INTRODUCTION
L’hypertrophie bénigne de la prostate (HBP) est une pathologie bénigne qui affecte un homme sur deux entre 60 et 69 ans (1). Les symptômes résultent de l’obstruction de l’urètre prostatique (photo 1) et ne sont pas systématiques ni proportionnels au volume de la glande. Les scores fonctionnels permettent d’évaluer l’impact sur la qualité de vie et peuvent être suivis dans le temps. L’examen clinique et les explorations paracliniques éliminent d’autres pathologies pouvant avoir des symptômes analogues. Le traitement est dépendant de l’impact sur la qualité de vie et la survenue de complications.
LE BILAN CLINIQUE ET PARACLINIQUE
L’interrogatoire précise la nature des symptômes (troubles de la vidange ou du stockage urinaire) et leur impact sur la qualité de vie (QoL). Il est recommandé d’utiliser un score fonctionnel validé (score IPSS), qui pourra également être utilisé pour le suivi thérapeutique (tableau 1) (2). Une polyurie nocturne est suspectée chez le sujet âgé, surtout lorsqu’il n’existe pas de trouble diurne associé (diurèse nocturne > 33 % de la diurèse totale sur 24 h). Le diagnostic est confirmé par la réalisation d’un calendrier mictionnel (voir encadré) (3).
L’examen clinique recherche un globe vésical, une sténose du méat urétral qui pourrait se manifester par des symptômes analogues, ou des pathologies associées à la poussée abdominale per-mictionnelle (hernie inguinale, hémorroïdes). Le toucher rectal (TR), bien qu’imprécis, estime le volume de la prostate, qui doit être souple, homogène et régulière. Toute autre constatation doit faire suspecter une tumeur prostatique.
La réalisation d’un test urinaire rapide par bandelette réactive est recommandée. Le test exclut une glycosurie (source de polyurie), une hématurie (suspicion de complication lithiasique ou de tumeur de la vessie) et recherche une infection urinaire secondaire à la mauvaise vidange vésicale (4).
Les tests sanguins utiles sont le PSA et la créatininémie. Le PSA est corrélé au volume prostatique et au risque d’aggravation symptomatique (5). Il peut également être proposé dans le cadre du dépistage personnalisé du cancer de la prostate après information et acceptation du patient. La créatininémie recherche une insuffisance rénale associée à des comorbidités (diabète, HTA…) ou à l’âge, et souvent présente en cas d’hydronéphrose en amont d’une rétention urinaire.
L’échographie de l’appareil urinaire peut être demandée pour exclure un diagnostic différentiel (tumeur de la vessie responsable d'un trouble du stockage urinaire ou d’une hématurie), rechercher une complication (hydronéphrose, calcul de vessie), étudier le volume prostatique avant traitement ou lors du suivi (l’épaississement de la paroi vésicale, la protrusion d’un lobe médian et la majoration du résidu post-mictionnel (RPM) sont corrélés au risque de rétention urinaire) (5, 6).
CALENDRIER MICTIONNEL
• Pour analyser la répartition et la quantification des mictions, ainsi que la bonne compréhension des troubles mictionnels et le suivi évolutif après traitement, le patient doit compléter un calendrier mictionnel. Il s’agit de noter l’heure et le volume de chaque miction, sans exception. Le volume est mesuré au moyen d’un verre doseur gradué en ml. Le patient doit aussi mentionner les apports hydriques (boissons en ml). Il doit également noter les éventuels épisodes d’impériosité (besoin urgent d’uriner) et de fuites (pertes d’urine incontrôlées) en les cotant de 0 à +, ++, +++ en fonction de leur intensité.
LES COMPLICATIONS
La rétention aiguë d’urine impose le drainage vésical. Elle est douloureuse ou se manifeste par des troubles cognitifs chez le sujet âgé. Les facteurs favorisants sont l’infection urinaire, la constipation terminale ou l’usage de médicaments antalgiques ou anticholinergiques.
La rétention urinaire chronique est indolore et secondaire à une acontractilité vésicale. Elle peut se manifester par des fuites insensibles d’urine faussement interprétées comme une incontinence urinaire qui n’est jamais observée chez l’homme en l’absence d’antécédent chirurgical.
Les calculs de vessie compliquent 4 % des adénomes prostatiques et témoignent de la mauvaise vidange vésicale et d’un excès d’acidité urinaire (photo 2). Les symptômes évocateurs sont l’hématurie, des douleurs mictionnelles et des infections répétées.
L’infection urinaire témoigne de la mauvaise vidange vésicale ou complique un calcul.
L’hématurie est une complication possible mais rare de l’HBP. Elle doit systématiquement faire suspecter un autre diagnostic (tumeur, calcul ou infection) et impose la réalisation d’une imagerie.
