INTRODUCTION
En 2014, une étude française (1) révélait que sur 1 079 patients consultant leur médecin généraliste, 15,6 % rapportaient des symptômes proctologiques dans le mois précédent (auto-questionnaire), alors qu’ils n’étaient que 2 % à oser consulter pour ce symptôme. L’examen proctologique n'a été réalisé au final que dans 35 % des cas. Sa réalisation a permis un meilleur taux diagnostique : 76 % des cas vs 20 % sans examen. Cette étude souligne à la fois la forte prévalence des pathologies proctologiques dans la population générale, le tabou des patients et des praticiens (à en parler, à examiner, à accepter d’être examiné) et les difficultés diagnostiques autour de ces pathologies. Bien que l’enseignement initial et la formation médicale continue aient beaucoup évolué, la formation des médecins en proctologie est souvent insuffisante en regard de la fréquence des demandes de la population dans ce domaine. Dans cette mise au point, nous nous focaliserons sur les urgences proctologiques, dont la plainte principale est la douleur aiguë, et des gestes qui peuvent être effectués au cabinet du médecin généraliste. Pour cette prise en charge, un équipement de base est nécessaire (tableau 1).
DE L'EXAMEN CLINIQUE À LA PRISE EN CHARGE
À l’heure des explorations complémentaires complexes, la proctologie reste une spécialité pour laquelle le temps de l’interrogatoire et de l’examen physique s’avère d’une importance cruciale. Attentives, les investigations anamnestiques orientent le praticien vers l’un ou l’autre des grands syndromes proctologiques (tableau 2). Redouté par les patients, l’examen physique doit être préalablement expliqué.
L’examen se fait avec un patient installé en position genu-pectorale ou en décubitus latéral. L’inspection avec déplissement minutieux de la marge anale doit rechercher une thrombose hémorroïdaire (figure 1), une fissure anale (figure 3) ou encore un abcès de la marge anale (figure 2) ou du sillon inter-fessier (sinus pilonidal infecté). Le toucher anal se fait avec lubrification : une palpation bi-digitale du canal anal entre le pouce et l’index, recherchant principalement un abcès intra-mural dans le canal anal, une induration évoquant un cancer ou un fécalome. À ce stade de l’examen, la grande majorité des diagnostics urgents peut être fait.
Une anuscopie peut ensuite être réalisée. Introduit progressivement, après lubrification, dans l’axe du canal anal, l’appareil permet une analyse fine du bas rectum, de la jonction ano-rectale et du canal anal (2-4). Elle est surtout utile pour évaluer la pathologie hémorroïdaire interne (qui n’est pas une urgence), la muqueuse rectale (permet d’évoquer une MICI ou une ano-rectite infectieuse à Chlamydiae ou gonocoque) ou encore pour rechercher des condylomes du canal anal. La rectoscopie au tube rigide prolonge utilement l’exploration, parfois au-delà de la charnière recto-sigmoïdienne. Elle permet surtout d’éliminer une tumeur du rectum ou de surveiller l’évolution d’une RCH, mais ne remplace pas une coloscopie si elle est indiquée.
→ La thrombose hémorroïdaire externe
La thrombose hémorroïdaire se manifeste par des douleurs permanentes associées à une tuméfaction souvent bleutée plus ou moins œdémateuse de la marge anale. Le traitement est avant tout médical, essentiellement basé sur les AINS (après avoir éliminé de manière formelle un abcès), les antalgiques (de palier 2 si nécessaire) et des topiques (contenant corticoïdes et anesthésiques locaux). Les thromboses œdématiées (figure 1) et a fortiori les prolapsus internes thrombosés sont des contre-indications à un geste d’incision ou d’excision, tout comme la prise d’anticoagulants ou antiagrégants plaquettaires (sauf aspirine). Les thromboses hémorroïdaires externes symptomatiques, non œdémateuses et constituées d’un caillot prédominant, peuvent être une bonne indication d’incision ou d’excision (cette dernière étant plus efficace que l’incision mais nécessite du matériel chirurgical et une formation spécifique). L’incision peut être faite en cabinet sous anesthésie locale (xylocaïne adrénalinée 1 %), de façon perpendiculaire aux plis radiés et loin du canal anal pour éviter l’apparition d’une fissure, avec réalisation d’un pansement compressif.
