Le rôle délétère de l’hyperglycémie dans l’apparition et l’aggravation des complications microangiopathiques est bien établi chez les diabétiques de type 2 (DT2) comme chez les diabétiques de type 1. L’UKPDS (United Kingdom Prospective Diabetes Study) a été la première grande étude menée chez les DT2 qui ait bien démontré que l’équilibre glycémique étroit diminue de façon significative l’apparition de la microangiopathie (1).
Quant au risque macrovasculaire, le bénéfice de l’équilibre glycémique n’était pas aussi clair et la question demeurait non résolue (1). La suite de l’UKPDS et trois essais de grande ampleur, dont les résultats ont été rapportés en 2008, ont essayé de répondre à cette question. Avant d’aborder les résultats de ces trois essais, revoyons les principaux résultats de l’UKPDS et de son prolongement.
UKPDS, LA PREMIÈRE GRANDE ÉTUDE
L’UKPDS (1) a été menée en Angleterre, en Ecosse et en Irlande, de 1977 à 1997, dans le but de répondre à trois questions :
Le bon contrôle glycémique permet-il de diminuer les complications micro et macrovasculaires chez les DT2 ?
Quels sont les avantages et les inconvénients des différents agents hypoglycémiants ?
Le contrôle de la PA diminue-il les complications micro- et macrovasculaires ?
L’étude a inclus 4 209 patients âgés de 25 à 65 ans, ayant un diabète de découverte récente. L'HbA1C était en moyenne à 9,1 % et 39 % des patients étaient aussi hypertendus.
- Pour le versant glycémie, un groupe bénéficiait du « traitement conventionnel » avec maintien de la glycémie à jeun au-dessous de 15,0 mmol/l (2,70 g/l) (sous régime) et l’autre « traitement intensif » avec maintien de la glycémie à jeun au dessous de 6,0 mmol/l (1,08 g/l) (sous sulfamide ± insuline). Dans le groupe « traitement intensif », une baisse de 0,9 % de l'HbA1C était associée à une réduction à dix ans de 12 % de la survenue des complications liées au diabète, de 25 % du retentissement microvasculaire, de 33 % de la microalbuminurie, 16 % de l'infarctus du myocarde (à la limite de la significativité). Un seuil d'HbA1C à 7 % augmentait l'incidence des complications microvasculaires tandis qu’il n’existait pas de valeur seuil pour les complications macrovasculaires. Un patient sur deux présentait une complication lors du diagnostic du diabète. Concernant les moyens thérapeutiques utilisés, l’étude n’a pas permis de recommander un type de traitement plutôt qu’un autre. Seul le sous-groupe des patients en surpoids traités par metformine avait bénéficié d’une réduction de toutes les complications, y compris les IDM. Le taux d’hypoglycémies sévères était plus élevé dans le bras « traitement intensif » (2,3 % par patient et par an sous insuline ; 0,6 % sous glibenclamide ; et 0 % sous metformine).
- Pour le versant pression artérielle, la population a aussi été répartie en deux bras : un groupe « contrôle tensionnel modéré » avec un objectif de PA < 180/105 mmHg avec des antihypertenseurs autres que les IEC ou les béta-bloquants et un groupe « contrôle tensionnel strict » avec objectif strict de PA < 150/85 mmHg en utilisant un IEC et/ou un béta-bloquant (2). Une baisse de la PA systolique de 10 mmHg a permis de réduire de 24 % les complications liées au diabète, de 37 % les complications micro-angiopathiques et de 56 % l’insuffisance cardiaque. L'analyse épidémiologique des données indique une augmentation linéaire de l'incidence des complications micro et macrovasculaires avec les niveaux plus élevés de PA, mais restait deux fois plus importante pour les complications macroangiopathiques (infarctus du myocarde).
- L’étude UKPDS laissait certaines questions en suspens :
A quel seuil glycémique les complications macrovasculaires apparaissent ? Jusqu’où faut-il abaisser l’HbA1C ?