La survenue d’une complication est une indication de consultation spécialisée.
LA PRISE EN CHARGE
Elle repose sur des mesures générales qui doivent être systématiques, des médicaments qui influencent le tonus et/ou le volume prostatique, ou la chirurgie réservée aux complications ou à l’échec des traitements précédents (tableau 3).
Les mesures générales
La limitation de boissons riches en analeptiques (café, thé) ou en alcool (effet diurétique) participe à l’amélioration symptomatique. Un intervalle inter-mictionnel prolongé ou l’usage d’un médicament α-mimétique favorisent la rétention aiguë d’urines. La constipation majore les symptômes urinaires et doit être prise en charge.
Les médicaments
Le choix s’effectue en fonction de l’ancienneté des symptômes, de leur impact sur la qualité de vie, du volume de la prostate et des signes de gravité.
• Les extraits de plantes ont un mécanisme mal connu et peuvent être utilisés pour la prise en charge de symptômes légers ou modérés associés à une HBP.
• Les α1-antagonistes réduisent le tonus prostatique et améliorent l’ensemble des symptômes de 50 % après seulement quelques semaines de traitement. Ils sont indiqués en cas de symptômes modérés à sévères survenant sur une prostate de petit volume (< 40 ml). Les effets secondaires sont l’hypotension orthostatique (plutôt observée avec la doxazosine ou la térazosine), les troubles de l’éjaculation (plutôt observés avec la silodosine ou la tamsulosine) et le syndrome de l'iris flottant préjudiciable à la chirurgie de la cataracte, ce qui justifie leur suspension en périopératoire.
• Les inhibiteurs de la 5α-réductase (5ARi) (finastéride, dutastéride) réduisent le volume prostatique et améliorent les symptômes de 30 %, diminuent le risque de rétention urinaire et de chirurgie de 57 % et 67 % après 2 ans d’observance ou plus (7). Les effets secondaires principaux sont la chute de libido, la dysfonction érectile, souvent préexistantes à la prescription, et la gynécomastie, observée dans 2 % des cas. Ils sont plutôt indiqués en cas de symptômes modérés ou sévères survenant sur une prostate d’un volume > 40 ml.
• La combinaison α1-antagoniste/ARi utilisée au long cours est plus efficace que la prescription d'un seul de ces traitements pour contrôler la progression des symptômes, et réduit le risque de complication. L’efficacité est à confronter à la cumulation possible des effets secondaires (8).
• Les inhibiteurs de la 5-phosphodiestérase (IPDE-5) relaxent les fibres musculaires lisses vésicales, prostatiques et urétrales, et améliorent rapidement les symptômes (réduction du score symptomatique de 30 %). Ils peuvent être prescrits en cas de symptômes modérés à sévères, avec ou sans trouble érectile, mais ne sont pas remboursés. Ils sont contre-indiqués en cas de troubles cardiovasculaires instables, de prescription de dérivés nitrés, ou en association avec la doxazosine ou la terazosine.
• Les anticholinergiques interagissent avec les récepteurs muscariniques de la vessie et réduisent les contractions désinhibées responsables des pollakiuries ou des impériosités. Le traitement est d’autant plus efficace que la prostate est petite. Il est contre-indiqué lorsque le résidu post-mictionnel (RPM) mesuré par une échographie (conventionnelle ou par bladder scan) excède 150 ml, en raison du risque de rétention urinaire.
Le traitement chirurgical
Il est indiqué en cas d’échec, de refus ou d’intolérance au traitement médical. Le choix de la technique s’effectue en fonction du volume prostatique et des comorbidités associées. L’objectif est de reperméabiliser l’urètre prostatique.
• La résection endoscopique de la prostate est indiquée en cas de volume prostatique < 80 ml. L’effet secondaire principal est l’éjaculation rétrograde liée à l’évidement central de la glande. L’incision cervico-prostatique préserve plus l’éjaculation que la résection, mais ne peut être réalisée qu’en cas de volume prostatique < 30 ml et expose plus à la rechute symptomatique (18,4 % contre 7,2 % pour la résection) (9).
• La technique de référence pour les adénomes > 80 ml est l’adénomectomie. Cette intervention invasive est désormais remplacée par l’énucléation endoscopique bipolaire ou au laser Holmium, qui peut être réalisée quel que soit le volume prostatique par des opérateurs entraînés au prix d’une hospitalisation ambulatoire ou de 48 heures, tout en exposant moins au risque hémorragique. La totalité du tissu adénomateux est enlevée : il ne reste que la capsule prostatique (photo 3). Cette intervention permet une étude anatomopathologique.
