INTRODUCTION
Les recommandations sanitaires 2022 pour les voyageurs parues le 2 juin 2022 (1) ont été approuvées par la Commission spécialisée des Maladies infectieuses et maladies émergentes du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Ces recommandations destinées aux professionnels de santé ont été coordonnées par un collectif d’experts : les Prs Sophie Matheron et Christophe Rapp et le Dr Elisabeth Nicand. Elles comportent des actualisations, principalement au sein des chapitres « Vaccinations », « Risques liés aux arthropodes et protection personnelle antivectorielle » et « Paludisme », mais également ceux abordant la prévention de la maladie thromboembolique, de l’infection par le VIH, du mal des transports ou encore du mal aigu des montagnes.
À noter qu’une prochaine actualisation de ce texte est d’ores et déjà prévue au début de l’automne 2022, suivant la prochaine mise à jour par l’OMS des recommandations vaccinales contre la fièvre jaune et de la prévention vis-à-vis du paludisme.
En termes de présentation, ce texte de référence est rendu dynamique par les liens hypertextes renvoyant sur les sites officiels (2). Par ailleurs, les points des recommandations actualisés en 2022 par rapport à l’édition 2021 y figurent en couleur orange.
Sur le fond, que ce soit pour le paludisme, la fièvre jaune ou la tuberculose, l’épidémie mondiale de Covid-19 a modifié les épidémiologies, portant un coup d’arrêt souvent important à la prévention primaire (désinsectisation, surveillance, campagnes de vaccination, diagnostics, etc.), en particulier dans les pays aux ressources économiques limitées.
Le chapitre sur le paludisme concentre les nouveautés, avec l’abandon de la chloroquine en prophylaxie, ainsi que des vêtements imprégnés de perméthrine pour la protection personnelle antivectorielle, et la mise à jour des recommandations de chimioprophylaxie pour un certain nombre de pays.
UN REBOND DU PALUDISME POST-COVID-19
Concernant le paludisme, une augmentation considérable du nombre de cas et de décès notifiés est constatée dans le monde en post-épidémie de Covid-19. La pression créée par la crise sanitaire sur les systèmes de santé a fortement impacté les activités de lutte contre le paludisme. Malgré cela, la tendance à l’élimination du paludisme à l’échelle de la planète se poursuit car des pays et régions ont continué à progresser vers l’élimination de la maladie depuis 2010. La Chine et le Salvador ont été déclarés exempts de paludisme en 2021.
En France, l’augmentation du nombre de cas en 2021 par rapport à 2020 est très marquée (N = 2185, soit +117 %) avec la reprise des voyages internationaux. Les pays à l’origine des contaminations sont toujours situés en Afrique subsaharienne (99,3 %). Plasmodium falciparum est impliqué dans près de 89 % des cas. La proportion des formes graves reste élevée en 2021 (16,2 %), en légère diminution par rapport à l’année 2020 mais comparable à 2019. Un total de huit décès a été déclaré, soit une létalité de 0,37 % sur l’ensemble des cas et de 2,3 % sur les formes graves, en diminution en proportion par rapport à 2020 et stable par rapport à 2019.
Améliorer le retard au diagnostic
Les experts du HCSP rappellent l’importance de la prévention chez le voyageur se rendant en zone d’endémie du paludisme, mais aussi de limiter au maximum les retards au diagnostic d’accès palustre, qui restent l’un des principaux facteurs de risque de forme grave et de décès : évoquer systématiquement un paludisme en cas de fièvre survenant dans les deux mois suivant le retour de zone endémique, même en cas de recherche ou de diagnostic de Covid-19 ; adresser sans délai les patients aux services hospitaliers compétents ; évoquer le diagnostic en cas de thrombopénie d’étiologie inconnue au retour de zone d’endémie. Il est rappelé que 3 % des cas de paludisme à P. falciparum sont observés plus de deux mois après le retour.
La chloroquine n’est plus recommandée en prophylaxie antipaludique
En matière de chimioprophylaxie antipaludique, l’analyse de la balance bénéfices-risques de la chloroquine a conduit à ne plus recommander son utilisation, ce d’autant que la commercialisation de la forme sirop est interrompue depuis juillet 2021 et que celle des comprimés le sera fin 2022.
Dans les recommandations du HCSP, un tableau liste les risques de transmission et les recommandations de prévention : protection personnelle antivectorielle ou pas, chimioprophylaxie par doxycycline, atovaquone-proguanil ou méfloquine (en dernière intention, en respectant les posologies, modalités de prise, précautions d’emploi et contre-indications) ou pas, pour chaque pays.
De manière générale, pour un séjour court en zone d’endémie du paludisme (durée inférieure à sept jours), et uniquement en zone de transmission faible ou modérée et en contexte de séjour exposant à un faible niveau de transmission, la chimioprophylaxie n’est pas indispensable. À condition que la personne respecte scrupuleusement les règles de protection personnelle antivectorielle et qu’elle soit en mesure, durant les mois qui suivent le retour, de consulter en urgence en cas de fièvre, en signalant la notion de voyage en zone d’endémie palustre.