Faut-il intervenir dès les stades prédiabétiques pour prévenir l’apparition des complications micro- ou macrovasculaires ?
L’amélioration de l’équilibre glycémique permet-elle de prévenir les complications macroangiopathiques et la mortalité cardiovasculaire ?
DIX ANS APRÈS UKPDS
La majeure partie (3 277 patients) des participants à l’UKPDS ont été suivis dix ans après la clôture de l’étude ; cliniquement tous les ans pendant cinq ans puis, pendant cinq ans par questionnaire.
- Les résultats montrent que la différence d’HbA1C observée entre les groupes pendant la phase d’essai thérapeutique a été perdue dès la fin de la première année de suivi en raison essentiellement de l’intensification du traitement antidiabétique chez les patients venant du bras initial « traitement conventionnel ».
Chez les patients initialement sous traitement intensif, l’effet bénéfique sur la micro-angiopathie s’est maintenu et un autre significatif est apparu sur les complications macrovasculaires.
Ainsi, chez les patients initialement sous sulfamides ou insuline, la réduction du risque relatif de tout événement lié au diabète persiste à dix ans (RRR = 9 %), de même que la réduction des complications microvasculaires (RRR = 24 %). De plus, la réduction des infarctus, non significative au départ, le devient (RRR = 15 %) (3). Quant aux patients en surpoids initialement sous metformine, le bénéfice de ce traitement sur la réduction des infarctus demeure significatif.
- En revanche, vis-à-vis de la pression artérielle, l’analyse ne montre pas de maintien du bénéfice dix ans après la clôture de l’étude (4). On peut donc parler d’héritage glycémique et non d’héritage tensionnel. Il y a donc perte du bénéfice du contrôle tensionnel initial et ce qui compte en pratique, c’est le maintien d’un bon contrôle tensionnel.
L’APPORT DES ÉTUDES RÉCENTES
Les trois grandes études* publiées en 2008 ont essayé de répondre aux questions restées non résolues.
L’ÉTUDE ACCORD
L’objectif principal de l’étude ACCORD (Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes), une étude nord-américaine randomisée et contrôlée, était d’évaluer chez des DT2 à haut risque cardiovasculaire l’effet du contrôle glycémique intensif abaissant et maintenant l’HbA1C au-dessous de 6 %, comparativement à un contrôle glycémique moins exigeant (standard) visant un taux d’HbA1C entre 7 et 8 %, sur un critère cardiovasculaire composite (infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux non fatals, mortalité cardiovasculaire) (5).
10 251 patients avec une HbA1C ≥ 7,5 % ont été inclus. Les critères d’inclusion étaient : âge entre 40 et 79 ans et antécédents cardiovasculaires ou âge entre 55 et 79 ans et athérosclérose ou albuminurie ou hypertrophie ventriculaire gauche ou deux autres facteurs de risque cardiovasculaire. La durée du diabète (médiane) était de dix ans. Le taux d’HbA1C à l’entrée était de 8,1 % pour arriver à la fin de l’étude à 6,4 % dans le bras « intensif » et à 7,5 % dans le bras « standard ». Il est important de mentionner que dans le bras « intensif », le niveau d’HbA1C a baissé de près de 1,5 % dès les trois premiers mois.
L’intensification thérapeutique a consisté en l’empilement rapide de plusieurs anti-diabétiques oraux, l’insulinothérapie et/ou le recours à un analogue du GLP-1. Hélas, les décès d’origine cardiovasculaire ou de toutes causes étaient augmentés significativement de 22 % dans le groupe « intensif », ce qui fit arrêter prématurément l’étude au bout de trois ans et demi au lieu de cinq ans. Les causes de cette surmortalité n’ont pas été clairement identifiées. Il faut signaler, d’après l’analyse en sous-groupes, un bénéfice significatif du traitement intensif sur le critère principal chez les patients ayant un taux d’HbA1C ≤ 8 % à l’inclusion et chez ceux sans antécédent cardiovasculaire. Quant aux effets indésirables, les hypoglycémies sévères étaient plus fréquentes (4,6 % par an) et la prise de poids plus importante dans le bras « intensif », dépassant même 10 kg chez 28 % des patients.
