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Prévention et prise en charge des cancers chez les sujets VIH+

Publié le 13/09/2024
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Face à l’évolution du type de cancers touchant les personnes vivant avec le VIH, l’ANRS-MIE propose de nouvelles recommandations. Si certaines spécificités de dépistage perdurent, le traitement se standardise.

Crédit photo : CDC/PHANIE

Par Irène Lacamp, d’après la recommandation de l’ANRS-MIE « Dépistage et prise en charge des cancers chez les personnes vivant avec le VIH », mars 2024

INTRODUCTION

Avec l’augmentation de l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH (PVVIH), l’épidémiologie des cancers dans cette population évolue. Si les cancers classant Sida comme la maladie de Kaposi restent présents, leur taux d’incidence a significativement diminué – passant d’environ 100 pour 100 000 personnes-années (PA) chez les femmes et 400 pour 100 000 PA chez les hommes sur la période 1997-2007, à moins de 50 pour 100 000 PA chez les femmes et 150 pour 100 000 PA chez les hommes sur la période 2008-2018, selon la cohorte ANRS FHDH.

Au contraire, l’incidence de nombreux cancers liés à l’âge augmente. Par exemple, le taux d’incidence des cancers de la prostate a triplé entre 1997-2007 et 2008-2018. Notons aussi une croissance notable du cancer colorectal ou du canal anal en particulier chez les femmes.

Dans ce contexte, l’Agence nationale de recherche sur le Sida, les hépatites et les maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE) propose de nouvelles recommandations de dépistage et de prise en charge des cancers chez les personnes vivant avec le VIH. La plupart des conclusions relèvent d’un grade B ou C, la littérature disponible sur ce sujet permettant rarement d’émettre des recommandations de grade A faute d’un niveau de preuve suffisant.

Si la conduite à tenir s’approche de plus en plus de celle préconisée en population générale, certaines spécificités de dépistage ou de prise en charge sont à connaître.

DÉPISTAGE DES CANCERS

> Cancer du col de l’utérus

Le dépistage du cancer du col de l’utérus chez les femmes vivant avec le VIH conserve certaines particularités mais les recommandations sont simplifiées et se rapprochent de celles applicables en population générale.

Chez les femmes de 25 à 30 ans vivant avec le VIH, tandis qu’un frottis annuel avec cytologie était jusqu’à présent systématiquement requis, désormais :

– En cas de taux de CD4 ≥ 350/μL et de nadir T CD4 > 200/µL, les recommandations sont les mêmes qu’en population générale : un frottis annuel avec cytologie est préconisé uniquement les deux premières années, à renouveler ensuite seulement après 3 à 5 ans en cas de résultats normaux.

– En cas de taux de CD4 ou de nadir bas (<350/µL et ≤ 200/µL respectivement), un frottis avec cytologie reste en revanche préconisé tous les ans.

À partir de 30 ans, chez les femmes vivant avec le VIH mais présentant une infection bien contrôlée, le dépistage peut se faire de la même façon qu’en population générale – soit un test HPV tous les 5 ans.

Comme en population générale, le dépistage est indiqué jusqu’à 65 ans – et au-delà de cet âge en cas d’antécédents de lésions intraépithéliales ou d’infection persistante à HPV à haut risque, en fonction de l’état général.

> Cancer anal

Les recommandations de dépistage opportuniste du cancer anal sont actualisées du fait de la révision, en 2023, des préconisations de la Société nationale de coloproctologie française.

Selon ces guidelines, un dépistage peut être proposé aux personnes chez qui l’incidence du cancer anal dépasse 45 cas pour 100 000 personnes-années :

- hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) à partir de 30 ans ;

- femmes présentant des antécédents de lésions vulvaires cancéreuses ou précancéreuses ;

- femmes transplantées d’organe solide depuis plus de 10 ans.

L’ANRS-MIE propose également d’inclure les femmes de plus de 30 ans vivant avec le VIH et présentant un antécédent de lésion du col de stade CIN2 ou plus.

Le dépistage se fait par un test HPV16. En cas de résultat négatif, le test peut être renouvelé tous les cinq ans. En cas de résultat positif, sont requis un examen clinique proctologique et une cytologie, qui, en cas de positivité, doit conduire à une anuscopie haute résolution (AHR). En cas de résultat normal à l’AHR, les tests peuvent être renouvelés à 3 ans. En cas de lésion intraépithéliale de bas grade, une cytologie ou une AHR annuelle sont indiquées. Des lésions intraépithéliales de haut grade nécessitent un traitement puis une surveillance.

Des obstacles à la mise en œuvre de ces recommandations concernent toutefois un nombre insuffisant de proctologues et d’AHR, et une absence de remboursement du test HPV16 dans cette indication.

