Prévention primaire

SEXE, STATINES ET STATISTIQUES

Publié le 13/03/2015
En prévention primaire, les statines sont-elles aussi efficaces chez les femmes que chez les hommes ? Une récente méta-analyse montre que l’efficacité de cette classe est démontrée dans la population féminine, mais dans une proportion différente..

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Efficacité et sécurité des statines chez les hommes et les femmes. Méta-analyse sur données individuelles de 174 000 patients issus de 27 essais randomisés (Efficacy and safety of LDL-lowering therapy among men

and women : meta-analysis of individual data from 174  000 participants in 27 randomised trials). Cholesterol Treatment Trialists’ Collaboration (CTT). Lancet. Publié en ligne le 9 janvier 2015.

CONTEXTE

Les bénéfices des statines sur la réduction des événements et de la mortalité cardiovasculaires (CV) sont bien documentés (1) y compris chez les patients à bas risque. Cependant, ils sont controversés (2) chez les femmes, en particulier chez celles indemnes d’antécédent et/ou de signes cliniques de maladie CV (prévention primaire). Cette controverse était principalement liée au fait que les femmes étaient fortement sous-représentées (3) ou pas du tout (4) dans les essais thérapeutiques.

OBJECTIF

Mesurer le bénéfice des statines sur les événements CV et les décès, ainsi que leur sécurité d’emploi chez les femmes comparativement aux hommes, plus particulièrement en prévention primaire.

METHODE

Méta-analyse sur données individuelles des essais randomisés inclus dans la base de données de la Cholesterol Treatment Trialists’ Collaboration, regroupant les essais vs placebo et ceux comparant une forte dose vs posologie standard (groupe témoin). Pour être retenus, les essais devaient mesurer l’efficacité clinique et la tolérance des statines associées à la réduction du LDL-c sur plus de 1 000 patients suivis pendant au moins 2 ans. Le critère de jugement principal composite était la somme des événements CV graves (infarctus non fatal + décès coronaire + AVC + revascularisation coronaire) à 5 ans. Les critères de jugement secondaires étaient chaque composant du critère principal composite et la mortalité totale.

Les effets sur les critères de jugement ont été calculés pour chaque réduction de 0,39 g/L (1 mmol/L) du LDL-c. Les résultats chez les femmes et chez les hommes ont été comparés à l’aide d’un modèle de Cox ajusté sur l’absence de différence entre les genres. Pour les analyses en sous-groupes, un intervalle de confiance à 99 % a été choisi pour autoriser des comparaisons multiples.

RÉSULTATS

Sur 174 149 patients inclus dans 27 essais, 46 675 (27 %) étaient des femmes. Le risque CV absolu (RCVA) des femmes à 5 ans était inférieur à celui des hommes. Le LDL-c à l’inclusion était de 1,31 g/L dans les deux genres, et en moyenne, il a diminué de 0,43 g/L sous statine vs témoins chez les femmes et chez les hommes.

Pour chaque réduction de 0,39 g/L de LDL-c sous statine, le risque relatif (RR) sur le critère principal était de 0,84 ; IC99 % = 0,78-0,91 chez les femmes et de 0,78 ; IC99 % = 0,75-0,81 chez les hommes y compris chez celles et ceux dont le RCVA à 5 ans était < 10 %.

La réduction relative du risque sur les événements coronaires graves, les revascularisations coronaires, et sur les AVC était également similaire dans les deux genres.

Enfin, la mortalité totale a significativement diminué de 9 % : RR = 0,91 ; IC99 % = 0,86-0,95 chez les femmes, et de 10 % : RR = 0,90 ; IC99 % = 0,86-0,95 chez les hommes. La sécurité d’emploi n’a pas été significativement différente.

Selon les auteurs, en prévention primaire, le bénéfice clinique proportionnel des statines n’était pas différent selon le genre.

COMMENTAIRES

La CCT est un groupe international de chercheurs indépendants, même si chacun d’eux a des conflits d’intérêt industriels et académiques. Le protocole de cette méta-analyse a été publié en 1994, bien avant les résultats des essais inclus, ce qui renforce leur fiabilité. La méthode est solide et l’analyse statistique ajustée très sophistiquée. Tellement sophistiquée, qu’il serait possible d’oublier que des réductions proportionnelles de risque similaires ne signifient pas ipso facto que l’efficacité est la même.

À côté des résultats en risque proportionnel, il faut regarder ceux sur la réduction du risque absolu non publiés dans l’article, mais présentés dans son supplément téléchargeable. Ainsi, sur le critère de jugement principal, la réduction du risque absolu était de 1,1 % chez les hommes (3,5 % vs 4,5 % dans le groupe témoin) et de 0,4 % chez les femmes (2,6 % vs 3 %). Ceci indique qu’il faut traiter 91 hommes pendant 5 ans pour éviter un des événements du critère de jugement principal et 250 femmes pendant 5 ans pour le même bénéfice. En termes médico-économiques à l’échelle d’une très large population éligible, ce n’est pas tout à fait la même chose.

En pratique, ce travail nuance l’adage selon lequel l’efficacité des statines n’est pas prouvée chez les femmes. Lorsque ces médicaments sont indiqués, il n’y a pas d’argument de genre pour s’abstenir. Cependant, il faut garder à l’esprit que si l’efficacité des statines est démontrée chez les femmes en prévention primaire, d’un point de vue populationnel, elle n’est pas du même ordre de grandeur que chez les hommes.


Dr Santa Félibre (Médecin généraliste enseignant)

Source : lequotidiendumedecin.fr