→ Abcès et suppurations périnéales
La survenue d’un abcès de la marge anale, quelle qu’en soit l’étiologie, nécessite un drainage adapté. Les antibiotiques ne sont pas le traitement des suppurations, et leur prescription doit être réservée aux patients immunodéprimés ou diabétiques. Cet abcès ne doit surtout pas être confondu avec une thrombose hémorroïdaire, car la prescription d’AINS peut aboutir à des catastrophes (gangrène de Fournier). Le diagnostic doit être évoqué devant des douleurs périnéales permanentes, pulsatiles souvent insomniantes avec une tuméfaction péri-anale rougeâtre. À noter, le diagnostic délicat d’abcès intramural (abcès situé entre les sphincters externe et interne) qui se fait uniquement au toucher anal par la mise en évidence d’un bombement douloureux du canal anal.
La prise en charge en urgence, réalisable au cabinet, se fait par incision avec une simple lame froide de bistouri après anesthésie locale (hors abcès intramural dont le traitement ne peut se faire qu’au bloc). Elle permet de soulager rapidement le patient et de contrôler l’infection. Le médecin généraliste entraîné peut pratiquer ce geste sans crainte, mais doit garder à l’esprit la nécessité d’une consultation spécialisée en proctologie, à la recherche d’une fistule le plus souvent associée.
→ La fissure anale
La fissure anale est le premier diagnostic à évoquer devant des douleurs défécatoires (parfois très intenses) plus ou moins associées à des saignements anaux. La cause principale est la constipation. Le diagnostic se fait facilement en déplissant les plis radiés de l’anus (figure 3), en mettant en évidence une plaie commissurale postérieure ou antérieure. Le traitement de première intention est médical, avec une régulation du transit (augmentation du régime en fibres, laxatifs), l’utilisation de topiques cicatrisants (Titanoréïne® suppositoire + Bepanthen® pommade sur le suppositoire le soir, par exemple) pour huit semaines et des antalgiques de niveau 2 si nécessaire. La cicatrisation doit être vérifiée.
→ Les ano-rectites infectieuses
Chez les patients ayant des rapports anaux, une cause de plus en plus fréquente à évoquer devant une douleur anale est une infection sexuellement transmissible (Chlamydiae, gonocoque, herpès…). Les patients peuvent se plaindre de douleurs anales, de ténesmes, d’épreintes, de faux besoins, d’écoulements glairo-sanglants. L’examen clinique peut retrouver des ulcérations atypiques de la marge anale (figure 4), une rectite à l’anuscopie ou encore une adénopathie inguinale qui est très évocatrice. Le diagnostic se fait en laboratoire de ville par une PCR Chlamydiae/gonocoque sur écouvillon rectal. Le traitement repose sur une injection unique de ceftriaxone 500 mg en IM pour le gonocoque, et de la doxycycline 100 mg x 2 par jour pendant trois semaines pour Chlamydiae. Les autres IST doivent être recherchées concomitamment (HIV, VHB, VHC, syphilis).
→ Le fécalome
Le fécalome peut se présenter sous différentes formes : constipation, douleurs pelviennes et fuites fécales par débordement. Le toucher rectal, qui pose le diagnostic de fécalome, permet aussi de le fragmenter avant de proposer un traitement par lavements et laxatifs.
EN RÉSUMÉ
Les principaux diagnostics à évoquer devant une douleur anale aiguë sont la thrombose hémorroïdaire externe, la fissure anale et l’abcès périnéal, ainsi que le fécalome et les infections sexuellement transmissibles (ano-rectite à Chlamydiae ou gonocoque, et herpès anal). Un examen proctologique est indispensable avant toute prescription. Un examen minutieux de la marge anale et un toucher anal permettent de faire le diagnostic dans la grande majorité des cas. Cette exploration peut éventuellement être complétée par une anuscopie. Il faut s’assurer de l’absence d’abcès avant toute prescription d’AINS. L’incision (+/-excision) d’une thrombose hémorroïdaire externe peut être réalisée si celle-ci est unique, symptomatique et non œdémateuse, afin de soulager le patient plus rapidement. L’incision d’un abcès est un geste simple et très utile permettant de soulager le patient immédiatement et de limiter l’infection avant la prise en charge par le chirurgien (tableau 3).
Bibliographie
1. Tournu G, Abramowitz L, Couffignal C, Juguet F, Senejoux A, Berger S, et al. Prevalence of anal symptoms in general practice: a prospective study. BMC family practice. 2017;18(1):78.
2. Ph G, editor. Traité de Proctologie. Médecine-Sciences Flammarion ed2007.
3. Siproudhis L PY, Bigard MA, editor. Traité des maladies de l’anus et du rectum. Masson ed2006.
4. Denis J GR, Puy-Montbrun T., editor. Proctologie pratique. Masson ed1999
Liens d'intérêts
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts relatif au contenu de cet article.
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