Par ailleurs, la présence d’une symptomatologie en faveur d’une pathologie anale (saignement, douleur, perception d’une formation au niveau de l’anus, etc. ) doit être systématiquement recherchée aussi bien chez les hommes que chez les femmes, à chaque consultation, et doit conduire à un examen proctologique complet par un gastro-entérologue/proctologue.

Le dépistage du cancer anal ne se substitue pas au dépistage du cancer colorectal auquel les sujets VIH doivent se soumettre selon les recommandations habituelles.

> Cancer broncho-pulmonaire

Au regard des discussions actuelles autour du dépistage du cancer broncho-pulmonaire en population générale, l’ANRS-MIE recommande un dépistage individuel, au cas par cas, chez les PVVIH à risque (sujets âgés de 50 à 74 ans, ayant eu un tabagisme > 10 cigarettes par jour pendant 30 ans ou > à 15 cigarettes par jour pendant 25 ans, sevrées depuis moins de 10 ans).

Ce dépistage – non validé en dehors d’expérimentations en population générale mais qui a fait l’objet d’une étude de faisabilité chez les fumeurs vivant avec le VIH - peut être réalisé par scanner faible dose, sans injection. Le dépistage peut être stoppé après trois résultats normaux.

> Hépatocarcinome

Les données épidémiologiques confirment l’augmentation du risque de cancer du foie en cas d’infection par le VIH et co-infection par le VHB ou le VHC.

Chez les PVVIH, le carcinome hépato-cellulaire doit être dépisté en cas de fibrose F3 ou F4 quelle qu’en soit la cause (y compris après guérison du VHC en cas de fibrose pré-existante).

Ce dépistage repose sur une échographie doppler hépatique tous les 6 mois.

Il est également préconisé chez certains sujets VHB à risque même en l’absence de fibrose F3 ou F4.

> Cancer de l’oropharynx

En théorie, toute personne vivant avec le VIH doit bénéficier d’un dépistage du cancer de l’oropharynx via un examen buccal annuel, (surtout en cas de prise excessive d’alcool ou de tabagisme chronique). Les lésions pré-cancéreuses HPV-induites, situées au fond des cryptes amygdaliennes, peuvent toutefois être difficiles à déceler.

> Autres cancers

Pour les cancers de la prostate, du sein, du colon, de la vessie et de la peau, les recommandations de dépistage sont celles de la population générale. Il n’existe aucune spécificité de dépistage chez les PVVIH.

PRINCIPES GÉNÉRAUX DE PRISE EN CHARGE

> Équité

Alors qu’il y a quelques années, certaines thérapeutiques oncologiques se voyaient en pratique contre-indiquées chez les PVVIH du fait d’inquiétudes concernant un potentiel cumul d’immunodépression, l’infection par le VIH est désormais considérée comme une comorbidité classique, à prendre en compte et à traiter mais qui ne doit pas empêcher la prise en charge des cancers selon les standards oncologiques (y compris immunothérapies).

Ainsi, priorité sera donnée systématiquement au traitement oncologique, et les combinaisons d’antirétroviraux seront adaptées au préalable ou dès que possible en cas d’urgence oncologique.

> Contrôle virologique

Chez les PVVIH atteintes de cancer, le maintien d’un contrôle virologique demeure indispensable - diverses études de cohorte suggérant qu’une réplication non contrôlée du virus affecte la réponse oncologique et le pronostic vital. Cependant, alors qu’auparavant, un contrôle rapproché du taux de CD4 et de la charge virale était recommandé systématiquement pour toutes les PVVIH, la surveillance s’allège.

Après initiation d’un traitement oncologique, il est proposé de surveiller la charge virale et le taux de CD4 tous les 3 mois. Une surveillance plus rapprochée de la charge virale VIH (par exemple tous les mois) pourra se justifier en cas d’interactions médicamenteuses, d’apparition de mucites, de suspicion de malabsorption ou de mauvaise observance, ou de modification des traitements antirétroviraux à l’initiation de la chimiothérapie.

CANCERS PARTICULIERS

Les recommandations décrivent de nouvelles conduites à tenir dans la prise en charge de certains cancers particuliers.

> Maladie de Castleman

Des recommandations spécifiques sont consacrées à la maladie de Castleman, prolifération oligoclonale des lymphocytes B induite par Herpès virus humain de type 8 (HHV8), absente des guidelines antérieures.

Le diagnostic peut être soutenu par la mesure de la charge virale HHV8 – la maladie de Castleman apparaissant associée à une charge virale plus élevée que la maladie de Kaposi (voir ci-dessous).

La pathologie pouvant s’avérer grave – avec un risque d’anémie sévère, d’hémolyse, de syndrome d’activation macrophagique –, la prise en charge se fait en urgence dès la suspicion diagnostique par étoposide. Dans un second temps, un traitement de fond visant à calmer le syndrome d’activation macrophagique ou l’inflammation est préconisé.

