Metformine et mortalité chez les patients atteints d’insuffisance rénale sévère : étude de cohorte observationnelle rétrospective.
Hung SC, Chang UK, Liu JS et al. Metformin use and mortality in patients with advanced chronic kidney disease: national, retrospective, observational, cohort study. Lancet Diabetes Endocrinol 2015;3:605-14.
CONTEXTE
Partout dans le monde, la metformine (1,2) est le traitement pharmacologique de 1re intention des patients diabétiques de type 2 (DT2). Néanmoins, il est préconisé d’utiliser ce médicament avec précaution chez les patients insuffisants rénaux légers à modérés à cause d’un risque hypothétique d’acidose lactique. Ces précautions ont été élargies à la suite de la publication des conclusions rassurantes du registre REACH(3). Cependant, il n’y avait aucune donnée de mortalité liée à la metformine chez les patients insuffisants rénaux sévères.
OBJECTIF
Evaluer la sécurité d’emploi de la metformine en monothérapie chez les patients DT2 atteints d’une insuffisance rénale sévère (stade 5).
MÉTHODE
Étude taïwanaise de cohorte observationnelle rétrospective dans une population de patients DT2 insuffisants rénaux inclus prospectivement entre janvier 2000 et juin 2009 et suivis jusqu’au 31 décembre 2009. Le critère d’inclusion dans la cohorte était un DT2 et une créatininémie ≥ 60 mg/L, (clairance < 30mL/mn par 1,73 m2). Les patients pouvaient recevoir de l’érythropoïétine (marqueur de la sévérité du stade 5) pour traiter l’anémie associée à l’insuffisance rénale.
Dans cette population, les auteurs ont apparié les patients prenant de la metformine en monothérapie et ceux qui n’en prenaient pas dans un rapport 1:3, à l’aide d’un score de propension. Le critère de jugement principal était la mortalité toutes causes, ajustée sur une dizaine de facteurs confondants regroupés en un index de comorbidité dit de Charlson. Le critère de jugement secondaire était les épisodes d’acidose lactique.
L’analyse statistique en intention de traiter a utilisé la méthode de Kaplan-Meyer et un modèle de Cox ajusté sur les caractéristiques des patients à l’inclusion. Afin d’évaluer l’effet-dose, les auteurs ont fait des analyses de sensibilité stratifiées sur l’ancienneté du traitement selon la technique de mesure de Defined Daily Dose (DDD) et la posologie quotidienne.
RÉSULTATS
12 350 patients (1 005 utilisateurs de metformine et 11 345 non-utilisateurs) ont été inclus avec un suivi médian de 2,1 ans (0,3-9,8). Dans cette population, les auteurs ont apparié 813 utilisateurs de metformine à 2 439 non-utilisateurs. Cette méthode a fait que leurs caractéristiques étaient comparables à l’inclusion : âge moyen 67 ans, ancienneté du DT2 = 6 ans, index de Charlson élevé à 5,5. 85 % des patients étaient sous érythropoïétine.
Pendant le suivi de cohorte, il y a eu 413 (53 %) décès dans la population metformine en monothérapie et 1 012 (41 %) dans la population témoin. Après ajustement sur les facteurs confondants, la metformine était un facteur indépendant d’augmentation de la mortalité toutes causes : HR = 1,35 ; IC95 % = 1,20-1,51, p < 0,0001. Cette surmortalité était dose dépendante.
Il n’y a pas eu de différence sur l’incidence des épisodes d’acidose lactique : 1,6 pour 100 patients/an dans la population metformine vs 1,3 pour 100 patients/an chez les non-utilisateurs, HR ajusté = 1,30, IC95 % = 0,88-1,03, p = 0,19.
COMMENTAIRES
Même si la réputation de la metformine est probablement en partie usurpée (4), elle est recommandé en 1re intention dans tous les pays développés. Les résultats de cette étude ont montré qu’elle augmentait de 35 % la mortalité totale des patients DT2 atteints d’insuffisance rénale sévère (créatininémie ≥ 60 mg/L) à la santé très précaire (41 % de décès en 2,1 ans dans la population témoin), et que cette augmentation était corrélée à la durée et à la posologie de ce principe actif. Les effets pharmacologiques du surdosage de la metformine sur les mitochondries des patients insuffisants rénaux rendent la corrélation plausible (5).
Curieusement, il n’y a pas eu davantage d’épisodes d’acidose lactique. Ce risque grave sous-tend la contre-indication relative de la metformine en cas d’insuffisance rénale légère à modérée, mais son incidence est microscopique (6), et non différente ce celle des non exposés dans une population à fonction rénale encore bien plus altérée.
Bien qu’elle soit la seule au monde, et comme toutes les études de cohorte rétrospectives, le niveau de preuve de ce travail est relativement faible malgré toutes les précautions d’ajustement et biostatistiques prises par les auteurs. Cependant, à leur décharge, il n’aurait pas été éthiquement acceptable de faire un essai randomisé en double insu pour répondre à leur question de recherche.
En pratique, la metformine a une excellente sécurité d’emploi chez les patients diabétiques de type 2 à l’exception de ceux atteints d’une insuffisance rénale sévère qui ne sont pas les plus nombreux (0,5 % dans ENTRED) en médecine générale.
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