Pour la prévention des accès palustres à P. vivax (Asie, Amérique, Afrique de l’Est) et P. ovale (Afrique centrale et de l’Ouest), la primaquine est la seule molécule efficace sur les formes hypnozoïtes, responsables des accès de reviviscence), actuellement disponible en Europe, dont la France où sa prescription est recommandée dès le premier accès à P. vivax ou P. ovale. Une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) de cohorte pour la primaquine a été accordée en juin 2020 chez l’adulte dans cette indication.
Les experts renouvellent l’alerte sur le risque lié à la prise de gélules ou tisanes de plantes entières du genre Artemisia pour la prévention ou le traitement du paludisme, et soulignent l’importance d’en informer systématiquement les voyageurs. L’utilisation de ces produits de phytothérapie pour la prévention ou le traitement du paludisme n’est pas autorisée et doit être proscrite : ils n’ont pas fait la preuve de leur efficacité dans le cadre d’études cliniques contrôlées et rigoureuses, leur innocuité n’est pas établie et leur utilisation par les voyageurs pour la prévention ou le traitement du paludisme les expose à une perte de chance.
Les vêtements imprégnés de perméthrine ne sont plus recommandés pour la protection personnelle antivectorielle en population générale
En termes de protection personnelle antivectorielle contre les maladies transmises par les arthropodes, l’actualité en 2022 est l’abandon de la recommandation d’imprégnation des vêtements par la perméthrine pour la population générale compte tenu, d’une part, de l’absence de preuve de son efficacité et, d’autre part, du risque de toxicité, individuelle et environnementale. Ce risque est désormais bien documenté par l’expertise collective de l’Inserm « Pesticides et effets sur la santé. Nouvelles données » et les directives de l’OMS contre le paludisme du 13 juillet 2021. L’imprégnation des vêtements par la perméthrine n’est plus recommandée sauf dans des groupes de population particuliers (réfugiés, militaires) et lorsqu’ils n’ont pas accès aux moustiquaires imprégnées.
LE VIRUS DE LA FIÈVRE JAUNE
Ce virus ne circule plus en Asie du Sud-Est mais reste prégnant en Afrique intertropicale. Le nombre de cas de fièvre jaune a augmenté du fait de la pandémie de Covid-19 dans des régions où, auparavant, le risque de transmission était limité. Ainsi, en Afrique, le nombre de pays ayant signalé des flambées de fièvre jaune n’a jamais été aussi élevé en 2020 selon l’OMS. A contrario, l’actualité en 2022 est qu’il n’existe plus de risque de transmission du virus de la fièvre jaune, ni d’obligation de vaccination, pour l’île de l’Ascension (Royaume-Uni), le Laos, la Libye, les Philippines et le Territoire britannique de l’océan Indien. En revanche, de nombreuses nouvelles zones à risque d’exposition apparaissent, où la vaccination est recommandée par la France en raison d’un risque de transmission : certaines provinces d’Argentine, en Bolivie à l’est des Andes, certaines régions du Brésil et de l’Éthiopie ou encore au Kenya, ainsi qu’en Tanzanie, au Venezuela et en Zambie seulement en cas d’exposition importante aux piqûres de moustiques. Ces recommandations françaises peuvent différer de celles de l’OMS, comme dans le cas du Gabon où l’OMS recommande la vaccination à partir de l’âge d’un an, alors que la France abaisse ce seuil dès l’âge de neuf mois.
La vaccination contre la fièvre jaune est indispensable pour un séjour dans une zone endémique (régions intertropicales d’Afrique et d’Amérique du Sud) ou épidémique, même en l’absence d’obligation administrative. Sans changement, cette vaccination est obligatoire pour les résidents du département de la Guyane (prise en charge dans le cadre des recommandations vaccinales nationales) et pour les voyageurs qui s’y rendent.
L’ENCÉPHALITE JAPONAISE ET LA TUBERCULOSE
Les recommandations aux voyageurs 2022 ont ajouté la Papouasie-Nouvelle-Guinée à la liste des pays à risque (transmission probable) de l’encéphalite japonaise.
Enfin, l’Arabie saoudite, la Fédération de Russie, l’Ukraine et la Croatie font désormais partie des zones géographiques à forte incidence tuberculeuse (> 40 cas/100 000).
LA POLIOMYÉLITE
Il existe un risque persistant de poliomyélite en dépit des progrès pour l’éliminer. La circulation du poliovirus sauvage de type 1 est limitée aux zones déjà bien connues (Afghanistan et Pakistan). Cependant, un nombre non négligeable de pays font face à la circulation des poliovirus dérivés de souches vaccinales avec le risque de poliomyélite (paralysie flasque aiguë) si ces virus acquièrent à nouveau des critères de virulence. Aussi, pour les voyageurs ayant été vaccinés contre la poliomyélite, il y a plus d’un an avec des vaccins inactivés, comme cela est pratiqué dans la plupart des pays européens, l’administration d’une dose de vaccin contre la poliomyélite (vaccin monovalent ou vaccin conjugué diphtérie-tétanos-polio, par exemple) est recommandée lors de séjours dans ces pays (liste actualisée sur le site du ministère de l’Europe et des affaires étrangères ou auprès d’un centre de vaccinations internationales) pendant au moins quatre semaines dans des conditions d’hygiène précaire. L’objectif est alors de renforcer l’immunité muqueuse intestinale.