> Maladie de Kaposi

Concernant le diagnostic de la maladie de Kaposi et le bilan d’extension, une nouveauté apportée par ces recommandations concerne la place de la charge virale HHV8 : en cas de maladie de Kaposi extensive avec un syndrome inflammatoire trouble, une charge virale HHV8 sur sang total est indiquée afin de se prononcer sur un éventuel diagnostic différentiel d’autres maladies induites par HHV8 – comme la maladie de Castleman. Ainsi, une charge virale inférieure à 2 log10 copies/mL apparaît fortement en défaveur d’une autre maladie HHV8.

En termes de traitement, les indications de chimiothérapie systémique sont précisées sans réelle évolution.

> Cancer de la vessie

Pendant longtemps, en cas de cancer de la vessie, la BCG-thérapie par instillation intravésicale – pourtant considérée en population générale comme particulièrement efficace –, demeurait non recommandée chez les personnes vivant avec le VIH du fait d’un risque de mycotuberculose disséminée. Cependant, des séries de cas font relativiser la fréquence de ce type de complications. Aussi, sous réserve d’une surveillance rapprochée et chez les patients présentant une bonne immunité, la BCG-thérapie n’est désormais plus contre-indiquée.

SURVEILLANCE ET PROPHYLAXIE DES CO-INFECTIONS

> Les infections opportunistes

Les cancers sont suspectés d’augmenter le risque d’infections opportunistes chez les sujets VIH+. Cependant, des données recueillies auprès d’une cohorte de vétérans suggèrent que seuls les cancers hémato-logiques sont associés à un surrisque d’infections opportunistes dans cette population. Pour les cancers solides, le risque d’infection opportuniste apparaît similaire à celui de la population générale en cas d’infection VIH contrôlée.

Ainsi, la prophylaxie et la surveillance des infections opportunistes est allégée.

Prophylaxie de la pneumocystose et de la toxoplasmose

Autrefois préconisée de façon universelle chez toutes les PVVIH atteintes de cancer solide nécessitant une chimiothérapie, la prophylaxie de la pneumocystose et de la toxoplasmose n’est désormais plus indiquée que dans deux situations :

– face à un déficit immunitaire important (taux de CD4 < 200/mm3 ou < 15 %) lors du bilan initial uniquement ;

– face à un surrisque de pneumocystose (> 2,5 %) lié au type de cancer en présence ou au traitement oncologique indiqué, comme en population générale.

Les patients atteints de cancers solides vivant avec le VIH mais présentant une infection bien contrôlée n’ont plus à recevoir de prophylaxie.

● Surveillance de l’infection à cytomégalovirus (CMV)

La surveillance de la virémie CMV n’est désormais plus systématique, mais réservée aux patients avec un taux de CD4 < 100/mm3 ou en cas d’allogreffe.

> Co-infections VHB OU VHC

Un dépistage systématique des co-infections à VHB ou VHC reste indiqué afin de prévenir toute réactivation potentielle.

En cas de co-infection VHB, la prévention d'une réactivation se fait soit par modification du traitement anti-rétroviral pour y inclure du ténofovir, soit par ajout d'entécavir (si contre-indication). Cette prophylaxie est à maintenir 6 mois après l'arrêt du traitement oncologique (et plus longtemps face à des thérapeutiques spécifiques telles que le rituximab). En cas de faible risque de réactivation, une surveillance par mesure mensuelle à trimestrielle de l’AgHbS, de l’ADN viral et des ALAT peut être proposée.

En cas de détection d’une hépatite C, la mise en place d’un traitement se fait au cas par cas par un hépatologue.

EN RÉSUMÉ

■ Même si la conduite à tenir s’approche de plus en plus de celle préconisée en population générale, la prévention et la prise en charge des cancers présentent certaines spécificités chez les PVVIH.

■ Ces patients doivent bénéficier des programmes de dépistage recommandés en population générale, complétés par des dépistages spécifiques pour certains cancers comme ceux du col de l’utérus et du canal anal.

■ En cas de diagnostic de cancer, une co-infection par le VIH ne doit pas amener à contre-indiquer un standard thérapeutique oncologique.

■ Le maintien d’un contrôle virologique reste indispensable, une surveillance des taux de CD4 et de la charge virale tous les 3 mois étant généralement suffisante.

■ Prophylaxie et surveillance des infections opportunistes s’allègent.

Pour aller plus loin
– En complément de ses recommandations, l’ANRS a organisé un webinaire en juillet 2024 consultable sur le site de l’agence.
– Des réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) d’oncologie permettant de discuter des patients vivant avec le VIH se sont développées au cours des dix dernières années. Certaines sont accessibles à distance, à l’instar de la RCP nationale ONCOVIH. Une RCP plus spécifiquement dédiée à la maladie de Castleman est aussi organisée par l’hôpital Saint-Louis (Paris).


Source : Le Quotidien du Médecin