INTRODUCTION
Dans un premier article consacré aux infections urinaires (IU) en pédiatrie, du diagnostic à la prise en charge (FMC, Mise au point, Le Généraliste n° 2949), nous avions insisté sur le fait que le diagnostic d’une IU chez un enfant demande de la rigueur, tant dans les modalités de prélèvements urinaires que dans l’interprétation des résultats. Mais faire le diagnostic ne suffit pas. Il faut essayer de comprendre pourquoi l’enfant ou l’adolescent s’est infecté. La prise en charge des facteurs favorisants peut en effet éviter ou limiter les récidives, les antibiothérapies répétées et les lésions parenchymateuses rénales avec leur risque, à moyen terme, de cicatrices rénales et, à long terme, d’HTA et d’insuffisance rénale.
En préambule, rappelons que :
• les infections urinaires sont majoritairement ascendantes, à partir des germes présents sur le périnée.
• une fièvre supérieure à 38,5 °C est considérée comme le témoin d’une atteinte du haut appareil, et une infection urinaire fébrile (IUF) sera donc assimilée par précaution à une pyélonéphrite aiguë (PNA).
Ces dernières décennies, la recherche et la prise en charge du reflux vésico-urétéral (RVU) ont beaucoup évolué. Les indications de la cystographie et de l’antibioprophylaxie sont désormais réservées à des cas bien précis.
CLINIQUE, EXPLORATIONS ET PRISE EN CHARGE
La recherche des facteurs favorisant une IU, fébrile ou non, n’est pas toujours du domaine du spécialiste, néphropédiatre ou urologue. Des causes simples et fréquentes peuvent être facilement identifiées et traitées. Qu’il s’agisse d’une PNA ou d’une cystite, il faut rechercher systématiquement :
→ Une constipation qui empêche une vidange vésicale complète et majore le réservoir de germes. Elle est à traiter impérativement.
→ Des causes locales : adhérences préputiales étendues, phimosis, coalescence des petites lèvres… Une levée d’adhérences voire une circoncision peuvent être proposées en cas de récidive de PNA chez le petit garçon pour supprimer le réservoir bactériologique préputial (1). De même, une coalescence des petites lèvres peut être levée en cas d’IU récidivantes. Chez l’enfant plus grand, plus particulièrement chez la fille, des vulvites, une oxyurose ou une mauvaise technique d’essuyage seront recherchées.
→ Des troubles mictionnels. Chez les enfants plus grands, surtout les filles de plus de 5 ans, les troubles mictionnels (TM) sont fréquents. Souvent méconnus, ils sont pourtant responsables de nombreuses IU, fébriles ou non, puisqu’un dysfonctionnement vésical serait associé à une IU dans 60 % des cas, et à un reflux vésico-urétéral (RVU) fonctionnel de faible grade dans 34 % des cas (2).
Le diagnostic est essentiellement un diagnostic d’interrogatoire.
La vessie hyperactive
La vessie continue à se comporter comme une vessie de très jeune enfant avec des contractions non inhibées du détrusor. Le tableau est souvent typique, associant une impériosité mictionnelle, des fuites diurnes, une pollakiurie (≥ 7 mictions/jour) et des manœuvres de retenue (dandinements, croisement des jambes, accroupissement, talon dans les fesses…). L’énurésie est fréquente. Une vidéo pédagogique, « Lili la vessie », visionnable sur YouTube, a été réalisée par l’Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA) pour mieux expliquer le problème à l’enfant et ses parents.
Plusieurs explications à ces IU : une vidange vésicale parfois incomplète, une stagnation de l’urine dans la vessie ou l’urètre dilaté (dilatation en toupie), un possible RVU fonctionnel (non malformatif) de faible grade.
Il est alors très important que le médecin traitant reprécise plusieurs règles indispensables :
• boire au moins un litre d’eau par jour,
• vider régulièrement (5 à 6 fois/jour) et complètement la vessie,
• éviter la constipation : précautions alimentaires voire prise d'un laxatif osmotique (objectif : une selle minimum toutes les 48 heures),
• avoir une bonne hygiène locale, s’assurer d’une bonne technique d’essuyage,
• traiter les vulvites et une oxyurose éventuelle.
