Médecine interne

RHUMATISME ET COMORBIDITÉS LIÉS AU PSORIASIS

Publié le 08/06/2017
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Le psoriasis est désormais considéré comme une maladie systémique inflammatoire. À côté de l’atteinte articulaire encore trop volontiers méconnue, de nombreuses études établissent un risque accru de comorbidités.
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Crédit photo : SPL/PHANIE

Le psoriasis cutané touche environ 3 % de la population. Chez les patients affectés, il est essentiel de ne pas s’arrêter à la maladie cutanée mais de systématiquement rechercher un rhumatisme psoriasique et des comorbidités associées. Si la maladie se manifeste principalement au niveau cutané et articulaire, tout comme pour la polyarthrite rhumatoïde, la charge inflammatoire chronique semble contribuer au développement d'un certain nombre d'états comorbides. L’idée actuelle est donc de traiter « l'ensemble du patient » et non seulement sa peau, ce qui nécessite de dépister les atteintes rhumatismales, un syndrome métabolique, cardio-vasculaire… Des traitements existent et une prise en charge adaptée et précoce préserve l'avenir.

LE RHUMATISME PSORIASIQUE

Le rhumatisme psoriasique (RPs) touche jusqu’à 30 % des patients atteints d’un psoriasis cutané (Ps), de manière égale les hommes et les femmes entre 30 et 50 ans (1). C’est un rhumatisme sous-diagnostiqué (2).

L’atteinte articulaire peut apparaître de façon concomitante avec l’atteinte cutanée mais se développe en général dans les cinq à dix ans et jusqu’à vingt ans après l’apparition des lésions cutanées.

 Tous les patients atteints de Ps peuvent avoir un RPs, les plus à risque étant ceux qui ont un psoriasis unguéal ou un psoriasis étendu.

 Dans environ 10 % des cas, l’atteinte articulaire précède la maladie cutanée. Aussi, chez un adulte de moins de 40 ans présentant des douleurs inflammatoires qui persistent, il importe d’évoquer un RPs, de rechercher des lésions de psoriasis peu visibles (plis de l'aine, sillon interfessier, nombril, oreilles, ongles, ligne d'implantation des cheveux) et de s’enquérir de l’existence d’antécédents personnels ou familiaux de psoriasis.

 

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Il suffit d’y penser

Pour diagnostiquer un RPs, il suffit le plus souvent d’y penser lors de la consultation de tout patient ayant un Ps.

Quelques questions suffisent :

– avez-vous des articulations gonflées (pas forcément rouges ni chaudes) ?
– Vous font-elles mal la nuit ou au réveil ?
– Avez-vous des raideurs matinales et besoin d’un dérouillage, pendant quelle durée ? « Le critère essentiel, c’est l'horaire, les atteintes rhumatismales du psoriasis sont variées mais toujours de caractère inflammatoire », précise Laure Gosset.

Une grande hétérogénéité de symptômes

Les manifestations du RPs sont très hétérogènes.

 Le RPs débute le plus souvent par une mono ou oligoarthrite généralement asymétrique.

 Il existe une forme de polyarthrite où l’atteinte périphérique est symétrique et peut alors ressembler à la PR. Elle s’en distingue par son atteinte préférentielle des articulations interphalangiennes distales, souvent épargnées dans la PR, et une inflammation surtout périarticulaire à l’insertion des ligaments et de la capsule articulaire (enthèses).

 20 %, des personnes, surtout les hommes, ont une atteinte axiale (spondylites ou sacro-iliite) se révélant par des fessalgies ou des rachialgies d’horaire inflammatoire. Le RPs fait partie de la grande famille des spondylarthropathies.

 Certaines atteintes sont caractéristiques de la maladie :

– L'enthésite (inflammation des points d'attaches des tendons et ligaments), présente chez 30 à 50 % des personnes atteintes de RPs. Particulièrement marquée au niveau de fascia plantaires et des tendons d'Achille, elle se manifeste dans ce cas par des talalgies inflammatoires.

– La dactylite (inflammation et gonflement des doigts et des orteils dits « en saucisse ») chez 40 à 50 % des patients atteints de rhumatisme psoriasique, en particulier au niveau des troisième et quatrième orteils.

– L’association d’une atteinte interphalangienne distale et d’un psoriasis unguéal
 

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La biologie non discriminante sauf pour le diagnostic différentiel

Il n’existe pas aujourd’hui de marqueur biologique qui permette le diagnostic de la maladie. Un syndrome inflammatoire est toujours recherché (VS, CRP) mais il est présent chez seulement 50 % des patients.

La recherche auto-immune a pour seul intérêt le diagnostic différentiel : un dosage du facteur rhumatoïde et des AC anti-CCP (parfois augmentés) suffit, les FAN sont utiles si une connectivite est suspectée. Le HLA B 27, positif dans 20 à 30 % des cas, n’est pas recommandé.

L’association douleurs de type inflammatoire, psoriasis et facteur rhumatoïde négatif est très en faveur du diagnostic de RPs.

