Opinions des généralistes sur la « déprescription » en pratique quotidienneWallis KA, Abby A, Henderson M.. Swimming Against the Tide: Primary Care Physicians’ Views on Deprescribing in Everyday Practice Ann fam Med 2017;15:341-6.
CONTEXTE
Environ 10 % des hospitalisations aux urgences des patients âgés sont liées aux effets indésirables des médicaments (1), dont les deux tiers sont évitables (2). Le facteur le plus prédictif est le nombre de médicaments consommés par un patient (3). Malgré les nombreux guides de prescription, environ 20 % des médicaments reçus par les sujets âgés sont inappropriés (4), c’est-à-dire hors indication ou à balance bénéfice/risque défavorable. La majorité des études ayant pour objectif de faciliter la déprescription ont été faites dans les maisons de retraite, dans des situations complexes, ou se sont intéressées aux points de vue des patients.
OBJECTIFS
Explorer les points de vue des médecins généralistes (MG) Néo-Zélandais sur les obstacles et les incitations à la déprescription.
METHODE
étude qualitative à l’aide d’entretiens individuels semi-dirigés. L’échantillon de MG a été recruté par téléphone, email ou contact personnel, sélectionné par la méthode boule de neige, et diversifié en fonction de leurs caractéristiques (âge, genre, ancienneté de pratique, activité rurale ou urbaine, etc.). Trois chercheurs ont réalisé les entretiens en face à face ou par téléphone, avec la même grille de questions testée dans une étude pilote antérieure, et jusqu’à saturation des données. Tous les entretiens ont été enregistrés, transcrits et codés indépendamment par deux chercheurs selon la méthode de la ground theory, pour aboutir à trois thèmes principaux : facteurs socioculturels, personnels/relationnels, et organisationnels.
environ 20 % des médicaments reçus par les sujets âgés sont inappropriés
RESULTATS
24 entretiens (30 min en moyenne) ont été suffisants pour obtenir la saturation des données. En général, les MG pensaient que la déprescription était un sujet important pour la sécurité des patients. Cependant, ils évoquaient des obstacles très nombreux (« Il faut nager à contre courant ») et des aides très rares. La prescription était une option facile, alors que la déprescription consommait beaucoup de temps et exposait leurs patients et eux-mêmes à des « risques ». Les premiers attendent « une pilule par maladie », encouragés qu’ils sont par la publicité grand public, autorisée en Nouvelle-Zélande et sur Internet.
Les attentes des patients formaient le principal obstacle socio-culturel : certains « voient leurs médicaments comme une barrière entre eux et la mort », « quand ils ont un problème, ils pensent qu’un médicament va les régler ».
Parmi les obstacles personnels ou relationnels, figuraient l’incertitude et la crainte de l’opinion du patient et la volonté de préserver la relation : « Si je lui retire un médicament et qu’il lui arrive quelque chose, il va penser que je suis négligent, incompétent ou un mauvais docteur » ; « Je peux donner au patient l’impression que je me désintéresse de sa santé et que compte tenu de son âge, les médicaments ne servent plus à rien ». Il y avait aussi la difficulté à retirer un médicament prescrit par un spécialiste.
Enfin, il y avait les obstacles organisationnels : « En 15 minutes, je n’ai pas le temps d’engager une conversation pour déprescrire, et je n’ai pas été formé à ça », ou provenant des autorités de santé : « Les guidelines ne s’intéressent qu’à une maladie, mais mes patients âgés en ont toujours plusieurs. Et moi, j’ai besoin de guidelines sur les multimorbidités » ; ou « La majorité des guides de pratique vous suggère d’ajouter un médicament plutôt que d’en retirer un ».
Enfin, en termes d’aide, les MG ont cité une formation initiale à la déprescription (repérage des médicaments inutiles ou dangereux et habiletés pour communiquer avec le patient sur ce sujet), des alertes pertinentes sur l’écran de leur ordinateur, une base de données accessible sur les multimorbidités, un accès téléphonique immédiat à des experts en thérapeutique, et une campagne grand public sur le médicament clamant que « less is better ».
COMMENTAIRES
Il n’est pas dans les habitudes de cette rubrique de se pencher sur les études qualitatives, de très faible niveau de preuve (étude d’opinions) et aux résultats non chiffrés. Via des méthodes validées (ce qui est le cas ici), elles visent à répondre aux questions du comment ou du pourquoi, non à la question du combien. Dans le cas présent, l'étude s’est intéressée à l’opinion des médecins afin de construire un essai d’intervention randomisé sur les MG après formation à une démarche de déprescription basée sur leurs opinions et les données de la science, et de mesurer l’effet de cette intervention sur les ordonnances, et espérons-le, sur la santé des patients.En pratique, nul doute que les lecteurs réguliers de cette rubrique y retrouveront leurs préoccupations quotidiennes sur ce sujet. Finalement, la Nouvelle-Zélande n’est pas si éloignée de l’hexagone (sauf en rugby !).
Bibliographie
1- Budnitz DS, et al. Emergency hospitalizations for adverse drug events in older Americans. N Engl J Med. 2011;365:2002-12.
2- Hakkarainen KM, et al. Percentage of patients with preventable adverse drug reactions and preventability of adverse drug reactions: a meta-analysis. PLoS One. 2012;7(3):e33236.
3- Fried TR, et al. Health outcomes associated with polypharmacy in community dwelling older adults: a systematic review. J Am Geriatr Soc. 2014;62:2261-72.
4- Opondo D, et al. Inappropriateness of medication prescriptions to elderly patients in the primary care setting: a systematic review. PLoS One. 2012;7(8):e43617.
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