Un avis spécialisé néphropédiatrique est utile à ce stade. Un traitement par oxybutynine, antibioprophylaxie et/ou laxatif peut être décidé pour traiter le cercle vicieux « trouble mictionnel-infection urinaire-constipation ».
Attention : le traitement par oxybutynine ne doit pas être renouvelé sans avis spécialisé, une vessie hyperactive pouvant devenir hypoactive et générer d’autres complications.
Les reflux fonctionnels de faible grade (grades I, II et III) parfois identifiés en cas d’infections urinaires fébriles récurrentes ne nécessitent, le plus souvent, aucun geste chirurgical. Seules des récidives infectieuses fréquentes peuvent amener à réviser leur prise en charge.
Autre mise en garde : ne doivent être traitées que les vraies infections urinaires (avec brûlures mictionnelles, pollakiurie…) et pas les simples bactériuries sans signes cliniques. Les antibiothérapies à répétition risquent de provoquer des résistances.
La vessie hypoactive ou « paresseuse » et la dyssynergie vésico-sphinctérienne
La vessie hypoactive, a contrario, est caractérisée par une diminution de la sensation de remplissage vésical et donc du besoin d’aller aux toilettes. On l'observe souvent chez des enfants plus grands qui ont eu un passé d’instabilité vésicale et qui ont appris à se retenir très longtemps. Cliniquement, il peut exister des fuites, non plus en rapport avec des contractions vésicales violentes, mais par « regorgement ». La question la plus importante à poser par le praticien est le nombre de mictions, souvent de l’ordre de 3-4/jour (norme : 5-6/jour). La perte de la sensation d’envie et la fréquente nécessité de pousser pour initier la miction sont aussi souvent retrouvées. La vidange vésicale est souvent incomplète avec un résidu post-mictionnel qui s’infecte.
Le stade encore plus évolué est celui de la dyssynergie vésico-sphinctérienne, qui s’accompagne d’une perte de coordination entre contraction du détrusor et relâchement du sphincter. Un avis néphropédiatrique est impératif car l’oxybutynine est contre-indiquée, risquant d’aggraver l’hypotonie du détrusor. Une rééducation par biofeedback de la relaxation sphinctérienne pratiquée par un kinésithérapeute spécialisé, à l’exact opposé de la rééducation périnéale post-accouchement, peut être proposée.
La vessie rétentionniste et autres habitudes mictionnelles délétères
Pour de multiples raisons, beaucoup de jeunes filles vont très peu aux toilettes au collège, au lycée ou pendant les vacances (2-3 fois/jour) et réduisent leurs boissons (« pour ne pas avoir envie d’aller aux toilettes »). Autant de facteurs qui favorisent les cystites, voire les PNA. Dans le même esprit, la position « en suspension » au-dessus des toilettes pour ne pas « toucher » la lunette des WC, les mictions à « cuisses serrées » ou les « mictions express » sont autant d’habitudes mictionnelles favorisant les IU.
→ Une uropathie malformative en cas d’anomalie à l’échographie
L’échographie, nous l’avons vu dans le précédent article, doit être systématique après une première IU fébrile ou non. Un délai de quelques jours à 2 semaines maximum est raisonnable, à adapter à l’âge, l’état clinique, les antécédents et les possibilités locales.
Une anomalie échographique doit faire suspecter une uropathie et il est alors conseillé d’adresser l’enfant à un spécialiste, qui décidera de la poursuite des investigations et de la prise en charge.
Attention : une échographie, même faite par un opérateur entraîné peut aussi méconnaître une uropathie et notamment un authentique reflux vésico-urétéral, parfois de haut grade (grades IV et V). Les RVU de bas grade sont les grades I, II et III, et les grades IV et V sont des RVU de haut grade.
Parmi les uropathies malformatives susceptibles de se compliquer d’IUF, nous ne ferons que citer le méga-uretère, le syndrome de jonction, les duplications et bifidités urétérales.
Nous nous attarderons davantage sur le RVU, qui a longtemps été recherché à titre systématique dès la première PNA (conférence de consensus, 1990) mais dont l’approche physiopathologique et la prise en charge ont considérablement évolué depuis une vingtaine d’années.
