Même en diabétologie, l’Europe et la France peuvent avoir du mal à accorder leurs violons ! En témoignent les dissonances entre les recommandations américano-européennes sur le diabète émises en 2012 par l’American Diabetes Association (ADA)et l’Association Européenne pour l’étude du diabète (EASD) et celles publiées le mois dernier en France par la HAS.
Consensus autour des objectifs glycémiques
Si les deux textes s’accordent globalement sur les objectifs glycémiques à atteindre, ils diffèrent notablement quant aux moyens thérapeutiques à mettre en œuvre pour y parvenir. Des divergences qui ont été passées au crible lors du récent congrès « Cœur et Diabète » qui s’est tenu à Paris les 15 et 16 février.
« En substance, relate le Pr Bernard Charbonnel (chef du service endocrinologie - maladies métaboliques et nutrition du CHU de Nantes), le message commun est que l’objectif glycémique le plus bas (<6,5% auparavant) n’est pas forcément le meilleur ». Oubliée donc la même valeur-cible pour tous, pour des objectifs davantage individualisés en fonction du « contexte » du patient qui inclut ses caractéristiques et ses comorbidités.
Un objectif à 7 % d’HbA1c devient la valeur cible de référence pour la plupart des diabétiques de type 2. Dans les deux textes, il est toutefois stipulé qu’une valeur cible plus basse (≤ 6,5%) peut être visée chez les femmes diabétiques enceintes ou envisageant une grossesse ou en début de maladie en cas d’espérance de vie supérieure à 15 ans et sans antécédent cardiovasculaire. à condition d’éviter les traitements générateurs d’hypoglycémies et les empilements thérapeutiques. À l’opposé, une valeur entre 7 et 8 % d’Hba1c est admise chez certains patients âgés, fragiles ou malades.
Concernant les traitements à mettre en œuvre, la metformine en monothérapie occupe en maître la première ligne en cas d’échec des mesures hygiéno-diététiques. Les deux textes officialisent son usage désormais possible chez l’insuffisant rénal, jusqu’au stade d’insuffisance rénale chronique modérée (clairance de la créatinine entre 30 et 60 ml/min/1,73 m²). à condition de diminuer la dose journalière à 1,5 g et de surveiller la fonction rénale trimestriellement.
Divergences sur les traitements de seconde ligne
Les dissonances commencent dès la seconde ligne de traitement. La position ADA-EASD présente les glitazones (non disponibles en France), l’insuline, les sulfamides, les analogues du GLP-1 et les inhibiteurs des DPP-4 comme tous légitimes, faute d’études comparatives sur le long terme entre ces options avec des efficacités sur l’HbA1c comparables (de l’ordre de 1 %). Pour les auteurs, cette absence de hiérarchie respecte la notion de choix centré sur le patient. L’approche de la Haute Autorité de santé est plus directive : si l’objectif glycémique n’est pas atteint par metformine, l’agence préconise une bithérapie (puis éventuellement une trithérapie) «?sur la base d’une association metformine/sulfamide?». Cette mise en avant des sulfamides est justifiée par la HAS aussi bien par des arguments économiques que par souci de sécurité du patient.
Forts d’une utilisation de plus de quatre décennies, les sulfamides bénéficient, en effet, d’un recul bien plus
long que des molécules type DPP 4 ou analogue du GLP-1.
La sécurité cardiovasculaire, un argument fallacieux ?
Cependant, en matière de sécurité cardiovasculaire, « un doute subsiste pour les sulfamides, avec un recul basé davantage sur les années que sur les données », estime le Pr Charbonnel .
Après le doute semé par UKPDS dans les années 1990, une méta-analyse d’études observationnelles a constaté, en 2008, une tendance délétère des sulfamides sur le critère cardiovasculaire composite (RR 2,43 significatif).
Les données des études de cohorte sont quant à elles inconsistantes et discordantes. Parmi tant d’autres, la plus récente, la cohorte des vétérans américains composée de 253 690 diabétiques montre une différence en défaveur des sulfamides sur le plan des événements cardiovasculaires et des décès. « Au-delà des études observationnelles et de registres qui sont discordantes, mais avec une légère tendance négative, quelques éléments rassurent néanmoins, poursuit-le Pr Charbonnel. Dans Bari2D, chez des patients avec coronaropathie évoluée, il n’a pas été constaté de différence dans la survenue d’événements cardiovasculaires sous sulfamides versus insulino-sensiblisateurs (metformine et glitazones). » Mais sans étude de sécurité en cours, l’impact cardiovasculaire des sulfonylurées reste et restera controversé.
Les données sur les inhibiteurs des DPP4, en revanche, semblent en faveur d’une sécurité cardiovasculaire, étudiée dans les études de développement dont une récente méta-analyse rapporte une réduction du risque cardio-vasculaire de l’ordre de 50 %. Parmi les trois études d’événements post-AMM en cours, la première à paraître sera SAVOR-TIMI 53, prévue à la fin de cette année, qui compare la saxagliptine au placebo, puis TECOS (Sitagliptine vs placebo, 2015) et CAROLINA (2018, linagliptine vs SU). Des données de morbi-mortalité qui, estiment certains?diabétologues, obligeront peut-être la HAS à revoir rapidement sa copie.
La problématique de la sécurité cardiovasculaire se pose aussi quant à l’insuline préconisée. Alors que, pour la NPH, les données sont parcellaires, voire inexistantes, elle est prônée en première ligne d’insulinothérapie dans les recommandations HAS. Or seule la glargine vient de prouver son innocuité dans une étude d’intervention, ORIGIN. Au sein d’une population particulière, car portant sur des sujets dont la situation métabolique était peu dégradée mais à haut risque cardiovasculaire, l’insuline glargine a un effet comparable sur la morbi-mortalité cardiovasculaire au traitement standard, avec sur le critère primaire (IDM, AVC ou décès CV) une différence non significative (HR 1,02 ) après 7 années de suivi en moyenne.
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