Échographie, radios, parfois IRM

 L’échographie articulaire confirme la présence des synovites et des enthésites.

 Les radiographies des articulations douloureuses sont indispensables pour déceler d’éventuelles lésions érosives. « Le rhumatisme psoriasique a tendance à évoluer vers l’érosion articulaire – c’est ce qui en fait la sévérité – avec une destruction et des déformations progressives des articulations. »

 L’IRM est utile en cas d’atteinte axiale, notamment de sacro-iliite, ou en cas de doute diagnostique.

C’est une urgence !

« Il ne faut pas traîner, 2 à 3 mois de délai peuvent aggraver l’état articulaire du patient sur le long terme », insiste Laure Gossec, qui recommande d’adresser « très rapidement le patient au rhumatologue tout en lui prescrivant un AINS mais pas de cortisone. » Un diagnostic précoce est essentiel non seulement pour les lésions articulaires structurelles, mais aussi pour la qualité de vie et la fonction physique à long terme.

Un retard de traitement expose à une destruction articulaire définitive. Une étude montre qu’en plus d'avoir une détérioration osseuse et articulaire, les patients ayant un délai de diagnostic de plus de six mois ont également réagi avec moins de succès au traitement et qu’un délai de diagnostic de plus d'un an réduit considérablement la chance d'obtenir une rémission (3). Sans thérapie adéquate, la morbidité est lourde : 40 à 57 % d’arthrites déformantes, 20 à 40 % avec une atteinte de la colonne vertébrale et 11 à 19 % de patients handicapés. « Le rhumatisme psoriasique est très handicapant, une personne atteinte sur deux est obligée d’abandonner son activité professionnelle. »

Une prise en charge codifiée, des perspectives thérapeutiques

L’objectif thérapeutique, c’est l’abrogation de l’inflammation ou au moins d’obtenir l’activité la plus faible possible de la maladie. Le choix du traitement se fonde sur l’étendue de l’atteinte cutanée et la présentation ostéoarticulaire selon les recommandations de L’Eular (European League Against Rheumatism) (4, 5).

 La prise en charge débute souvent par un traitement par AINS qui peut être associé à des infiltrations interarticulaires de glucocorticoïdes. La cortisone per os n’est pas appropriée.

 Un traitement de fond est instauré en cas d’efficacité insuffisante ou à un stade précoce en cas d’importance du syndrome inflammatoire et du nombre d’articulations gonflées, un csDMARD (Disease Modifying Anti-Rheumatic Drugs), le plus souvent le méthotrexate, du fait de son action concomitante sur les lésions cutanées, est prescrit à dose importante, 30 mg/semaine.

 L’étape suivante est celle de la biothérapie ou bDMARD, généralement un anti-TNFα., sinon un anti-IL. Les cinq anti-TNFα disponibles sont acceptés comme traitement du RPs, et le recours à l’un d’eux est recommandé dans les formes d’atteinte principalement axiale ou enthésitique ou lors d’un échec des traitements précédents (6).

 De nouvelles possibilités thérapeutiques sont disponibles ou en cours d’évaluation. « Trois molécules majeures et spécifiques ont été mises au point depuis un an, qui vont améliorer la thérapie mais, malheureusement, nous ne savons toujours pas guérir la maladie. »

DE NOMBREUSES COMORBIDITÉS

L’inflammation est un facteur de risque cardio-vasculaire en soi

Plusieurs études récentes ont montré que le psoriasis est associé à un risque accru de comorbidités incluant le syndrome métabolique (prévalence élevée), l’obésité, le diabète (30 %), l’hypertension, la dyslipidémie, la NASH (7).

Ce risque accru de comorbidités est indépendant des facteurs de risque surajoutés. Même après avoir ajusté les facteurs de risque de maladie cardiaque, comme le tabagisme, le diabète, l'obésité, l'hypertension et l'hyperlipidémie, la probabilité de mortalité, principalement d’origine cardio-vasculaire, est plus élevée chez les patients atteints de psoriasis que chez la population en général.

 Le risque relatif est particulièrement plus élevé chez les patients plus jeunes et chez les patients atteints de psoriasis sévère avec une réduction de l’espérance de vie de 3,5 ans chez les hommes et 4 ans chez les femmes (8).

Le lien entre le psoriasis et ces comorbidités serait l’état d'inflammation chronique. Laure Gossec

explique : « L’inflammation est un facteur de risque en soi, même chez ceux qui n’ont pas d’autre facteur de risque identifié, avec un odd ratio proche de 2, soit un risque équivalent au diabète. »

Dépister systématiquement  les comorbidités

Lorsqu'on s'occupe d'un patient souffrant de psoriasis et avant de choisir une thérapie systémique, il est primordial de détecter les comorbidités et les facteurs de risque (tabagisme, alcoolisme…) [9].

 Les patients avec un psoriasis modéré ou sévère doivent être examinés régulièrement (PA, IMC, périmètre abdominal) et avoir un bilan biologique annuel : glycémie, bilan lipidique et hépatique, fonction rénale.