L’ÉTUDE VADT
L’objectif de l’étude VADT (Veterans’ Affairs Diabetes Trial) était d’évaluer l’efficacité d’un contrôle glycémique intensif sur différents événements cardiovasculaires : mort de cause cardio-vasculaire, infarctus du myocarde, AVC, revascularisation périphérique, amputation et insuffisance cardiaque (6). Les DT2 mal équilibrés sous traitement antidiabétique oral ou insuline étaient éli-gibles. Dans vingt centres nord-américains traitant les vétérans de l’armée, ont été recrutés 1 791 patients âgés en moyenne de 60 ans et ayant un diabète connu et traité environ depuis onze ans. Un grand nombre d’entre eux avaient des antécédents cardiovasculaires (40 %) ou des complications microvasculaires (neuropathie : 43 %, rétinopathie : 62 %). Leur HbA1C était en moyenne à 9,4 % au début de l’étude et, à la fin des six ans de suivi, à 6,9 % dans le bras « intensif » et à 8,4 % dans le bras de traitement standard.
L’étude n’a pas réussi à atteindre son objectif principal et le taux d’événements cardiovasculaires majeurs était un peu plus faible (NS) sous traitement intensif (29,5 %) que sous traitement standard (33,5 %). En ce qui concerne la microangiopathie, une tendance à une moindre progression de la rétinopathie avérée et surtout de l’albuminurie était notée sous traitement intensif. Comme dans l’étude ACCORD, le taux d’hypoglycémies était plus élevé dans le groupe intensif et important (autour de 4 % par an). Ainsi, les résultats de VADT vont dans le même sens que ceux de l’étude ACCORD, c’est-à-dire que l’intensification thérapeutique abaissant l’HbA1C au-dessous de 7 % chez des patients avec un diabète ancien et qui présentent déjà des complications n’apporte pas de bénéfice et serait même néfaste au plan cardio-vasculaire. Dans une analyse a posteriori, il a été mentionné qu’un bénéfice serait obtenu lorsque le diabète est connu depuis moins de douze ans.
L’ÉTUDE ADVANCE
Cette étude menée en Europe auprès de 11 140 patients diabétiques a testé deux voies pour réduire les complications macro et microvasculaires (7) :
– l’une appréciant le bénéfice du contrôle tensionnel avec une association fixe composée d’un IEC (périndopril) et d’un diurétique (indapamide) ;
– l’autre, les effets d’un contrôle glycémique intensif par un traitement comportant un sulfamide (gliclazide MR) ciblant un taux d’HbA1C ≤ 6,5 %.
Les critères d’inclusion étaient : âge ≥ 55 ans et antécédent cardiovasculaire ou microangiopathique ou au moins un autre facteur de risque cardiovasculaire. Le critère principal de jugement était composite et incluait à la fois des événements micro- et macroangiopathiques. Les caractéristiques des patients étaient proches de celles de l’étude ACCORD, mais le diabète était plus récent de deux ans (durée moyenne de huit ans) et le contrôle glycémique meilleur à l’inclusion (valeur médiane d’HbA1C à 7,2 %).
La baisse de l’HbA1C a été progressive et après un suivi de cinq ans, elle se situait à 6,5 % dans le bras « intensif » et demeurait à 7,3 % dans le bras « standard ». Le critère principal composite a été réduit de 10 %, alors que les événements macrovasculaires majeurs n’étaient réduits de manière significative (6 %), les événements microvasculaires majeurs baissaient de 14 % en relation avec une diminution de 21 % de l’incidence de nouveaux cas de néphropathie ou d’aggravation de la néphropathie.
Il s’agissait essentiellement d’une réduction de 30 % de l’incidence d’une macroalbuminurie. Les événements oculaires totaux n’ont pas baissé. Par opposition aux résultats de l’étude ACCORD, la mortalité globale était réduite non significativement de 7 % après quatre ans de traitement intensif. Par rapport à l’étude ACCORD, la baisse glycémique était moins rapide et s’est accompagnée d’un faible taux d’hypoglycémies (0,7 % par an) et de l’absence de gain de poids.
