les risques de transmission sexuelle ou accidentelle et sont proposés dans les services d’urgence dans les 48 heures suivant le contact à risque. Le TPE repose surtout sur l’association en un comprimé d’emtricitabine, rilpivirine et ténofovir alafénamide avec réévaluation ensuite en service spécialisé. En effet, le traitement est poursuivi 1 mois avec recherche d’autres IST, un bilan général (NFS, créatinine), un contrôle de la sérologie VIH et de la charge virale à 2 puis 3 et 6 mois après l’arrêt du traitement.

• Les traitements pré-exposition (Prophylaxie pré-exposition – PrPE) sont dispensés essentiellement dans les CeGIDD et les services de maladies infectieuses. Ils sont destinés surtout aux sujets à haut risque (HSH avec deux rapports réceptifs non protégés dans les 6 mois). Le traitement repose sur l’association d’emtricitabine, ténofovir disoproxil. Il est administré en continu avec réévaluation tous les 3 mois, ou en discontinu sur 3 jours encadrant le rapport.

TAB. 2 - LA PRIMO-INFECTION PAR LE VIH : UNE URGENCE MÉDICALE

• Les patients doivent bénéficier, au stade de primo-infection par le VIH, d'un traitement précoce : - pour éviter la localisation du virus dans des réservoirs comme le système nerveux central,

- pour réduire les risques de contamination (contagiosité maximale en primo-infection).

• Les manifestations cliniques associent un tableau grippal et une éruption (exanthème), parfois des diarrhées et une poly-adénopathie classiquement persistantes.

• La conduite à tenir est double si la sérologie est positive :

- demander un ensemble d’examens biologiques avec la charge virale, les populations lymphocytaires, le génotype, le bilan hépatique créatininémie et le dépistage des autres IST,

- mettre en route, d'emblée, un traitement associant a priori ténofovir, emtricitabine et dolutégravir qui peut être remplacé par darunavir boosté par ritonavir.
 

EN RÉSUMÉ

Les enjeux actuels des infections sexuellement transmissibles sont le dépistage et la prévention. Le dépistage est précisé par des recommandations qui répondent à des exigences de santé publique. Il est en constante évolution en fonction des données épidémiologiques déterminant des priorités et des améliorations techniques des outils de dépistage et des données bactériologiques sur le développement des résistances à l’antibiothérapie. Le discours sur la prévention doit être adapté à chaque cas ; il intègre la connaissance d’une problématique sexuelle qu’il est donc indispensable de faire préciser en dialoguant avec le patient. La prévention ne se limite pas à un discours sur le préservatif : la vaccination, la circoncision, les traitements pré et post-exposition du VIH doivent pouvoir être connus et argumentés.

IST RARES, OUBLIÉES, LOINTAINES

Le chancre mou, dû à Haemophilus Ducreyi, est devenu très rare. La donovanose a pratiquement disparu même dans les quelques pays où elle était signalée (Afrique du Sud).

L’infection génitale à Trichomonas est beaucoup plus fréquente en Afrique qu’en Europe, en revanche on doit penser à la transmission sexuelle de la pédiculose, de la gale, des Molluscum contagiosum.

Enfin, les virus Zika, Ebola et HTLV-1 (agent d’une forme rare de lymphome) se transmettent par voie sexuelle dans les zones d’endémie.

Bibliographie

1 - Réévaluation de la stratégie de dépistage des infections à Chlamydia trachomatis, Recommandations HAS, Septembre 2018.
2 - Hépatite C : Prise en charge simplifiée chez l’adulte, Recommandations HAS, Septembre 2019.
3 - Fernández-Huerta M, and Al. Mycoplasma genitalium and antimicrobial resistance in Europe: A comprehensive review. Int J STD AIDS. 2020; 31:190-197.
4 - Morris BJ, Moreton S, Krieger JN. Critical evaluation of arguments opposing male circumcision: A systematic review. J Evid Based Med. 2019; 12:263-290.
4 - Pioche C, Ndeikoundam N, Sarr A, Cazein F, and Al. Activité de dépistage et diagnostic du VIH des hépatites B et C et des autres IST en CeGIDD, France, 2018, BEH 2019 ;31-32 : 625-633.
5 - Rice PA, Su XH. Resistant gonorrhoea: east meets west. Lancet Infect Dis. 2018 ;18 :702-703.
6 - Smith DK, Sullivan PS, Cadwell B, Waller LA, Siddiqi A, Mera-Giler R, Hu X, Hoover KW, Harris NS, McCallister S. Evidence of an Association of Increases in Pre-exposure Prophylaxis Coverage With Decreases in Human Immunodeficiency Virus Diagnosis Rates in the United States, 2012-2016. Clin Infect Dis. 2020 Feb 25.

Liens d'intérêts

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts relatif au contenu de cet article.

 

Dr Roland Viraben (dermatologue, vénéréologue, Toulouse)

Source : Le Généraliste: 2912