Traiter l’inflammation améliore le pronostic

La suppression de l'inflammation systémique par des agents biologiques semble avoir une incidence positive sur les facteurs de risque de maladie cardio-vasculaire. « Un patient parfaitement équilibré au niveau rhumatisme, qui n’a plus de signe inflammatoire rejoint le risque de la population générale, c’est dire l’importance de traiter l’inflammation et de prendre en compte les autres facteurs de risque. » Le traitement précoce et agressif du psoriasis sévère, du RPs et des comorbidités associées va améliorer le bien-être et la longévité des patients (10, 11).

Les autres comorbidités sont diverses

 Une maladie inflammatoire de l'intestin. Il existe un lien entre le psoriasis, l'arthrite psoriasique et cette affection ; 7 à 10 % des patients développent une forme de maladie inflammatoire de l'intestin, comme la maladie de Crohn ou la colite ulcéreuse.

 Une uvéite est présente chez environ 8 % des patients, justifiant la recherche de symptômes oculaires (8).

 Un syndrome dépressif existe dans 30 % des cas. Le psoriasis et l'arthrite psoriasique peuvent causer une détresse émotionnelle considérable pour les personnes, avec une faible estime de soi, et un plus grand risque de troubles de l'humeur, dépression surtout.

UN ACCOMPAGNEMENT PLURIDISCIPLINAIRE

 La collaboration entre différents intervenants, dermatologue, rhumatologue et médecin généraliste, permet d’améliorer la qualité de vie des patients, tant sur le plan physique que mental. Maladie chronique, le psoriasis nécessite une surveillance régulière ; malgré les traitements de fond, les patients atteints de RPs peuvent avoir des poussées, avec leur risque d’érosion articulaire et de déformations.

 Quelques conseils concernant le mode de vie sont essentiels :

– Arrêt du tabac, celui-ci à la fois est facteur de risque cardio-vasculaire et facteur démontré de l’inflammation, il aggrave le rhumatisme.

– Pratiquer une activité physique, « c’est bon pour les articulations, contrairement aux idées reçues », insiste le Pr Gossec.

– Aucun régime restrictif ni exclusif n’a montré une quelconque efficacité.

 Du fait de leur risque infectieux, une vigilance accrue est de mise en cas de traitements immunosuppresseurs. Il est à rappeler que le métothrexate est aussi immunosuppresseur. Les vaccinations, notamment antipneumoccocique et antigrippale, doivent être encouragées

Bibliographie

1 - Ritchlin CT et al. Psoriatic arthritis. N Engl J Med 2017 ; 376 :957-70  
2 - Villani AP et al.  Prevalence of undiagnosed psoriatic arthritis among psoriasis patients: Systematic review and meta-analysis, J Am Acad Dermatol 2015; 73: 242-8.
3 - Haroon M, Gallagher P, FitzGerald O.Diagnostic delay of more than 6 months contributes to poor radiographic and functional outcome in psoriatic arthritis. Ann Rheum Dis. 2015 Jun;74(6):1045-50.
4- Gossec l, Smolen JS, Ramiro S, de Wit M, Cutolo M, Dougados M et al.   European League Against Rheumatism (EULAR) recommendations for the management of psoriatic arthritis with pharmacological therapies: 2015 update Ann Rheum, 2015-208337
5 - Paccou J, Wendling D. Current treatment of psoriatic arthritis : Update based on a systematic literature review to establish French Society for Rheumatology (SFR) recommendations for managing spondyloarthritis.. Joint Bone Spine 2014
6 - Huynh D, Kavanaugh A. Psoriatic arthritis : Current therapy and future approaches. Rheumatology 2015 (54)
7 -Jamnitski A, Symmons D, Peters MJ, Sattar N, McInnes I, Nurmohamed MT. Cardiovascular comorbidities in patients with psoriatic arthritis: a systematic review. Ann Rheum Dis. 2013 Feb;72(2):211-6.
8 - Gelfand JM, Troxel AB, Lewis JD, Kurd SK, Shin DB, Wang X, Margolis DJ, Strom BL.The risk of mortality in patients with psoriasis: results from a population-based study.  Arch Dermatol 2007;143:1493-9.
9 - Haroon M, FitzGerald O. Review .Psoriatic arthritis: complexities, comorbidities and implications for the clinic. Expert Review of Clinical Immunology Volume 12, 2016 - 404-416
10 - de Fátima Santos Paim de Oliveira M , de Oliveira Rocha B , Vieira Duarte G.  Psoriasis comorbidities: complications and benefits of immunobiological treatment. Dermatol . 2015 Jan-Feb; 90 (1): 9-20.
11 - Ogdie A, Schwartzman S, Husni ME. Recognizing and managing comorbidities in psoriatic arthritis. Curr Opin
Rheumatol. 2015 Mar;27(2):118-26.

 

Dr Catherine Freydt (médecin généraliste, Chatou (92)) sous la direction scientifique du Pr Laure Gossec (service de rhumatologie, CHU La Pitié-Salpêtrière, Paris).

Source : lequotidiendumedecin.fr