30 à 40 % des enfants avec IUF ont un RVU diagnostiqué à la cystographie rétrograde (3). S’il n’est pas prouvé que le RVU soit responsable de l’IU, pour tous les auteurs, avoir une IUF et un reflux de haut grade (IV et V) représente un véritable danger pour le parenchyme rénal, la néphropathie de reflux restant une des causes fréquentes d’HTA et d’insuffisance rénale de l’enfant (2).
Toutefois, on sait maintenant que le traitement chirurgical n’empêche pas l’apparition de cicatrices rénales et que le traitement médical n’empêche pas toujours les récidives infectieuses. Alors, faut-il encore systématiquement dépister les RVU ? La réponse est maintenant NON pour la plupart des équipes. Les indications de cystographie rétrograde ont donc ainsi drastiquement diminué. Elles se limitent désormais :
• à la première PNA chez le garçon ou la fille avec anomalie échographique (dilatation pyélo-calicielle ou pyélo-urétérale) (2, 4).
• aux PNA récidivantes (minimum 2 PNA) en l’absence d’anomalie échographique mais avec anomalies scintigraphiques (5).
Seuls les RVU associés à une scintigraphie rénale au DMSA anormale auraient, semble-t-il, moins de chance de disparaître spontanément et nécessiteraient une intervention chirurgicale. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’équipes font désormais une scintigraphie au DMSA 4 à 12 mois après le dernier épisode infectieux.
À l’heure actuelle, le seul consensus est donc que la chirurgie s’impose devant des IUF répétées associées à des reflux de haut grade pour limiter la remontée d’urines infectées vers les reins et éviter les lésions secondaires du parenchyme rénal (2).
L’antibioprophylaxie a aussi été remise en question ces dernières décennies, avec des interrogations sur son efficacité et le risque d’émergence de résistances. La plupart des auteurs s’accordent à récuser l’antibioprophylaxie dans les RVU de bas grade.
En revanche, dans certaines uropathies déjà compliquées d’IUF, l’antibioprophylaxie garderait un intérêt dans la prévention des IU et des cicatrices rénales versus une simple surveillance. Il s’agit tout particulièrement du RVU de haut grade, du méga-uretère ou du syndrome de jonction (notamment chez le garçon non circoncis) (2, 6, 7).
En règle générale, on a recours au cotrimoxazole (après l’âge de 1 mois) à raison de 10 mg/kg/j de sulfaméthoxazole en une prise quotidienne (le soir par exemple) ou, en cas d’allergie au cotrimoxazole, au céfaclor (10-20 mg/kg/j). La durée de l’antibioprophylaxie est d’au moins 3 mois mais reste à décider au cas par cas. En cas d’infections récurrentes avec une bactérie résistante au traitement, la pertinence des mesures associées, voire d’un traitement urologique, mérite toutefois d’être discutée.
Dr Véronique Desvignes (pédiatre, 20, avenue de Royat, 63400 Chamalières, veronique.desvignes@hotmail.fr)
BIBLIOGRAPHIE
1. Ellison JS, DY GW, Fu BC, et al. Neonatal circumcision and urinary tract infections in infants with hydronephrosis. Pediatrics 2018;142 (1).pii :e20173703.
2. Demède D. Reflux vésico-urétéral. Néphrologie de l’enfant. Pedia. Chapitre 65 : 260-62. Elsevier Masson 2020.
3. Hannula A, Venhola M, Renko M, et al. Vesicoureteral reflux in children with suspected and proven urinary tract infection. Pediatr Nephrol 2010;
25 (8) : 1463-9.
4. SkoogSJ, Peters CA, Arant JrBS, et al. Pediatric Vesicoureteral Reflux Guidelines Panel summary report : clinical practice guidelines for screening siblings of children with vesicoureteral reflux and neonates/infants with prenatal hydronephrosis. JUrol 2010; 184 : 1145-51.
5. Godley ML, Desai D, Yeung CK, et al. The relation-ship between early renal status and the resolution of vesico-ureteric reflux and bladder fonctionat 16 months.BJU Int 2001; 87 (6) : 457-62.
6. Brandström P, Esbjorner E, Herthelius M, et al. The Swedish Reflux Trail in Children, III : urinary tract infection pattern. J Urol 2010; 184 : 286-91.
7.Launay E, Roussey G. Infections urinaires. Néphrologie de l’enfant. Pedia. Chapitre 64 : 254-59. Elsevier Masson 2020.
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