Le Généraliste. Vous avez coordonné le premier rapport français de recommandations sur les hépatites virales. Pourquoi un tel travail maintenant ?
Pr Daniel Dhumeaux. Il s’agit d’une commande de notre ministre de la santé, justifiée à la fois par la fin du plan hépatite 2009-2012 et par les évolutions considérables que connaît actuellement la prise en charge de ces maladies. Tant sur le plan du dépistage avec l’arrivée des tests d’orientation diagnostique (TROD), qu’en termes de diagnostic désormais facilité par l’usage des tests non invasif de fibrose ou qu’en matière de traitement. Aujourd’hui, l’hépatite B peut être contrôlée et l’hépatite C guérie dans 90% des cas, avec pour cette dernière l’arrivée de nouveaux antiviraux directs efficaces très rapidement et pratiquement sans effets indésirables.
Avec cette révolution thérapeutique, on comprend la nécessité d’augmenter le nombre de personnes dépistées pour augmenter le nombre de personnes traitées. Sous peine sinon de pertes de chance pour les malades infectés mais non dépistés et non traités.
Justement, le rapport met l’accent sur le dépistage…
Pr D. D. Actuellement environ la moitié des malades infectés par le VHB et plus d’un tiers des patients porteurs du VHC ne sont pas dépistés, soit 200 à 250 000 personnes.
Le rapport préconise donc un renforcement mais aussi une simplification du dépistage ciblé. L’idée est d’identifier clairement auprès des généralistes les facteurs de risque devant conduire au dépistage et d’en proposer une liste commune aux deux virus, facile à s’approprier. Il s’agirait de toutes les personnes ayant été transfusés avant 1992, des sujets ayant subi des actes invasifs (notamment chirurgicaux) avant la mise en œuvre des règles universelles d’hygiène, des personnes ayant séjourné de façon prolongée dans des pays à forte ou moyenne endémicité, des personnes ayant un tatouage ou un piercing, ainsi que tout usager du drogue même ponctuel. S’y ajoute la notion de multipartenariat sexuel pour le VHB.
Par ailleurs, l’utilisation de tests d’orientation diagnostique (TROD), qui favorisent le dépistage des populations ne fréquentant pas (ou peu) les structures médicales classiques, doit être encouragée. A ce titre, les TROD du VHC viennent s d’obtenir le feu vert de la HAS et on attend validation des TROD du VHB.
Chez les hommes vous proposez un dépistage quasi systématique ?
Pr D. D. Oui, car la prévalence de l’infection de l’hépatite B chez les hommes est trois à quatre fois plus élevée chez que chez la femme. A la fois en raison de comportements sexuels différents mais surtout parce que les hommes une fois contaminés par leVHB s’en débarrassent peu spontanément contrairement aux femmes. De même pour l’hépatite C, les malades de moins de 40 ans sont majoritairement des hommes.
Ces données épidémiologiques suggèrent qu’un dépistage couplé du VHB et du VHC (associé à celui du VIH), chez tous les hommes de 18 à 60 ans une fois dans leur vie (tel que le recommande le rapport) pourrait avoir un réel intérêt médico-économique. Alors que chez les femmes le bénéfice pourrait être beaucoup moindre.
Quid du dépistage de l’hépatite B chez la femme enceinte ?
Pr D. D. Ce dépistage est actuellement obligatoire au 6ème mois de grossesse alors que celui du VIH est préconisé au deuxième mois, dès la première consultation prénatale. Nous recommandons donc de faire passer le dépistage du VHB également au deuxième mois. Cela permettra de ne faire plus qu’un seul prélèvement et d’avoir davantage de temps pour évaluer les femmes AgHBs positives. Avec 7 mois pour faire les tests complémentaires et éventuellement mettre en place un traitement pour éviter la contamination mère- enfant.