LES LEÇONS À TIRER
L’UKPDS a bien mis en évidence l’importance du contrôle glycémique précoce avec des effets cardiovasculaires bénéfiques sur le long terme. Ces trois grandes études, ACCORD, VADT et ADVANCE, n’ont pas constaté de bénéfice de l’intensification du traitement antidiabétique en termes de risque cardiovasculaire si ce n’est probablement lorsque le diabète est plus récent (moins de douze ans) et en l’absence d’antécédent cardiovasculaire.
L’étude ACCORD a révélé une augmentation de la mortalité de toutes causes avec une zone d’ombre sur les mécanismes impliqués. Concernant la microangiopathie, deux études sur trois fournissent des résultats attendus, sans que cela soit spectaculaire dans l’étude VADT. Ce résultat peut s’expliquer par le profil des patients qui étaient plus âgés, avec un diabète plus ancien (onze ans en moyenne) et très déséquilibré, la présence de complications avancées et sous un traitement déjà lourd.
Les études ACCORD et VADT attirent aussi l’attention sur la fréquence accrue des hypoglycémies avec l’intensification du traitement antidiabétique qui était brutale dans ACCORD.
Chez les DT2, certaines questions ont trouvé des éléments de réponse :
– Quelle doit être la cinétique de baisse glycémique ? Une cinétique douce semble favorable, selon ADVANCE.
– Quels sont les moyens à utiliser ? Des associations de deux ou trois antidiabétiques oraux, puis le recours à l’insuline, conformément aux recommandations de l’HAS 2007 (8).
– Quelle est la meilleure prise en charge pour éviter les complications micro- et macroangiopathiques ? Le contrôle glycémique n’est qu’une des approches.
– Quant à l’objectif d’HbA1C à atteindre : 7 % ou au-dessous ? La réponse à cette question n’est pas simple et doit être personnalisée.
CONSÉQUENCES PRATIQUES
Si l’objectif de 7 % pour l’HbA1C n’est absolument pas remis en question chez les DT2, le bénéfice d’abaisser l’HbA1C au-dessous de 7 % doit être envisagé au cas par cas et le bénéfice de l’intensification du traitement doit être pondéré par les risques encourus. Un avis diabétologique peut être utile. Trois paramètres semblent essentiels à prendre en compte.
L’âge du patient : les diabétiques plus âgés sont plus fragiles, avec des comorbidités fréquentes et des complications souvent déjà existantes. Ceci doit moduler l’objectif d’HbA1C plutôt autour de 7 %. Les hypoglycémies doivent être évitées et la baisse glycémique doit être progressive.
L’ancienneté du diabète : pour contrer la « mémoire glycémique », l’équilibre glycémique doit être assuré précocement dès la découverte du diabète. L’objectif à atteindre en termes d’HbA1C doit être exigeant et se situer au-dessous de 7 % et approcher 6,5 %. A l’opposé, lorsque le diabète évolue depuis plusieurs années et surtout lorsqu’il existe des complications, le risque hypoglycémique est majoré (9) ; l’objectif de 7 % est alors raisonnable.
L’HbA1C : devant une HbA1C › 8 % de longue date avec présence d’antécédents cardiovasculaires, il est judicieux de viser plutôt un objectif autour de 7 %. A l’inverse, une HbA1C < 8 % en l’absence d’antécédent cardiovasculaire peut justifier un objectif < 7 %, voire de 6,5 %, qui pourra protéger au mieux contre les complications micro-vasculaires en particulier néphropathiques. Enfin, dans tous les cas, le contrôle glycémique doit être associé au contrôle tensionnel et lipidique optimal. Cette approche multifactorielle est, en effet, capable de réduire l’incidence des complications micro et macrovasculaires de 50 % chez les DT2 (10).
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