• La vaporisation au laser Greenlight, qui permet un alésage de l’urètre prostatique, peut être réalisée en ambulatoire mais est associée à un taux de rechute à moyen et long termes plus élevé que l’énucléation (11 % versus 1,8 %). Elle ne permet pas d’analyse histologique (8).
• D’autres techniques de reperméabilisation plus ou moins invasives ou validées peuvent être discutées en cas de contre-indication ou de refus des techniques de référence. Le stent prostatique est réservé aux sujets âgés en rétention urinaire mais inopérables. L’Urolift® et le Rezum® peuvent être discutés lorsque le traitement médical est refusé par un patient désireux de conserver une chance d’éjaculation antégrade. L’Urolift® est un harpon qui maintient l’urètre prostatique ouvert. Le traitement par Rezum® détruit le tissu prostatique par hyperthermie (vapeur d’eau) et peut être réalisé en ambulatoire mais nécessite un sondage de plusieurs jours. L’Aquabeam® est une technique d’hydrodissection trans-urétrale réalisable en ambulatoire mais comporte un risque transfusionnel significatif. L’embolisation prostatique permet une réduction de volume susceptible d’améliorer les symptômes mais son efficacité est moindre par rapport aux techniques de référence (11). L’Aquabeam®, le Rezum® et l’embolisation sont des techniques qui sont encore en cours d’évaluation.
→ Et que faire en cas de rechute symptomatique après chirurgie ? Toute rechute symptomatique dans ce cas doit faire suspecter une sténose urétrale ou un autre diagnostic (cancer de la prostate, pathologie vésicale ou neurologique). À ce titre, un avis spécialisé est recommandé. Seules les récidives adénomateuses pourront être traitées médicalement, en tenant compte de l’intensité des symptômes et du volume de la prostate.
EN RÉSUMÉ
L’adénome de la prostate est une pathologie bénigne liée à l’âge. La prise en charge dépend de l’impact sur la qualité de vie et des complications. Le bilan pré-thérapeutique permet d’exclure les diagnostics différentiels, évalue la gravité et oriente le traitement en fonction du volume prostatique. L’échec, le refus ou les effets secondaires d’un traitement médical et l’existence de complications orientent vers un traitement chirurgical. Les techniques d’énucléation et la résection prostatique sont les standards thérapeutiques, même si des approches réputées plus conservatrices sont en cours d’évaluation.
Bibliographie
1. Fourcade R.0., Gaudin A., Mazzeta C., Robertson C., Boyle P. : Prévalence des troubles du bas appareil urinaire et de l'incontinence chez les adultes auxerrois. Presse Med., 2002 ; 31 : 202-210.
2. Sagnier P.P., Richard F., Botto H., Teillac P., Dreyfus J.P., Boyle P. : Adaptation et validation en langue française du score international des symptômes de l'hypertrophie bénigne de la prostate. Prog. Urol., 1994 ; 4: 532-538.
3. Da Costa A., Ishida M., Akrour R., Mary-Heck G., Grilo N., SchurchB., Lang P.O: Nycturie du patient âgé: en pratique Rev Med Suisse 2017; 13: 1946-51
4. Roehrborn, C.G., et al. Guidelines for the diagnosis and treatment of benign prostatic hyperplasia: a comparative, international overview. Urology, 2001. 58: 642.
5. Roehrborn, C.G. Alfuzosin 10 mg once daily prevents overall clinical progression of benign prostatic hyperplasia but not acute urinary retention: results of a 2-year placebo-controlled study. BJU Int, 2006. 97: 734.
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7. McConnell, J.D., et al. The effect of finasteride on the risk of acute urinary retention and the need for surgical treatment among men with benign prostatic hyperplasia. Finasteride Long-Term Efficacy and Safety Study Group. N Engl J Med, 1998. 338: 557.
8. Patel, D.N., et al. PSA predicts development of incident lower urinary tract symptoms: Results from the REDUCE study. Prostate Cancer Prostatic Dis, 2018. 21: 238
9. Lourenco, T., et al. The clinical effectiveness of transurethral incision of the prostate: a systematic review of randomised controlled trials. World J Urol, 2010. 28: 23.
10. Thomas, J.A., et al. A Multicenter Randomized Noninferiority Trial Comparing GreenLight-XPS Laser Vaporization of the Prostate and Transurethral Resection of the Prostate for the Treatment of Benign Prostatic Obstruction: Two-yr Outcomes of the GOLIATH Study. Eur Urol, 2016. 69: 94.
11. Gao, Y.A., et al. Benign prostatic hyperplasia: prostatic arterial embolization versus transurethral resection of the prostate--a prospective, randomized, and controlled clinical trial. Radiology, 2014. 270: 920.
Liens d'intérêts
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