Le dépistage du VHC (jusque là non préconisé) est aussi recommandé dans la foulée. Tout en sachant que l’hépatite C reste rare chez la femme jeune et qu’il n’y a pas pour le moment de traitement possible pour éviter la contamination de l’enfant. Mais les nouveaux antiviraux directs font actuellement l’objet de tests de tératogénicité et pourraient un jour être utilisés dans cette indication. Surtout, si l’on détecte une femme infectée par le VHC, cela permettra d’éviter au moment du travail certaines manœuvres à risque chez le fœtus, favorisant sa contamination.
Pour la population générale comme pour les femmes enceintes vous proposez donc un tir groupé pour le VHC, le VHB et même VIH
Pr D. D. Oui, le rapport préconise d’associer dans tous les cas la recherche des trois virus compte tenu des similitudes épidémiologiques et de la possibilité de tests groupés. Pour un coût limité, le médecin pourra plus facilement s’approprier cette démarche et le dépistage du VIH sera peut-être mieux perçu dans ce cadre qu’un dépistage unique. Avant d’être généralisées, ces nouvelles stratégies de dépistage pourraient être évaluées sur le plan médico-économique, par exemple dans des régions pilotes.
Concernant la vaccination contre l’hépatite B, vous appeler les médecins à être davantage proactifs ?
Pr D. D. Après de nombreuses études épidémiologiques, la relation suspectée entre maladies démyélinisantes et vaccin contre l’hépatite B n’a pas été confirmée et il s’agissait en fait de coïncidences fortuites. On est donc maintenant dans la capacité de reprendre cette vaccination sur des bases solides et scientifiques.
Il faut surtout mettre l’accent sur la vaccination des adolescents. Si 80% des nourrissons sont désormais vaccinés, 6 adolescents sur 10 ne le sont pas, alors qu’ils rentrent dans la vie sexuelle, dans l’âge du tatouage et du piercing, qu’ils peuvent s’initier à l’usage de drogue, etc... Il faut donc profiter de toutes les
occasions possibles pour leur proposer une vaccination et le médecin traitant a ici un rôle majeur.
Côté traitement, pour l’hépatite C, vous prôner une hiérarchisation des indications ?
Pr D. D. Si compte tenu des avancées thérapeutiques, l’objectif à terme pourrait être de traiter l’ensemble de personnes atteintes d’hépatite C, en visant l’éradication virale, la proposition est aujourd’hui de privilégier le traitement chez les patients ayant le risque plus élevé de progression de leur infection. C’est-à-dire ceux ayant une fibrose significative (stade de fibrose supérieur ou égal à F2) et ceux ayant des manifestations extra-hépatiques, quel que soit le stade de fibrose.
Au fur et à mesure que ces malades auront été traités, les indications pourront être progressivement étendues aux malades les moins graves (qui ont un risque minime de développer une maladie sévère du foie), mais avec une réduction attendue du coût des traitements. Car on peut parfaitement imaginer que les coûts soient réduits avec l’augmentation du nombre de patients susceptibles d’être traités.
Quels sont les autres points fort du rapport ?
Pr D. D. Il y a une recommandation forte pour que les données épidémiologiques de prévalence, d’incidence, de mortalité et de dépistage soient actualisées régulièrement. Certaines dont nous disposons sont relativement anciennes. Toutes ces données sont importantes pour les prises de décision par nos tutelles tant nationales que régionales.
Par ailleurs, plusieurs recommandations concernent le parcours de soin. Dans la mesure où les nouveaux traitements de l’hépatite B comme ceux de l’hépatite C sont plus faciles à administrer et ont peu d’effets indésirables, ce parcours de soin pourrait considérablement évoluer dans les années à venir, avec notamment une place accrue pour la prise en charge des patients par les généralistes.
Ces recommandations s’adressent surtout aux autorités de tutelle. Dans quelles mesures pensez-vous quelles seront mises en oeuvre?
Pr D. D. C’est un travail qui a été suffisamment abouti et collectif pour qu’il n’y ait pas trop de discussions, je crois, sur leur mise en œuvre. Il y a aura toutefois à prévoir sur les 180 propositions émises, une hiérarchisation des actions à mener en priorité.
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique
Recommandations
Antibiothérapies dans les infections pédiatriques courantes (2/2)