LA PrEP ENTRE DANS LES RECOMMANDATIONS AUX VOYAGEURS
Dans le chapitre sur les risques liés au comportement sexuel, la prophylaxie antirétrovirale pré-exposition (PrEP) fait son apparition dans le texte officiel des recommandations, avec une réflexion sur l’intérêt de la prescrire chez certains voyageurs, en plus de l’usage du préservatif. La PrEP trouve son indication en cas de prise de risque d’acquisition du VIH. Les rapports non protégés avec des partenaires multiples ou dans un pays de forte endémie avec des personnes autochtones peuvent constituer une indication à proposer la PrEP intermittente ou continue pendant la durée du voyage (lire notre dossier FMC « La PrEP en médecine de ville », Le Généraliste n° 2970).
LE MAL DES TRANSPORTS ET DES MONTAGNES
Concernant le mal des transports, la scopolamine (anticholinergique non sélectif) sous forme de patch transdermique de 1 mg (appliqué derrière l’oreille 4 heures avant le voyage et éventuellement 72 heures après) est une alternative aux antihistaminiques de 1re génération à l’effet sédatif (diménhydrinate, diphénhydramine, méclozine), en une prise 2 heures avant le départ, en préventif. La scopolamine est réservée aux sujets âgés de plus de 15 ans et déconseillée au cours de la grossesse et de l’allaitement.
À propos de la prévention du mal aigu des montagnes, elle repose sur une ascension progressive et une adaptation à l’altitude de quelques jours, au repos. En l’absence de contre-indication aux sulfamides (allergie croisée dans 10 % des cas), l’acétazolamide peut être prescrit. Le traitement est à débuter 2 jours avant l’arrivée en haute altitude et à poursuivre pendant 2 jours après avoir atteint le point culminant, si la descente n’est pas effectuée rapidement. L’acétazolamide doit être administré en deux prises quotidiennes de 125 mg (250 mg au-delà de 80 kg) le matin et en début d’après-midi (chez l’enfant, 2,5 à 5 mg/kg/j en 2 prises, maximum 125 mg/prise).
UNE ÉCHELLE POUR LE RISQUE THROMBOEMBOLIQUE
Le transport aérien est un facteur de risque de maladie thromboembolique, multipliant le risque par deux ou trois de thrombose veineuse profonde (TVP) dès 4 heures de vol, et d’autant plus que le vol est long. Une échelle de risque, laquelle tient compte du terrain de chaque personne et de la durée du vol, a été ajoutée dans l’édition des recommandations de 2022. Certains voyageurs peuvent avoir un facteur de risque indépendant : antécédents personnels ou familiaux de thrombose veineuse ou d’embolie pulmonaire, thrombophilie, cancer actif (en cours de traitement, traitement < 6 mois ou palliatif), grossesse et post-partum, contraception œstroprogestative ou traitement hormonal substitutif, obésité (IMC > 30), âge avancé, tailles extrêmes, hospitalisation pour traumatisme ou intervention chirurgicale sous anesthésie générale récente (< 4 semaines) concernant notamment l’abdomen, le bassin ou les membres inférieurs, et tabagisme.
La déambulation, les mouvements des membres inférieurs et l’hydratation satisfaisante sont conseillés chez tous les voyageurs. En présence d’au moins un facteur de risque de thrombose, le port de chaussettes ou bas de contention de classe 2 (pression à la cheville de 15 à 30 mmHg) est recommandé. Si l’efficacité de cette mesure sur la prévention de la thrombose veineuse profonde n’est pas scientifiquement établie, elle réduit au moins l’œdème des membres inférieurs.
L’indication des anticoagulants est clarifiée dans l’édition 2022 (jamais d’aspirine), qui insiste sur la vérification soigneuse des contre-indications, et en particulier l’adaptation à la fonction rénale : les héparines de bas poids moléculaire ou le fondaparinux (inhibiteur du facteur X) n’ont pas d’indication validée mais sont parfois prescrits hors AMM, à dose prophylactique ou en cas de risque très élevé de thrombose, en complément des autres mesures préventives. La place des anticoagulants oraux directs (AOD) n’est pas définie.
Hélène Joubert (rédactrice) avec le Pr Sophie Matheron (Paris), le Dr Elisabeth Nicand (Villenave d’Ornon) et le Pr Christophe Rapp (Paris), membres de la Commission spécialisée des Maladies infectieuses et maladies émergentes (CS MIME) du Haut Conseil de la santé publique.
BIBLIOGRAPHIE
1. Recommandations sanitaires pour les voyageurs, 2022 (à l’attention des professionnels de santé). Hors-série BEH/2 juin 2022.
2. Disease outbreak news (DONs), OMS, https://www.who.int/emergencies/
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